Tribalisme, dis-moi qui tu es et que faire de toi

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Le scandale au gouvernorat du Kongo Central qu’on pourrait qualifier de « Mimigate » a suscité une passe d’armes entre Elili et moi. Pour lui, notre pauvre pays a « besoin d’une révolution profonde. Mais le handicap ici est le tribalisme ». J’ai rétorqué que « le tribalisme n’est pas un handicap. Ce qui handicape la bonne marche de la res publica dans un Etat marqué par le phénomène identitaire, c’est plutôt l’absence de réponse des élites dans la gestion dudit phénomène ». Ce fut alors l’occasion pour Elili de s’envoler dans tous les sens, définissant à sa manière le tribalisme; rappelant une mise en garde du dictateur Mobutu à ce sujet; citant le plus grand scandale tribaliste de la république signé Djelo Epenge; voyant dans mes propos de la « théorie générale ou universelle » alors que les siens s’inscriraient dans une « approche pragmatique »; allant jusqu’à m’accuser « d’oublier ou d’occulter le fait que les Kasaïens ont été persécutés et chassés du Katanga dans les conditions inhumaines et inacceptables. Tout simplement parce qu’ils sont Kasaïens ».

L’Encyclopaedia Universalis enseigne que « dans son sens premier, le tribalisme se réfère à la conscience de soi du groupe (tribal), au sentiment d’appartenance et d’identité sociale et culturelle. Le tribalisme exprime une réalité complexe, à la fois culturelle, idéologique et politique. La tribu n’est plus, à la limite, qu’un signifié du passé pré-colonial et des formes sociales élémentaires. Mais les situations coloniale et néo-coloniale ont donné naissance à de nouveaux tribalismes qui ne se réduisent pas à la simple mise à jour des tribalismes antérieurs. Ce phénomène – secondaire – est déterminé par les nouvelles contradictions sociales (d’origine externe) auxquelles les sociétés ethniques ou tribales se trouvent confrontées. Cette deuxième forme de tribalisme devient une forme originale d’expression politique et sociale dont le contexte d’explication n’est pas le passé pré-colonial mais l’Etat national et les luttes de classes qui le traversent ».

En tant que « conscience de soi du groupe », que celui-ci soit tribal ou de toute autre forme, le tribalisme renvoie à « un comportement, une attitude positive ou négative qui crée, dans un milieu social donné, un réseau d’attractions et de répulsions entre les membres de deux ou plusieurs groupes composant ce milieu social. Les membres de chacun de ces groupes se disent liés par le sang, mais ils le sont beaucoup plus par l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes par rapport aux autres ». Deux exemples pour illustrer cette définition.

Une fois en séjour en Allemagne, un ami m’invita à rencontrer un groupe de migrants congolais. L’un d’eux se présenta au nom de « Gipulu ». J’ajoutais aussitôt: « Yala di Giswengi ». Et nous nous embrassâmes chaudement comme si nous nous connaissions de longue date. Pourquoi? Gipulu Yala di Giswengi (Gipulu, l’homme intrépide) est un personnage de la littérature de l’ethnie Bambala. Au prononcé de son nom et du complément d’information que j’apportais, nous avions tous les deux compris que nous étions des frères Bambala. Notre chaude embrassade si loin de la mère patrie des Bambala était une expression du tribalisme dans son aspect positif, celui d’attraction. Ne dit-on pas que qui se ressemble s’assemble?

Deuxième exemple. Djelo Epenge, et non Ndjelo Epenga comme l’a écrit Elili, fut Docteur en droit constitutionnel. Il donnait cours à la Faculté de Droit de l’Université de Kinshasa et dans plusieurs autres institutions d’enseignement universitaire tant au pays qu’à l’étranger en qualité de professeur ordinaire. Il n’était pas ministre de l’Enseignement supérieur et universitaire d’un pays des Tetela, mais du Zaïre sous la 2è République. En octroyant la quasi-totalité des bourses d’études de l’Etat zaïrois pour l’extérieur à ses frères Tetela, il illustrait le tribalisme mais dans son aspect négatif, celui de répulsion des Zaïrois non-Tetela.

Le tribalisme en tant qu’expression de lutte de classe dont il est question ci-haut concerne les élites qui instrumentalisent le « sentiment d’appartenance et d’identité sociale et culturelle » pour se faire une place au soleil. Tel fut l’attitude du dictateur Mobutu qui rêvait de goûter éternellement aux délices du pourvoir en s’entourant avant tout des ses frères Ngbandi. Tel fut récemment le comportement du secrétaire général adjoint de la majorité présidentielle (MP), Joseph Kokonyangi, qui assuma ouvertement ce comportement en faisant obstruction à la campagne électorale de Martin Fayulu dans le Maniema sous prétexte que ce dernier n’était pas un fils de cette province. Les Kasaïens persécutés et chassés du Katanga tout simplement parce qu’ils étaient Kasaïens rentrent aussi dans cet aspect du tribalisme. A ce sujet, il est piquant de constater aujourd’hui que l’auteur intellectuel de ce crime à caractère génocidaire qui devrait moisir en prison depuis longtemps, Kyungu wa Kumwanza, est aujourd’hui adulé et récompensé par un président de la république issu de l’ethnie luba-kasaïenne, sans que les élites de cette ethnie ne s’en offusquent.

Voilà expliqués les trois dimensions du tribalisme. Si jamais on ne dissertait que sur ses deux aspects négatifs dont celui retenu par Elili, faut-il affirmer qu’il s’agit-là d’un handicap pour reformer en profondeur la gouvernance congolaise? Ci-dessous, un exemple qui permettrait de répondre de manière non pas théorique mais pragmatique à cette question. Il s’agit du comportement d’un enfant. Il s’appelle Mayoyo Elikia. Il est né le 15 décembre 2015. Il y a encore quelques mois, quand il fallait allumer ou éteindre la lumière dans une pièce de la résidence familiale, c’était la bagarre assurée entre lui et sa mère. Car il tenait à ce que ce soit son doigt à lui qui appuie sur l’interrupteur dans un sens ou dans l’autre. Pour ce faire, il fallait le porter à hauteur de l’interrupteur. Dans le cas contraire, il y avait péril en la demeure. Il pleurait. Il se roulait sur le pavement. Il cognait sa tête contre le mur. Mais récemment, sa mère qui l’a surnommé « Géant Garçon de Tcha-Tcho », m’a annoncé une bonne nouvelle. Elikia n’avait plus besoin qu’on le porte pour qu’il allume ou éteigne la lumière. Il prend un tabouret et le place contre le mur. Il monte dessus avec un jouet que je lui ai offert qui sert à allonger son petit bras et il actionne l’interrupteur. Une fois l’opération effectuée, il s’écrit fièrement en ces termes: « Et voilà! ».

Quel était le problème d’Elikia? Les individus qui ne sont pas bons observateurs et qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez répondront: le difficile voire impossible accès à l’interrupteur. Mais quand on réfléchit tant soit peu, on se rend compte qu’à un moment donné de l’existence de l’enfant, son intelligence n’était pas suffisamment développée pour actionner seul l’interrupteur. Il était encore immature. Désormais, ce n’est plus le cas. Il a atteint la maturité nécessaire pour actionner seul l’interrupteur. Il en est de même des questions de gouvernance. Et l’un des exemples cités par Elili le démontre suffisamment.

Lorsque le président Mobutu disait: « Tu es ministre, je constate que dans ton bureau, il y a trois personnes de ta tribu, je peux comprendre, mais trouver plus de trois, vous avez des problèmes avec moi… », il démontrait tout simplement qu’il n’était pas un homme politique bien outillé sur une aussi simple question de gouvernance. Un homme politique bien outillé ne perdrait pas son temps à prononcer des discours. Il initierait tout simplement une loi pour combattre le favoritisme tribal ou régional. Une telle loi peut aller jusqu’à l’interdiction pour un ministre d’avoir un membre de cabinet issu de sa province ou de son ethnie. Certes, on nous retorquera que ce ne sont pas les lois qui font défaut au Congo-Kinshasa. Oui, je l’ai déjà écrit. Légiférer ne suffit pas. Encore faut-il mettre en place un système politique qui permette un contrôle effectif du pouvoir du premier des Congolais.

Parlant du drame des Kasaïens expulsés du Katanga parce qu’ils étaient Kasaïens, Elili me demande de lui donner pareil exemple dans les pays que j’ai cités pour avoir réussi à régler la question identitaire (Belgique, Canada et Suisse). Il poursuit: « En Belgique, l’opposition Flamands-Wallons est bien connue, mais les Wallons vivent en Flandre sans être inquiétés parce qu’ils sont Wallons et les Flamands en Wallonie ». Il aurait fallu qu’il parla de la Belgique avant la gestion heureuse de l’identitaire que je cite comme exemple à suivre. Car, avant cette gestion, les Wallons, étudiants et professeurs, furent chassés de l’Université Catholique de Louvain tout simplement parce qu’ils étaient Wallons, aux cris de « Walen Buiten » (Les Wallons dehors!). C’est ainsi que fut construite la ville de Louvain-la-Neuve au début des années 70, pour accueillir la section wallonne de la même université devenue une institution distincte.

Voilà près de six décennies que les Congolais et les autres Africains se lamentent face aux aspects négatifs du tribalisme, du régionalisme et du népotisme. Comme Elikia hier face à l’accès à l’interrupteur. Il y a là une simple question de gouvernance à régler. Mais, immatures, les élites africaines se lamentent ad vitam aeternam. C’est cela la démission de l’intelligence devant les tares du modèle politique hérité de la colonisation.

Dans un prochain article, je vais illustrer par un cas que j’ai vécu moi-même en Belgique comment un Etat responsable lutte contre les injustices liées à l’identitaire. Ce n’est pas comme au Congo-Kinshasa et ailleurs en Afrique où les élites médiocres se bornent à prononcer discours et à s’auto-proclamer nationalistes ou patriotes. Mais avant cela, je salue le Ghana, Etat dans lequel le président de la république ne peut pas composer son cabinet comme il l’entend. Une disposition constitutionnelle exige que ce cabinet reflète la diversité ethnique de la nation. Faut-il s’étonner que le Ghana soit aujourd’hui mieux administré que le pays de Lumumba? Comment ne pas conclure ce texte par cet adage Bambala: « Giyungu mugudala dududu, agwenu mbandji agubambula » (Idiot, toi qui regarde le monde si bêtement, les autres progressent)?

 

Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Happy
Happy
0 %
Sad
Sad
0 %
Excited
Excited
0 %
Sleepy
Sleepy
0 %
Angry
Angry
0 %
Surprise
Surprise
0 %