Un président en quête de majorité parlementaire

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Dans moins de deux semaines, cela fera deux mois que le cinquième président du Congo-Kinshasa, Felix Tshisekedi, aura été investi et qu’il peine à former un gouvernement. La démocratie de façade aidant, les élections présidentielle et législatives verrouillées par le président sortant, élevé au rang de despote par la Constitution même du pays, ont été surtout un gaspillage des deniers publics. Car, la loi-faite-homme nommée Joseph Kabila s’est substituée au peuple, aisément et en toute impunité, pour choisir son successeur ainsi que les parlementaires. Ainsi, les partis dits pro-Kabila, regroupés au sein de la coalition Front commun des cons (FCC), ont obtenu 337 sièges, sur les 500 à occuper, contre 94 pour la coalition Lamuka et 46 pour celle soutenant le nouveau président, le Cap pour le changement (CACH). Mimétisme oblige, les Africains semblent n’avoir d’autre choix que d’observer leurs jeux politiques à travers des lunettes occidentales. A cet égard, le nouveau président a le choix entre former un gouvernement minoritaire ou un gouvernement de coalition.

Le gouvernement de coalition est constitué des membres de plusieurs partis ayant accepté de coopérer en vue d’exécuter un programme commun. Pour que des partis aux idéologies différentes voire antagonistes se mettent ensemble, les négociations peuvent durer longtemps. La Belgique est certainement la championne en la matière, les tractations pouvant s’éterniser pendant toute une année.

Si en Occident le parti reflète un positionnement par rapport aux conflits et aspirations majeurs traversant les nations, ce que traduisent les idéologies, en Afrique, celles-ci, qui existent sur papier, restent suspendues en l’air puisque n’ayant aucun rapport avec le vécu des citoyens. Cela explique que les élites importatrices d’idéologies elles-mêmes ne croient pas en celles-ci et que le parti se révèle être rien d’autre que la chose du fondateur, ce dernier traînant derrière lui une clientèle ethnico-régionale.

Certes, l’histoire du Congo-Kinshasa l’a bien démontré, à côté des formations politiques ethniques et/ou régionaux, il existe d’autres ayant une stature nationale. Parmi ceux-ci, on peut distinguer les partis couverts de discrédit de ceux bénéficiant de la sympathie populaire. Dans le premier cas, on peut citer le Parti National du Progrès (PNP) en 1960, le Mouvement Populaire de la Révolution (MPR) au cours des longues années Mobutu et le Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD) sous le régime de Joseph Kabila. Leur envergure nationale ne repose sur aucune valeur. Elle est soutenue par la puissance financière de leurs maîtres. Celle-ci permet de recruter ou d’acheter des animaux politiques ayant quelque relief pour traîner derrière eux une clientèle éparpillée sur tout le territoire national. Le PNP, soutenu par le pouvoir colonial belge, fut baptisé « Parti des Nègres Payés » ou encore « Penepene na Mundele » (Proche et donc valet de l’homme blanc). Quant au MPR et au PPRD, ils ne valent rien sans l’argent des despotes ou, pour être exact, sans l’argent du peuple que ces derniers utilisaient à des fins privées.

De leur côté, les partis supra-ethniques qui recueillent une sympathie populaire ne se distinguent pas des autres par les idées qu’ils véhiculent. Ils ont tout simplement l’avantage de reposer sur les épaules d’un dirigeant charismatique dont l’ethnie reste disséminée sur toute l’étendue de l’espace national. Tel est le cas du Mouvement National Congolais (MNC) de Patrice Lumumba dans les années 60 et de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) de Tshisekedi wa Mulumba dans les années 90.

Puisque les partis congolais sont des coquilles vides, il en est de même de leurs regroupements tels que CACH, FCC et Lamuka. On comprend dès lors que le marchandage en vue de la formation d’un gouvernement de coalition est d’une très grande facilité. Car les discussions ne portent pas sur la politique à conduire ensemble, mais sur les postes à se distribuer dans le cadre de la politique du ventre. Pourquoi Felix Tshisekedi traîne-t-il alors les pieds? Serait-il aussi nul qu’il le fut en s’imaginant qu’on peut avoir entrepris des études supérieures juste en se faisant fabriquer un faux diplôme?

En arrivant troisième à l’élection présidentielle avec 15% des suffrages exprimés contre 17% pour le candidat du FCC et 61% pour celui de Lamuka et en acceptant l’inacceptable, c’est-à-dire être nommé président de la république par le président sortant et légitimer en contrepartie la fraude électorale de ce dernier aux législatives, le fils de l’éternel opposant Tshisekedi wa Mulumba s’est compliqué la tâche pourtant facile de constituer un gouvernement de coalition. Il doit trouver un équilibre entre être un vrai président de la république et être un masque pour le président sortant.

Le devoir d’ingratitude, qui devrait être aisé à assumer pour un faussaire, tricheur et traître à la nation de sa trempe, oblige Felix Tshisekedi à démontrer qu’il a été à la bonne école de la « Kabilie ». Qu’on se souvienne que lors de l’application de l’Accord de la Saint Sylvestre, Joseph Kabila devait nommer le candidat désigné par l’opposition comme Premier ministre. Mais le despote avait exigé que l’opposition lui présenta une liste de candidats parmi lesquels il devait faire son choix. Il avait fini par débaucher un opposant. A Tshisekedi de demander à son tour que pour chaque poste ministériel alloué au FCC dans le cadre du pacte diabolique qui l’a conduit à occuper le fauteuil présidentiel, cette coalition lui présente non pas un candidat mais une liste de candidats.

La formation du gouvernement au lendemain de l’élection présidentielle de 2011, qui avait vu la victoire de Tshisekedi wa Mulumba volée par le despote Joseph Kabila, constitue la deuxième grande leçon de la « Kabilie ». Dans la majorité présidentielle, les chefs étaient obligés de s’effacer au profit d’autres membres de leurs partis respectifs. Libre à Felix Tshisekedi de faire comprendre à Joseph Kabila qu’il a bien assimilé cette grande leçon de « démocratie banania », en exigeant de ce dernier que tous les ténors du FCC s’effacent à leur tour au profit de nouvelles figures.

Deux autres défis de taille attendent Felix Tshisekedi. Le premier est d’empêcher que le sénateur à vie Joseph Kabila soit hissé au perchoir du sénat. Connaissant la culture politique du pays d’origine de ce dernier et sachant que le président du sénat assure l’intérim du président de la république en cas de décès ou d’incapacité, grande sera la probabilité d’un assassinat en cas de désaccord majeur dans l’exécution du pacte diabolique. Deuxième défis, Tshisekedi doit empêcher par tous les moyens la révision constitutionnelle qu’a toujours caressée Joseph Kabila afin de s’éterniser au pouvoir. Du haut de la majorité parlementaire frauduleuse du FCC, il peut désormais changer la Constitution de manière que le successeur de Felix Tshisekedi, c’est-à-dire lui-même, n’accède pas au sommet de l’Etat à la faveur du suffrage universel même truqué, mais tout simplement en étant le chef du parti ou de la coalition des partis ayant gagné les législatives. Comme en Angola ou en Afrique du Sud.

On l’aura compris, si Felix Tshisekedi ne s’était pas compliqué la tâche à travers son pacte avec le diable, c’est-à-dire s’il avait gagné la présidentielle à la loyale, il lui aurait été aisé de faire imploser le panier à crabes qu’est le FCC même au point de renvoyer les caciques du PPRD ou de l’ancienne majorité présidentielle suivre une cure d’amaigrissement dans l’opposition, message que notre peuple a pourtant clairement envoyé à travers la vérité des urnes.

 

Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

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