Congo-Kinshasa: S.O.S pour le colonel John Tshibangu

Détenu depuis le 5 février 2018 dans un cachot secret du service de renseignements militaires (ex-Demiap) dirigé par le « général » patibulaire Delphin Kayimbi avant d’être transféré à la prison militaire de Ndolo, le colonel dissident John Tshibangu, 54 ans, attend toujours son jugement. Après vingt-mois d’incarcération dans des conditions inhumaines, cet officier « est sérieusement malade ». Son état de santé ne cesse de se détériorer, assurent ses proches qui lancent un véritable « S.O.S » afin qu’il bénéficie de liberté provisoire afin de recevoir des soins médicaux appropriés. Il semble que le président Felix Tshisekedi aurait ordonné, il y a trois semaines, sa remise en liberté. Le cas Tshibangu témoigne que l’ex-président « Joseph Kabila » continue à influer sur l’appareil d’Etat à travers quelques hommes liges. C’est le cas notamment de l’auditeur général des FARDC, le « général » Timothée Mukuntu Kiyana.

Vendredi 29 novembre au début de la soirée, l’auteur de ses lignes reçoit un appel téléphonique (00243…) émanant d’un correspondant qui dit s’appeler « Chancelier ». Voici son message: « Je vous appelle pour vous signaler que le colonel John Tshibangu n’a jamais été libéré. Le président Felix Tshisekedi a demandé aux magistrats de le relaxer. Les avocats de la défense ne cessent de formuler la même demande. Le président de la haute cour militaire de la garnison de Kinshasa, le colonel Joseph Mutombo, s’y oppose. Il refuse de convoquer l’audience pour ce faire ».

Notre correspondant non-autrement identifié de conclure: « Ne soyez pas surpris d’apprendre, un de ces quatre matins, que le colonel John Tshibangu est mort. Au moment où nous parlons, il pisse du sang ».

« Joseph Kabila » et le président tanzanien John P. Magufuli. Photo d’archives

Arrêté le 29 janvier 2018 en Tanzanie, le colonel dissident John Tshibangu a été livré, une semaine après soit le 5 février, tel un « colis », au régime despotique de « Joseph Kabila ». On se demande bien combien ce dernier a dû débourser pour « motiver » son homologue tanzanien John P. Magufuli – qui serait, semble-t-il, un démocrate – à transgresser la Déclaration universelle des droits de l’Homme (article 14) en transférant à Kinshasa un homme qui risquait de faire l’objet de « persécution » dans son pays.

Le 6 février, Alexis Thambwe Mwamba, alors ministre de la Justice, a animé un point de presse. Selon lui, Tshibangu faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international lancé par la justice congolaise. Et qu’il a été arrêté conformément à l’Accord-cadre pour la paix, et la sécurité au Congo-Kinshasa et dans la Région signé le 24 février 2013 à Addis-Abeba, en Ethiopie. « Joseph Tshibangu sera déféré devant son juge naturel pour un procès juste et équitable. Il sera assisté par des avocats de son choix », ainsi parlait Thambwe.

« CHASSER ‘KABILA’ DU POUVOIR »

Quelques jours avant son arrestation, « John » avait diffusé une vidéo dans laquelle il jurait de « chasser » « Joseph Kabila » du pouvoir endéans 45 jours sauf si ce dernier demandait « pardon » pour la répression de la manifestation pacifique du 31 décembre 2017. Notons que le dernier mandat de « Kabila » avait expiré le 19 décembre 2016. Les manifestants lui demandaient de respecter le prescrit constitutionnel et de laisser organiser l’élection présidentielle.

Le « clan Kabila » reproche à cet officier en dissidence d’avoir « outragé » le chef de l’Etat d’alors et d’avoir monté une « tentative de coup d’Etat ».

Seulement voilà, plus de vingt mois après son « rapatriement » menottes aux poignets, Tshibangu est, sans doute, assisté par des « avocats de son choix ». En revanche, il n’est toujours pas « déféré devant son juge naturel ». Le « procès juste et équitable » annoncé fièrement par Alexis Thambwe n’a toujours pas eu lieu. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable par le juge compétent », peut-on lire au deuxième alinéa de l’article 19 de la Constitution congolaise.

Alexis Thambwe Mwamba, alors ministre de la Justice

Les avocats de la défense ont sollicité, en vain, la liberté provisoire de leur client pour raison humanitaire. Il semble que le ministère public n’y verrait aucun inconvénient. Selon des proches du colonel, c’est le président de la Haute cour militaire de la garnison de Kinshasa, un certain colonel Joseph Mutombo, qui s’y opposerait alors que l’affaire se trouve encore au stade pré-juridictionnel. Le prévenu n’est ni jugé ni condamné. Il clair qu’il s’agit d’un dossier politico-judiciaire.

QUI EST JOHN TSHIBANGU?

Agé de 54 ans, natif du « Grand Kasaï », John Tshibangu a commencé à servir sous le drapeau, en 1988, dans les rangs de l’armée zaïroise. Après l’Ecole de formation des officiers à Kananga (EFO), il a rejoint le « Sarm » (Service d’action et de renseignements militaires) qui l’a envoyé en Israël pour suivre une formation de commando. « John » appartenait aux « forces spéciales ».

Le 17 mai 1997, le pouvoir suprême changea des mains à Kinshasa. Soutenu par les armées de l’Ouganda et du Rwanda, l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL) de Laurent-Désiré Kabila s’est emparé du fauteuil abandonné par Mobutu Sese Seko. Ce changement de régime trouva Tshibangu à Uvira, province du Sud-Kivu.

Fin juillet 1998, c’est la rupture entre Mzee Kabila et ses anciens parrains ougandais et rwandais. Une nouvelle « rébellion congolaise » voit le jour… à Kigali sous la dénomination « RCD » (Rassemblement congolais pour la démocratie). Pour avoir renâclé d’adhérer au RCD, « John » est arrêté et jeté en prison à Goma. Il réussit à s’évader et rejoignit le RCD/K-ML d’Antipas Mbusa Nyamuisi. Ce détail de l’Histoire montre déjà l’aversion que l’homme éprouvait face à toute ingérence rwandaise dans les affaires congolaises.

Après le dialogue inter-congolais, le gouvernement de Transition « 1+4 » (un Président et 4 vice-Présidents) est mis en place en juin 2003. C’est le retour à Kinshasa.

« LA VÉRITÉ DES URNES »

En 2006 et 2011, les Congolais sont allés aux urnes pour élire le Président de la République et les membres des deux chambres du Parlement. Dans les deux cas, « Joseph Kabila » fut proclamé « vainqueur » face successivement à Jean-Pierre Bemba Gombo et Etienne Tshisekedi wa Mulumba. En novembre 2011, la « victoire » de « Kabila » est qualifiée de « hold-up électoral ». Le pays replongea aussitôt dans une crise de légitimité.

En juin 2012, on assiste à la naissance d’une rébellion pro-rwandaise dénommée M23 (Mouvement du 23 mars). Les initiateurs sont des anciens combattants du CNDP (Congrès nationale pour le défense du peuple) de Laurent Nkunda.

Au cours du même mois de juin, 127 officiers supérieurs sont convoqués à Kinshasa afin de prendre part à la « deuxième session du séminaire sur la réforme de l’armée ». Tshibangu en fait partie.

Au centre, le « colonel » Sultani Makenga, ex-chef militaire du M23

A l’issue du colloque, le colonel sollicita une audience auprès de « Kabila ». Que voulait-il? Officier loyaliste, « John » a cru qu’il était de son devoir faire-part au « commandant suprême des FARDC » d’une « proposition incongrue » qui lui a été faite par un « général » non-autrement identifié. Il s’agissait d’aller livrer des armes et des munitions aux combattants du M23 au Nord-Kivu. Pendant ce temps, les militaires envoyés en opération contre les « mutins » du M23 se plaignaient de recevoir des ordres contradictoires  chaque fois qu’ils avaient l’avantage sur l’ennemi. 

TSHIBANGU TROUBLÉ PAR L’INDIFFÉRENCE DE « KABILA »

Selon des sources, « John » serait sorti « troublé et dégoûté » par « l’indifférence » affichée par le « commandant suprême des FARDC » lors de cette entrevue. Avait-il acquis la conviction que son interlocuteur était de connivence avec le M23 et que le loup était dans la bergerie?

Ouvrons la parenthèse. « Joseph Kabila » attendra le mois d’octobre 2012, soit quatre mois après le déclenchement de la « rébellion » du M23, avant de s’exprimer devant quelques représentants de la presse kinoise. Dans une interview accordée au quotidien bruxellois « Le Soir » daté du 6 novembre 2013, l’ancien chef des services de renseignements rwandais, le colonel Patrick Karegeya, avait déclaré, que « le CNDP de Laurent Nkunda comme le M23 c’est lui [Ndlr: Paul Kagame] qui les soutient. Il tient les commandes. (…) ». Fermons la parenthèse.

En août 2012, Tshibangu entre en dissidence. Il créé l’APCCD (Armée du peuple congolais pour le changement et la démocratie). Il est aussitôt traqué par 300 éléments des « forces spéciales » des FARDC. Sur le plan judiciaire, il est accusé « d’atteinte à la sûreté de l’Etat » et, comble d’ironie, « d’intelligence avec les agresseurs du M23 ».

Dans une interview accordée à l’auteur de ces lignes le 18 août 2012, l’officier dissident ajouta à son combat « la vérité des urnes » pour l’élection présidentielle du 28 novembre 2011. « La population congolaise demande le changement. Le 28 novembre 2011, Etienne Tshisekedi wa Mulumba a été élu président de la République. Notre objectif est de l’installer à la tête de l’Etat », résumait-il au téléphone.

Fin octobre 2017, une source sécuritaire confiait à Congo Indépendant que « Kabila » a dépêché un « escadron de la mort » à Nairobi, au Kenya. Mission: éliminer John Tshibangu. Le 29 janvier 2018, celui-ci est arrêté en Tanzanie. Il était porteur d’un passeport centrafricain.

« FELIX TSHISEKEDI DIRIGE-T-IL VRAIMENT CE PAYS »?

Kabila et Tshisekedi

Au moment de boucler ces lignes, une source kinoise, native du « Grand Kasaï », envoie un message audio. La source tonne littéralement: « J’ai été ce vendredi 29 novembre à 17 heures à la prison de Ndolo pour rendre visite au colonel John Tshibangu. Au moment où je vous parle, John est, depuis jeudi, très sérieusement malade. Il a le ventre gonflé et pisse du sang. Nous nous posons mille et une questions ».

Et de poursuivre sur un ton empreint de colère et de désillusion: « En quoi Felix Tshilombo Tshisekedi est-il commandant suprême des FARDC? Je le dis crûment parce que cela fait trois semaines qu’il avait ordonné à l’auditeur général Timothée Mukuntu Kiyana de libérer Tshibangu. J’étais présent lorsque le ministère public avait décidé la remise en liberté du colonel. Cela fait exactement trois semaines. Rien ne se passe. Comment peut-on expliquer que l’auditeur général des FARDC rechigne à exécuter les ordres d’un Président de la République? Dites-moi franchement, Tshisekedi Tshilombo dirige vraiment ce pays? Comment se fait-il qu’un Président de la République donne l’ordre à l’auditeur général de l’armée de libérer un prisonnier à caractère politique et l’auditeur ne s’exécute pas? Et de conclure: Cela veut dire que le chef de l’Etat n’a aucun pouvoir ».

C’est un véritable S.O.S que les amis et proches du colonel John Tshibangu lancent afin d’obtenir la libération de ce dernier dont l’état de santé appelle une urgente prise en charge médicale. Seront-ils entendus?

 

Baudouin Amba Wetshi

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