RDC: Adieu unité nationale

Wina Lokondo

Wina Lokondo

Visiblement, le Congolais ne croit plus au vivre ensemble national. Il se recroqueville sur ses identités premières. Aujourd’hui, quand il dit « Congo », il pense plutôt à son village, à son territoire, à sa province. Quand il crie « peuple congolais », il fait intimement allusion à sa famille, à sa tribu, à son ethnie. On le lit, on le voit, on l’entend à longueur des journées et à travers tous les médias, même à la Rtnc, la chaîne… nationale: « Les ressortissants de telle province fêtent un des leurs nommé à telle fonction »; « Les originaires de tel village soutiennent leur fils tel », que l’acte posé par lui soit honorable ou indigne; « Les membres du Grand Katanga, du Grand Kasaï, du Grand Equateur ou du Grand Kivu s’insurgent contre ce qui se dit sur leur frère untel »,… Le monde a bien écouté récemment, par Internet, le message audio du président du Grand Kasaï invitant Ngoyi Kasanji à prendre ses distances du parti Pprd du Katangais Joseph Kabila et à soutenir « son frère » kasaïen Félix Tshisekedi. Un des animateurs du Grand Katanga, qui s’active – avec une opportune ferveur clairement motivée politiquement – à réconcilier ses frères katangais Joseph Kabila et Moïse Katumbi, a, lui aussi, invité ce dernier, sans user de périphrases, à se débarrasser des non-katangais Olivier Kamitatu et Francis Kalombo qui l’entourent.

Les Congolais ont fait un grand bond en arrière. Les voilà revenus aux premières et sombres années de l’indépendance, aux heures des micro-nationalismes, celles où chacun s’identifiait à une association tribale, à un parti politique ethnique, régional. Le discours identitaire s’est décomplexé. Il est de plus en plus tenu dans différentes couches de la société, et à haute voix par l’élite – politique en particulier.

On est loin, très loin, de l’époque où les attitudes et les propos ethnicistes étaient désavoués, réprimés; où le ministre de l’Enseignement supérieur Djelo Empenge fut révoqué du gouvernement pour « tribalisme avéré ». Ils sont bien révolus les temps où les ondes de l’Office zaïrois de radio et télévision berçaient les Zaïrois, du matin au soir, par le refrain de l’ode mobutienne à l’unité nationale « Tata bo? Moko! Mama bo? Moko! Ekolo bo? Moko! ».

Depuis 1990, la démocratisation du pays a laissé libre cours – la totale liberté d’expression retrouvée aidant – au discours identitaire, lequel s’est amplifié, à l’intérieur du pays, dès que sauta la digue de la « territoriale des non-originaires ». Le gouverneur « fils de la province » Gabriel Kyungu wa Kumwanza – celui qui vient, malgré son grand âge et son passé politique sombrement tumultueux, d’être nommé Président du Conseil d’administration de la Société nationale des chemins de fer! – n’avait pas attendu longtemps pour dire à ses compatriotes kasaïens que « son » Katanga ne les désirait plus. On sait ce que ses propos ont occasionné comme violences et dégâts matériels. Les Kivutiens ont poussé le discours identitaire à son paroxysme. Des associations tribales civiles – animées notamment par des chefs coutumiers aux discours plus diviseurs qu’unificateurs – et des groupes armés ethniques font la loi dans le Grand Kivu, devant l’impuissance des autorités de l’Etat. On en vit les néfastes effets en termes de destruction des espaces géographiques, de violences diverses et de pertes en vies humaines – qui se comptent en millions.

Le Congo souffre également de l’existence des partis politiques de philosophie et de fonctionnement ethniques, dans les faits, bien qu’ils disent, dans leurs textes, avoir une vocation nationale. Le défunt Antoine Gizenga, tout « nationaliste » qu’il prétendait être, ne fut en grande majorité entouré, dans les activités du Palu, que de ses « frères Pende » de la province du Bandundu. Son successeur à la tête du parti ne fut autre personne que son fils biologique Luigi récemment décédé. L’Udps est un autre triste exemple – parmi tant d’autres – d’organisation politique (voulue?) ethnique: plus de 90… des dirigeants de ses structures, au Congo comme à l’étranger, sont des Luba du Kasaï. La base militante du parti l’est tout autant. Son président national, devenu chef de l’Etat du Congo – dans les circonstances que l’on connaît – n’a rien fait pour changer cette négative image de son parti.

Le « président de la République » Félix Tshisekedi ne prend pas conscience, de notre point de vue, de la haute et nationale dimension de la fonction et a difficile à y placer sa personne, à la mettre au-dessus des particularismes politiques, religieux, ethniques. La majorité des personnes qu’il a nommées, jusqu’ici et dans toutes les institutions, sont d’origine kasaïenne. Son programme « présidentiel » des 100 jours a fait la part belle à « sa » province, le Kasaï. Son directeur de cabinet Vital Kamerhe, maître d’œuvre dudit programme, a, lui aussi, privilégié « son » Kivu. Sans raison objective, plusieurs provinces ont tout simplement été ignorées – leurs policiers ne méritent-ils pas de se loger dans de belles maisons préfabriquées? – par la présidence de la République, institution qui, pourtant, est l’incarnation de la nation congolaise dans sa globalité et doit ainsi la refléter à travers sa vision et la composition de ses services, mais qui est actuellement réduite à une chasse gardée des seuls lubaphones et swaliphones. La Maison civile du chef de l’Etat est tout entièrement tenue par sa famille biologique, sa sécurité obligeant, dit-on. Serait-ce la même raison… sécuritaire qui explique le fait que Félix Tshisekedi, comme le fut Antoine Gizenga, ne soit tout le temps et partout entouré que de « ses » frères et amis kasaïens?

Le Congo est aujourd’hui en plein règne des coteries tribales, ethniques. A bas la nation! Comment en est-on arrivé là? L’incapacité de l’Etat national – de ses successifs gestionnaires – à traiter avec égalité ses citoyens et à redistribuer équitablement les richesses nationales, à donner à ces derniers les mêmes chances d’ascension professionnelle et sociale en serait-elle la principale cause?

Dans son discours d’investiture, faisant des éloges à ses prédécesseurs et soulignant l’empreinte positive laissée par chacun d’eux dans le pays, le maréchal Mobutu eut droit, de la part de Félix Tshisekedi, à l’honorable étiquette de « l’homme de l’unité nationale ». De sa demeure de mort marocaine, le « Léopard » doit certainement, le diraient les spirites, être en grande tristesse de voir l’unité de la nation congolaise – son œuvre, la plus grande réussite de sa vie – s’étioler au fil des années suite à l’inconscience d’une lignée de piètres héritiers politiques à qui il a longtemps cru avoir transmis la veine patriotique, la passion de l’unité.

Tous les Congolais ne souffrent heureusement pas de l’ethnicisme, maladie tueuse des nations. Il sied de parler aussi de bons exemples… à suivre. On a vu Jean-Pierre Bemba, arrivant à Kinshasa après avoir mis fin à sa lutte armée, accompagné d’une bonne et longue brochette de compatriotes de provinces et d’ethnies diverses à qui il avait confié de hautes responsabilités au sein de son parti politique, de son cabinet comme vice-président de la République, au sein du gouvernement ainsi qu’à d’autres institutions de la « Transition ». On a vu autour de lui les Olivier Kamitatu, François Muamba, Thomas Luhaka, Dominique Nkanku, Delly Sessanga, Gérard Ntumba, José Endundo, Alexis Tambwe Mwamba, José Makila, Fidel Babala, Mbukani, Ndom Nda Ombel, Jocelyne Nkongolo, Roger Nymi, Albert Mpetsi, Ramazani Baya, Jean-Lucien Busa, Tshimanga Buena, Germain Kambinga, Yves Kisombe et tant d’autres. Pour être en sécurité et servir efficacement le pays, Jean-Pierre Bemba n’aurait-il dû faire confiance qu’aux seuls Ngbaka du Sud-Ubangi et ne s’acoquiner exclusivement qu’avec eux, partout et tout le temps?

L’unité nationale ne se construit pas de soi. Il faut qu’il y ait des dirigeants (des leaders) qui la souhaitent avec une ardente conviction, qui en font une philosophie. Il faut également une forte volonté pour la réaliser. A quoi devrait s’ajouter une méthode, un discours et des actes. Unir les Zaïrois fut une religion de la part du maréchal Mobutu. Il y avait mis toutes ses énergies. Il ressassa l’unité nationale chaque fois il était appelé à parler à ses compatriotes. Il traça des voies à suivre et posa des actes concrets : il veilla tant bien que mal aux équilibres régionaux dans le choix de ses collaborateurs, dans la distribution des fonctions publiques et de divers avantages politiques et matériels; il malaxa les Congolais, dès 1966, par sa décision interdisant aux hauts gestionnaires politiques et administratifs de l’Etat de travailler dans leurs provinces d’origine. Ce qui permit à des millions des Congolais d’aller vivre et de faire carrière partout dans le pays, dans les villes et les villages des autres compatriotes, d’en découvrir les diversités humaines et socio-culturelles, de parler leurs langues. Des milliers de mariages interethniques que l’on connaît au Congo en sont, entre autres, les conséquences heureuses. Les administrateurs politiques et militaires non originaires furent, dans les provinces, des gestionnaires « arbitres neutres » devant les conflits tribaux ou ethniques locaux. Ils n’avaient nul intérêt à les encourager ni à s’y mêler ni à les trancher de façon partisane, contrairement aux originaires qui sont aujourd’hui dans des positions souvent inconfortables de juges et parties: il n’est pas aisé de se prononcer en défaveur de son frère de tribu, de décider contre son groupe ethnique d’appartenance.

La réconciliation avec ses adversaires, même avec ceux qui avaient dit des infamies à sa personne – du moins avec ceux qui acceptaient de rentrer dans le rang, de (re)venir dans son giron – entrait également dans cette même quête passionnée, de la part du président Mobutu, de l’unité de la nation, de la paix politique, première condition de progrès économique et social d’un pays, de l’épanouissement physique, psychologique et intellectuel de tout être humain. « La guerre civile est le mal ultime », a dit Blaise Pascal. Il est donc un devoir pour un dirigeant d’en épargner son pays, par tous les moyens possibles. Le rédacteur de ces lignes a eu le privilège d’écouter les récits de quelques anciens et proches collaborateurs du président Mobutu portant sur des missions qu’ils effectuèrent jadis pour aller convaincre des opposants en exil à l’étranger de (re)prendre langue, directement ou par personne interposée, avec le « Léopard ». Et de qui ils reçurent – plusieurs d’entre eux et souvent – divers avantages politiques, financiers ou matériels. « L’unité nationale a un prix qu’il faut payer pour l’avoir », concluait l’un de ces conseillers avec une satisfaction psychologique personnelle d’avoir modestement contribué, dans le rôle qui fut le sien, à la réconciliation des compatriotes, à mettre fin ou, du moins, à atténuer des adversités qui auraient probablement causé des torts au pays.

Comment retrouver l’unité du peuple congolais aujourd’hui mise à mal? Faut-il réinstituer le principe des autorités provinciales non originaires?  Faudrait-il des lois plus répressives contre le népotisme et le tribalisme qui ont gangréné les cerveaux des Congolais et, par conséquent, les institutions du pays? Pourraient-elles être votées par des parlementaires, les mêmes qui entretiennent ces fléaux, qui, presque tous, ont choisi femmes, enfants, sœurs ou frères comme leurs suppléants députés ou sénateurs – n’ayant ainsi pas, étonnamment, fait confiance à tous les membres de leurs partis politiques respectifs? Le gouvernement pourrait-il initier de telles lois, lui dont les ministres n’ont en surnombre dans leurs Cabinets que des amis, des parents et des ressortissants de leurs patelins? Le « président de la République » Félix Tshisekedi – que « ses frères » du Kasaï tirent politiquement par le bas, qui tiennent, par un zèle fanfaron et inconvenant, à rappeler à chaque occasion sa « kasaïnité » (étiquette incompatible avec la fonction et qui pourrait lui être préjudiciable en 2023) l’empêchant ainsi de se placer au-dessus de la mêlée – qui ne fait pas confiance à ses autres compatriotes, qui, comme ses proches collaborateurs de l’Udps et de la présidence, pense « ethnie » que « nation », a-t-il aujourd’hui les ressorts psychologiques et une légitimité morale nécessaires pour recréer la confiance entre Congolais, pour ressouder la nation qui se désintègre? La messe de requiem de l’unité nationale congolaise est-elle en train d’être dite?

Wina Lokondo – Citoyen congolais

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