Gécamines: Des fûts d’uranium disparus?

Le 3 juin dernier, le porte-parole à la Présidence de la République Tharcisse Kasongo Mwema Yamba-Yamba rendait public l’ordonnance portant nomination les membres de la « nouvelle » équipe dirigeante de la Gécamines. Une semaine après, on apprenait sur les réseaux sociaux, que dix fûts contenant de l’uranium auraient disparu d’un « coffre-fort » de cette ancienne entreprise publique, devenue une société anonyme. A tort ou à raison, certains qualifient ces « révélations » de « pure spéculation ». D’autres restent prudents. Pour ces derniers, « il n’y a pas de fumée sans feu ». Au cours de ces deux dernières décennies, le site uranifère – officiellement fermé – de Shinkolobwe, dans le Haut-Katanga, n’a cessé d’attiser des convoitises. Des faits parlent d’eux-mêmes.

Notre confrère « Katanga Post » qui a été le premier à « lever le lièvre » dit se référer à des « sources sûres » au sein de la Gécamines. Ces sources font état de la « disparition miraculeuse de dix fûts » contenant de l’uranium. Sans précision de date et de lieu.

A en croire ce média, le produit subtilisé aurait déjà été mis en vente pour un montant estimé « à plus d’un milliard de dollars américains ». Où? Qui est le vendeur? Quid de l’acheteur? Triple mystère. Se reportant à ses « sources », notre confrère de suspecter « certaines autorités publiques » d’avoir facilité cette opération. Aucun nom n’est cité.

L’ « information » rapportée par cet organe de presse diffusé sur les réseaux sociaux survient au lendemain de la désignation controversée des membres  du « nouveau » comité de gestion à la Gécamines et à la SNCC (Société nationale de chemin de fer congolais). Les ordonnances signées par le chef de l’Etat ont été chahutées plus à raison qu’à tort.

Il importe d’ouvrir la parenthèse ici pour relever que, d’après un expert, depuis 2012, la Gécamines et la SNCC notamment sont devenues des sociétés commerciales ou anonymes dans le cadre de l’Ohada (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des Affaires). Selon ce spécialiste, il incombait au ministre du Portefeuille d’écrire aux conseils d’administrations respectifs de ces ex-sociétés d’Etat. Cette dernière démarche devait être précédée par la délibération au Conseil de ministres et la désignation de nouveaux mandataires publics par l’Etat qui est l’unique actionnaire. Les ordonnances présidentielles ne devaient intervenir qu’à ce dernier stade. Pour notre analyste, le seul « mérite » de ces décrets présidentiels querellés est d’avoir mis fin à l’omnipotence d’Albert Yuma Mulimbi sur la Gécamines. Fermons la parenthèse.

« CONGLOMÉRAT D’AVENTURIERS »

Laurent-Désiré Kabila (Mzee)

Revenons à « l’affaire uranium ». Depuis l’arrivée au pouvoir de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre) le 17 mai 1997, le pays a vu déferler sur son territoire des hommes au parcours énigmatique. Exaspéré par les abus, le Mzee LD Kabila finit par qualifier ces individus hétéroclites de « conglomérat d’aventuriers ». Des aventuriers qui considéraient et continuent à considérer l’ex-Zaïre comme une nouvelle « caverne d’Ali Baba ». L’uranium ne laisse pas indifférent ces flibustiers tapis jusqu’au sommet de l’Etat.

Le 16 janvier 2001, le président LD Kabila meurt dans des circonstances mystérieuses. Le 26 janvier, il est remplacé  par « son fils ».

En mai 2005, le Congo-Kinshasa s’achemine lentement mais sûrement vers la fin du régime de Transition dite « 1+4 » [Ndlr: un Président et quatre vice-Présidents]. Dans une lettre datée du 23 mai 2005 adressée au « titulaire » de l’Intérieur, le vice-ministre de l’Intérieur et décentralisation d’alors, Patrick Mayombe Mumbyoko, tirait déjà la sonnette d’alarme sur les activités de deux sujets libanais, domiciliés à Lubumbashi. Il s’agit de Mohamed Hammoud alias « Momo » et d’Ali Hammoud. Les deux frères exportaient des produits ferreux mais aussi « une quantité importante d’uranium ».

Les deux expatriés furent arrêtés. Des instructions furent données pour leur transfert à Kinshasa. Au motif qu’ils menaçaient la sécurité nationale. Le vice-ministre Mayombe dit avoir observé, par la suite, « une forte agitation » tant au niveau du gouverneur du Katanga de l’époque, Urbain Kisula Ngoy, que de la Présidence de la République où « trônait » Augustin Katumba Mwanke. « L’agitation autour de ces Libanais et le refus du gouverneur du Katanga de les acheminer à Kinshasa prouve à suffisance l’implication des autorités dans les milieux de la présidence de la République dans ce dossier et risque d’accréditer la thèse selon laquelle la RDC est devenue le sanctuaire des terroristes(…)« , conclut Patrick Mayombe.

Au mois de janvier 2006 soit six mois avant le premier tour de l’élection présidentielle, la société « Camec » (Central African Mining and exploration Company PLC) écrit, sous la plume d’un certain Billy Rautenbach, à l’administrateur délégué général de la Gécamines (ADG). L’objet de la missive est sans équivoque: « Développement de Shinkolobwe ».

Pour la petite histoire, Shinkolobwe est cette localité du Katanga où les hauts dirigeants de l’Union minière du Haut-Katanga (rebaptisée Gécamines en 1966) purent extraire de l’uranium qui servit à la fabrication de la bombe atomique larguée à Hiroshima, au Japon.

L’OMBRE DE JAYNET « KABILA »

Jaynet « Kabila »

Zimbabwéen de race blanche, Billy Rautenbach écrit notamment: « Notre société est intéressée par le gisement de Shinkolobwe, sur lequel elle souhaiterait conclure un partenariat avec la Gecamines pour la création d’une nouvelle société ». En grattant un peu, l’ombre de Jaynet « Kabila » apparaît aussitôt.

En lieu et place de l’ADG de la Gécamines d’alors, – le Canadien Paul Fortin -, l’ADGA de l’époque Calixte Mukasa Kalembwe s’empressa de transmettre, par lettre n°487/ADG/2006 du 29 mars 2006, la proposition sulfureuse de la « Camec » au Président de la République. Le « dircab » s’appelle Léonard She Okitundu. « Compte tenu du caractère radioactif des minerais uranifères de ce gisement (…), écrit Mukasa, ce gisement est classé sous le régime de gite à substances réservées dont la mise en exploitation requiert l’autorisation de la haute autorité de l’Etat. Dans ce contexte, (…), la Gécamines sollicite votre accord pour entreprendre et finaliser la collaboration avec le partenaire (sic!), (…)« .

La correspondance de Mukasa est contresignée par l’administrateur directeur… technique Mwema Mutamba. L’ADG Paul Fortin a-t-il été mis à l’écart en connaissance de cause?

Surprise, la présidence de la République donna à Mukasa le « feu vert » en vue  de « convoler » avec « Camec ». En tous cas, c’est ce qu’affirmera Mukasa.

UN CERTAIN JOHN KAHOZI ENTRE TÉHÉRAN, DUBAÏ ET HARARE

Ministre des Mines au moment des faits, autrement dit l’autorité de tutelle technique, Ingele Ifoto n’eut droit qu’à une « copie pour information » de la part de l’ADGA Mukasa. La réaction de ce ministre ne se fit pas attendre. « De prime abord, je tiens à vous rappeler que l’autorité compétente, en cette matière, demeure le ministre des Mines et vous n’êtes pas sans savoir que tout accord de partenariat doit, au préalable, obtenir son accord ». écrit Ingele. Et d’ajouter: « (…), je vous interdis d’amorcer une quelconque démarche tendant à engager des pourparlers avec quelque investisseur que ce soit pour une mise en exploitation du gisement uranifère de Shinkolobwe vu que cette zone est interdite à toute forme d’exploitation par le décret n°04/017 du 27 janvier 2004 portant classement en zone interdite aux activités minières et/où aux travaux de carrière (…)« .

En décembre 2006, « Joseph Kabila » est déclaré « président élu » face à Jean-Pierre Bemba Gombo. Nul ne sait ce qu’allait advenir du « veto » mis par l’ancien ministre Ingele. Les événements qui suivent vont le révéler. 

Dans son édition datée du 17 août 2006, le magazine économique belge « Trends-Tendances » titre: « Le Congo livre-t-il de l’uranium à Téhéran? » Citant le journal britannique de « Sunday Times », Trends note qu’un haut fonctionnaire des douanes tanzaniennes a confirmé à cette publication britannique que les services de douanes tanzaniens avaient intercepté en octobre 2005 de l’uranium qui « provenaient sans le moindre doute de Lubumbashi ».

Se fondant sur ses propres sources congolaises, le journal belge de souligner que des vols directs de Lubumbashi à Mwanza en Tanzanie ont eu lieu. Pour lui, il pourrait donc s’agir du même chargement à moins que deux transports d’uranium se soient déroulés parallèlement au départ du Katanga et au départ de la capitale congolaise.

LE CONGO-KINSHASA LIVRÉ À DES « BANDITS D’ÉTAT »

Se reportant sur des documents en sa possession, Trends de signaler qu’un certain John Kahozi, un proche de « Joseph Kabila », voyagerait entre Téhéran, Dubaï et Harare afin de régler le volet financier de la transaction via les banques iraniennes Melly Bank, Refah Kargavan et Bank Mellat. Les montants auraient été versés dans les comptes de la Fondation Mzee Laurent Kabila au nom de John Kahozi à la Dubaï Islamic Bank. « Mensonges grossiers », réagissait le gouvernement congolais. « Propagande américaine », enchaînaient les autorités iraniennes.

Sarkozy et « Kabila »

De 2001 à 2007, le successeur de Mzee Kabila passait pour le « chouchou » du monde occidental. Ce dernier avait fermé les yeux pour ne pas voir les « turpitudes » de « Joseph » et son « clan ». Des turpitudes que tout le monde voyait. Les relations Kabila-Occident vont commencer à pâlir en 2009 suite au double massacre des adeptes de Bundu dia Kongo et surtout après la signature de fameux contrats chinois.

Début 2009, la firme française « Areva » signa un accord avec « Kabila » pour l’exploitation du gisement aurifère de Shinkolobwe. L’homme d’affaires belge George Forrest et le Français Patrick Balkany, le même, auraient joué le rôle de « facilitateurs ». Des activistes des droits humains ont fait échouer cette convention en dénonçant l’opacité ayant entouré ce « deal » non-précédé par un appel d’offres international.

Les faits révélés par Katanga Post méritent qu’on s’y attarde. Il n’y a sans doute pas de fumée sans feu. Depuis deux décennies, le Congo-Kinshasa a été livré à des « bandits d’Etat ». N’en déplaise à une source lushoise qui a qualifié cette « alerte » de « stupidités ». Au motif , selon elle, que « l’exploitation d’uranium a cessé fin des années 1950, il y a 60 ans ». Une affaire à suivre.

 

B.A.W

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