Assassinat de deux experts onusiens: La Cour militaire de Kananga jette le masque!

Depuis le mois de juin 2017, la Cour militaire à Kananga peine sciemment non seulement à faire éclater la vérité sur les circonstances exactes de l’assassinat de deux experts onusiens mais aussi à déterminer les responsabilités. Depuis bientôt trente mois, cette juridiction militaire déploie, sans succès, son talent d’imagination pour identifier le « mobile » qui aurait poussé des supposés miliciens Kamuina Nsapu à ôter la vie à Zaïda Catalan et Michaël Sharp. Ces derniers étaient chargés par le Conseil de sécurité des Nations Unies d’enquêter sur des allégations de graves violations des droits humains au Kasaï. Dans ce procès aux allures de « cirque », le ministère public est placé sous la supervision de l’auditeur général Timothée Mukuntu Kiyana. Ancien membre du Conseil national de sécurité, ce magistrat militaire est un proche parmi les proches de l’ex-président « Joseph Kabila ». L’homme a l’habitude de jouer le rôle de « sapeur pompier ». Lors de l’attaque qui avait coûté la vie au colonel Mamadou Ndala, c’est Mukuntu qui était descendu sur le théâtre du crime. Dans le cas sous examen, sa présence semble avoir pour but d’écarter toute idée d’implication des autorités politico-administratives dans ce double homicide. Qui avait intérêt à « museler » les deux experts?

Zaïda Catalan et Michaël Sharp

« Aucune autorité politico-administrative ni un membre quelconque du gouvernement congolais n’a utilisé le prévenu Jean Bosco Mukanda et sa milice pour exécuter les experts onusiens et leurs accompagnateurs congolais ». C’est la déclaration pour le moins tendancieuse faite par le président de la Cour militaire de l’ex-Kasaï Occidental, le colonel magistrat Jean Paulin Ntshayikolo. C’était lors de l’audience publique du mercredi 30 octobre dernier à Kananga.

Dans un procès, le juge est supposé jouer le rôle d’ « arbitre » entre les parties en conflit. Il va trancher le différend les opposant en appliquant la loi au vu des éléments probants avancés par les protagonistes. A Kananga, le président de la Cour militaire préfère déroger à cette règle en affichant un parti pris certain. Ce magistrat  a pris la résolution de laver les autorités politico-administratives de tout soupçon.

MAGISTRATS EN « MISSION COMMANDÉE »

Qui sont ces autorités politico-administratives? Depuis l’exécution de ces deux agents onusiens, l’ancien patron de l’ANR (Agence nationale de renseignements), Kalev Mutond, est pointé du doigt par de nombreux observateurs. En cause, les contacts que les barbouzes de cette Agence ont eu avec les deux fonctionnaires la veille et le jour de leur départ vers Bunkonde.

Comme pour reprocher au juge-président Ntshayikolo de lui avoir volé la vedette auprès de la « hiérarchie », le représentant du ministère public, le colonel Cyprien Muwau, a enfoncé le clou en affirmant de manière péremptoire que l’accusé Jean-Bosco Mukanda « avait infiltré les autorités publiques » pendant qu’il était à la tête de la milice accusée d’avoir occis les deux experts à Moyo Musuila.

Quelle mouche a pu piquer le colonel Ntshayikolo pour prononcer une sorte de « pré-verdict »? Le magistrat a-t-il senti que l’étau commençait à se resserrer autour des véritables « commanditaires » de ce double crime?

Piqué au vif par la plaidoirie de l’avocat Antoine Buandeku, conseil du prévenu Mukanda qui venait de regretter, en des termes pleins de sous-entendus, que son client est « payé en monnaie de singe » en dépit des « services »  qu’il a rendus à l’Etat congolais.

Une chose parait certaine: le président de cette Cour militaire a décliné, bien malgré lui, l’objet de la mission lui confiée. Celle-ci consiste à déclencher une sorte de « coupe-feu » entre les lampistes jugés depuis trente mois et certains « voyous à col blanc ».

LA LISTE DE L’AMBASSADEUR NIKKI HALEY

Colonel Jean de Dieu Mambweni

En disculpant de manière aussi malhabile les « autorités politico-administratives », le juge-président de cette juridiction militaire vient de jeter le masque en avouant de manière implicite que le procès en cours à Kananga n’est qu’une immense farce. La finalité consiste à mettre hors cause certains individus sur lesquels pèsent  de graves soupçons. Et ce depuis la « disparition », le 12 mars, de Zaïda Catalan et Michaël Sharp à la « découverte » de leurs corps sans vie. C’était le 24 mars 2017.

Pour la petite histoire, lors d’une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU à New York, Nikki Haley, alors représentante permanente des Etats-Unis à l’Onu avait laissé entendre qu’elle avait remis à Léonard She Okitundu une liste comportant les noms des « suspects » identifiés par le FBI. Selon certaines indiscrétions, le nom de Kalev Mutond serait en tête.

Sur le banc des accusés, il n’y a, pour le moment, que des « lampistes ». A savoir notamment, le colonel Jean de Dieu Mambueni et Jean-Bosco Mukanda. Cet officier, aux allures de « pauvre bougre », est accusé d’avoir « sciemment » appâté les deux fonctionnaires de l’ONU en leur conseillant d’aller enquêter là où la mort violente les attendait.

Des observateurs de cette affaire semblent minimiser une vaste opération de diversion orchestrée par des officines à barbouzes. Cette opération se déroule en trois actes.

Premier acte: L’annonce faite par le président de l’Assemblée provinciale du Kasaï selon laquelle 39 policiers auraient été décapités sur la route de Mwene Ditu par des miliciens Kamuina Nsapu. C’était le 22 mars 2017. Vingt-huit mois après la « mort » de ces policiers, l’identité des victimes n’a jamais été divulguée. Pire, la cérémonie d’inhumation n’a jamais eu lieu. Quarante-huit heures après, soit le 24 mars, les corps sans vie des deux experts « disparus » depuis le 12 mars seront « découverts ». Quelqu’un voulait-il « conditionner » l’opinion avant la diffusion de la mauvaise nouvelle?

UN BOUC ÉMISSAIRE

Clément Kanku Bukasa wa Tshibwabwa

Deuxième acte: Le procureur général de la République, le PPRD Flory Kabange Numbi, s’empresse d’ouvrir une information judiciaire contre le député national Clément Kanku. Et ce sur la base d’un article publié dans « New York Times » daté du 20 mai 2017 mettant en cause ce parlementaire dans la mort des deux experts. Un parfait bouc émissaire est trouvé. Et pourtant, des faits laissaient apparaître que l’élément déclencheur de la crise est ailleurs. Il s’agit du refus notamment du ministre de l’Intérieur d’alors, Evariste Boshab, d’agréer le statut de Chef coutumier conféré à Jean-Pierre Pandi, conformément aux traditions.

Troisième et dernier acte: Le 24 avril 2017, le ministre de la Communication et des médias de l’époque, Lambert Mende Omalanga, organise une séance de diffusion d’une vidéo devant des représentants du corps diplomatiques. Il s’agit du « film » retraçant l’exécution de Zaïda Catalan et de Michaël Sharp. Comme pour répondre à la communauté internationale qui blâmait « Kabila » et son régime d’avoir fait un « usage disproportionné » de la force contre les partisans du Chef J-P Pandi, Mende lance: « […], nous avons voulu montrer quelle est la nature de cette violence que subissent les Kasaïens aujourd’hui ». « Pourquoi seul le Congo est appelé à négocier avec des terroristes? Nous devons les réprimer. C’est ça notre devoir ».

Plus de trente mois après l’ouverture du procès sur l’affaire Catalan & Sharp, la Cour militaire de Kananga se débat pour imaginer le « mobile » ayant incité les Kamuina Nsapu à tuer les deux experts de l’ONU venus justement enquêter sur des allégations sur l’existence de fosses communes.

N’en déplaise au colonel Ntshayikolo qui s’est évertué à disculper les « autorités politico-administratives », Jean-Bosco Mukanda, suspecté de participation à ce double crime, a reconnu au cours de ses auditions qu’il avait évoqué ces assassinats avec des « personnalités civiles ». Lesquelles? Il semble que les noms des intéressés ont été communiqués à la Cour militaire. Par écrit. On imagine que le colonel Ntshayikolo s’est assis dessus.

On ne le dira jamais assez qu’il faut dépolitiser la justice congolaise. Cette dépolitisation passe par une profonde restructuration.

Question finale: quelle est le mobile qui aurait poussé les supposés miliciens Kamuina Nsapu à éliminer physiquement les deux fonctionnaires de l’ONU? La haine? La vengeance? Le vol? La passion? Allons donc! On pourrait poser la même question en ce qui concerne l’ex-patron de l’ANR…

 

Baudouin Amba Wetshi

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