Vous avez dit la « communauté Banyamulenge »?

Un courrier, daté du 26 mai 2019, adressé à « son excellence » Azarias Ruberwa Manywa suscite la controverse sur les réseaux sociaux. La missive émane du tout nouveau gouverneur de la province du Sud-Kivu, le FCC Théo Ngwabidje Kasi. L’objet de la lettre porte sur la partage des postes ministériels au Sud-Kivu.

Pour ceux qui ne le savent pas, Ruberwa assume les fonctions de ministre de la Décentralisation dans le gouvernement démissionnaire du Premier ministre Bruno Tshibala. Il dirige, à titre intérimaire, le ministère de la Justice.

Inutile de rappeler que le FCC (Front commun pour le Congo) est un cartel politique qui a pour « autorité morale » l’ancien président « Joseph Kabila ».

Dans cette correspondance, le chef de l’exécutif provincial du Sud-Kivu rappelle au ministre Ruberwa qu’il n’a « toujours pas reçu les propositions de trois noms, par poste » pour les ministères suivants: Justice et droits humains; Travail, prévoyance sociale et réconciliation et Fonction publique.

Le gouverneur Ngwabidje Kasi de préciser, noir sur blanc, que ces portefeuilles ont été attribués « à la communauté Banyamulenge » vivant dans les territoires de Fizi et Uvira. Stupéfiant!

En parcourant la composition du gouvernement provincial de cette région située à la frontière du Rwanda, il est aisé de constater que les « maroquins » sont attribués à des partis politiques ainsi qu’à des regroupements politiques. « Les partis politiques concourent à l’expression du suffrage,(…)« , stipule notamment le troisième alinéa de l’article 6 de la Constitution. L’article 12 de la loi électorale d’enfoncer le clou en soulignant dans ses points 1 et 2 que « le candidat se présente(…)soit individuellement pour le candidat indépendant soit sur la liste d’un parti politique ou d’un regroupement politique de la circonscription électorale qu’il a indiquée dans sa déclaration de candidature ».

Existe-t-il dans la province du Sud-Kivu un parti ou un regroupement politique dénommé « la communauté Banyamulenge »? Si la réponse est oui, cette organisation est-elle enregistrée, en tant que formation politique, par les autorités compétentes? Si, en revanche, la réponse était non, des questions méritant d’être posées: au nom de quel principe des portefeuilles ministériels sont réservés à cette « communauté » dont l’existence et le leader restent inconnus? Pourquoi le gouverneur Ngwabidje s’est-il cru en droit de s’adresser à Azarias Ruberwa qui est président du RCD-Goma?

Qu’on se comprenne bien. Le but poursuivi ici n’est nullement de stigmatiser un homme ou une communauté humaine. Il s’agit d’attirer l’attention des gouvernants congolais sur une situation potentielle de déloyauté.

Le mot « Banyamulenge » est entré dans le vocabulaire zaïro-congolais lors du déclenchement de la guerre dite de l’Est à la fin du mois de septembre 1996.

A partir de Kigali, un certain Müller Ruymbika, agissant au nom du parti ADP (Alliance démocratique des peuples) de Déogratia Bugera, un « Munyamulenge », émettait des communiqués repris complaisamment par l’AFP.

Dès le mois d’octobre 1996, les Zaïrois d’alors apprenaient la naissance d’un mouvement rebelle dénommée AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo) animé par des « Banyamulenge ». Ceux-ci se battaient arme à la main, clamait une certaine propagande, pour reconquérir leur « citoyenneté zaïroise ».

Le mouvement est dirigé dans un premier temps par le lumumbiste André Kisase Ngandu. Celui-ci sera éliminé en janvier 1997 pour laisser la place à un « revenant politique » en l’occurrence Laurent-Désiré Kabila, promu « spokesman » des « rebelles Banyamulenge ».

Pour la petite histoire, l’AFDL est une trouvaille des dirigeants actuels de l’Ouganda et du Rwanda. Le président Yoweri K. Museveni n’a cessé de se vanter d’avoir recommandé LD Kabila auprès du général Paul Kagame, alors vice-président et ministre de la Défense du Rwanda.

Pour les besoins de la cause, une certaine propagande allègue que les « Banyamulenge », seraient, en fait, une communauté tribale d’expression banyarwanda. Les membres de celle-ci occupaient, souligne-t-on, les hauts plateaux d’Uvira… avant l’ère coloniale. Et pourtant. Aucun recensement établi avant le 18 octobre 1908 ne fait mention de l’existence de cette « communauté » parmi les groupes tribaux qui s’identifient à un espace territorial situé dans l’ex-Grand Kivu.

Après la pseudo « libération » du 17 mai 1997, les Zaïro-Congolais n’ont plus entendu parler des « Banyamulenge » et de leur revendication. Encore moins de Ruymbika Müller. Reste que quelques têtes d’affiche de cette mystérieuse communauté sont restées en place. C’est le cas notamment de: Déogracia Bugera et Bizimana Karaha. Azarias Ruberwa est le « survivant » le plus visible à Kinshasa.

Vice-président de la République en charge de la Défense et sécurité sous la transition « 1+4 » (juin 2003-décembre 2006), Ruberwa assume actuellement les fonctions ministérielles citées précédemment.

C’est devenu un secret de Polichinelle de révéler qu’ « Azarias » se considère avant tout comme le garant des intérêts des prétendus « Banyamulenge ». L’homme n’a jamais fait mystère de sa loyauté envers le Rwanda de Paul Kagame.

Le 21 mars 2003, le journal kinois « Le Soft » publiait une déclaration pour le moins étrange de Ruberwa en sa qualité de secrétaire général du RCD-Goma. C’était avant la formation du gouvernement de transition issu des négociations de Sun City: « Sans nous, il n’y aura pas d’intégrité ni de réunification du territoire congolais ». L’homme suspectait « Joseph Kabila » et Jean-Pierre Bemba de vouloir mettre le RCD-Goma hors jeu au lendemain de la signature du fameux « accord de l’hôtel Cascade ».

Après le massacre survenu à Gatumba, au Burundi, Ruberwa accusa notamment des Congolais d’y être impliqués. Et ce en dépit des faits contraires démontrés par un rapport de l’ONG Human Right Watch. « C’est un crime transfrontalier. Surtout c’est un génocide, car seuls les Banyamulenge ont été attaqués », fulminait-il. (Voir J.A/L’Intelligent n°2280 du 19 au 26 septembre 2004).

Mulenge est un village situé dans le territoire habité par les membres de la tribu Bafuliiro. « Banyamulenge » signifie « ceux de Mulenge » en langue Kinyarwanda.

C’est bien dommage que les Zaïro-Congolais « aiment » s’auto-manipuler en empruntant les « éléments de langage » de ceux qui rêvent de les asservir. D’autres l’ont déjà dit: il n’y a jamais eu de groupe tribal dénommé « communauté Banyamulenge » au Congo-Zaïre. Tout le reste relève de la pure imposture.

La lettre du gouverneur Ngwabidje a le « mérite » de révéler que le gouvernement provincial du Sud-Kivu compte en son sein des « citoyens » à la « loyauté flottante ». Une réelle menace non seulement pour la sécurité nationale mais surtout pour l’intégrité du territoire…

 

Baudouin Amba Wetshi

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