Haut-Uélé: Que se cache-t-il derrière le conflit récurrent entre le Parc National de la Garamba et les Communautés riveraines?

Jean-Bertrand Madragule Badi

Alors que le gouvernement de Kinshasa avait dépêché début novembre 2019 une commission de députés nationaux à Isiro conduite par l’honorable Crispin Atama Tabe, vice-président de la Commission Défense et sécurité de l’Assemblée nationale et Président du caucus des députés nationaux de la province du Haut-Uélé, en vue de rétablir la paix et la confiance entre les gestionnaires du Parc national de la Garamba (PNG), le climat social se dégrade de jour au jour. Quelles sont les raisons de cette tension récurrente? Que faire pour y remédier?

Le Parc national de la Garamba est situé dans la province du Haut-Uélé, au nord-est de la République démocratique du Congo et fait frontière avec le Soudan du Sud. Créé le 17 mars 1938 par le décret royal belge, il est depuis 1980 inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Et depuis 2005, il est géré par la Fondation African Parks Network sous le contrat avec l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN). Le Parc national de la Garamba qui recouvre d’immenses savanes herbeuses et boisées, entrecoupées de forêts-galeries le long des rivières Dungu et Garamba, constitue une biodiversité qui abrite les quatre plus grands mammifères du monde: le rhinocéros blanc, l’éléphant, la girafe et l’hippopotame.

Le Parc national de la Garamba a une superficie de 4.900 km² et il est entouré de trois domaines de chasse (Azande, Gangala na Bodio et Mondo-Missa), portant ainsi la superficie totale des aires protégées du complexe Garamba à 12.400 km². La gestion de ces zones protégées génère des conflits récurrents entre les gestionnaires du Parc et la population riveraine. L’acte qui a mis le feu aux poudres, c’est la promulgation de « l’arrêté ministériel n° 0532/CAB. MIN/MINES/01/2019 du 23 août 2019 portant interdiction de l’exploitation artisanale dans les domaines de chasse de Gangala na Bodio, Azande et Mondo-Missa dans la Province du Haut-Uélé ».

Selon nos sources, c’est le Parc national de la Garamba, par l’intermédiaire de Monsieur Thierry Normand, directeur du développement durable, qui aurait négocié cet arrêté au ministère des Mines pour mettre en brèche l’accord conclu un mois plutôt avec les chefs coutumiers du territoire de Dungu et Faradje. Pour rappel, en date du 16 février 2019, il y a eu signature d’un « Protocole d’accord » entre le Parc National de la Garamba représenté par M. Alhadji Somba Byombo Ghislain, directeur de l’ICCN et les chefferies Wando, Logo-Ogambi et Mondo-Missa représentées respectivement par les chefs coutumiers Constant Lungagbe Mbatanadu, Jean Obote Sirika et Xavier Mambo Banto. Ce Protocole d’accord stipule entre autres ce qui suit : Les chefs coutumiers « s’engagent résolument à appuyer et collaborer avec le Parc national de la Garamba dans le plaidoyer et la mise en œuvre des activités alternatives en faveur des communautés locales ». Pour sa part, « le Parc national de la Garamba s’engage résolument avec l’implication des chefferies à apporter l’appui nécessaire au développement de la transition écologique grâce au projet ‘Conservation des ressources naturelles et de développement durable du Complexe de la Garamba’ financé par l’Union européenne dans le cadre du 11ème Fonds Européen de Développement ». Le PNG s’engage aussi à « encadrer la transition écologique des sites d’orpaillages identifiés en incitant les orpailleurs à utiliser des techniques améliorées ». Le non-respect du protocole d’accord du 16 février est l’une des causes de conflit entre les gestionnaires du PNG et la population riveraine.

Dans une interview accordée au journal en ligne « Les dépêches de la Tshopo » le 11 novembre 2019, l’honorable Crispin Atama Tabe revient sur cette crise en répétition dans le Haut-Uélé en ces termes: « J’ai assisté aux accrochages à Epulu, Goma, au parc national de Kahuzi Biega, à Kundelungu, Salonga… La population ne se retrouve pas et nous devons revoir la législation interne de nos aires protégées, voir comment la conformer au droit international afin que la population se retrouve ne fût-ce que le droit au sol. […] Le parc a été constitué parce qu’on a vu les animaux, ce n’est pas que le parc est venu avec les animaux, la population vivait et mangeait, construisait sa maison avec les produits de la forêt, nous allons revoir les choses de sorte que la population retrouve les retombées de nos parcs ».

Nos sources nous apprennent également qu’en 2015 M. Jean-Marc Froment, le prédécesseur de M. Thierry Normand, avait invité à Nagero le Père Ernest Sugule, président de l’Organisation non gouvernementale Solidarité et Assistance Intégrale aux Personnes Démunies (SAIPD) basée à Dungu et M. Jean-Claude Malitano, président de l’ONG Action Pour le Développement Rural (APRU) de Faradje pour les informer que l’Union européenne financera le PNG. M. Froment voulait savoir quels sont les projets prioritaires des communautés riveraines que le PNG pourrait financer. Les deux interlocuteurs ont souhaité mener une étude socio-économique dans les villages environnant le parc pour savoir les vrais problèmes ou préoccupations de la population pour bénéficier du 11e Fonds européen de développement. Le Parc a disponibilisé 15.000,00 USD pour mener les études dans les territoires de Dungu et Faradje.

Le problème est que l’agent du PNG nommé « Aimé », envoyé pour confier 7.500,00 USD à chaque territoire, voulait seulement remettre 4.500,00 USD, car M. Alhadji Somba Byombo Ghislain, Directeur de l’ICCN lui aurait demandé de lui rapporter les 3.000,00 USD de chaque territoire. Faradje a refusé d’obtempérer et l’agent a été obligé de remettre la totalité comme prévue. Comme conséquence, le PNG a rompu plus tard le partenariat avec l’ONG APRU et a préféré travailler avec une autre association locale dénommée Organisation pour la Protection de l’Environnement et le Développement (OPED), présidée par M. Matthieu Tamaru Kamba. L’ONG APRU travaille actuellement en partenariat avec le professeur Kristof Titeca de l’Université d’Anvers en Belgique. Cette institution universitaire finance une étude qui s’étale jusqu’en 2021 sur les relations entre le Parc national de la Garamba et les communautés riveraines. Selon nos sources, M. Thierry Normand aurait tout fait afin que l’Université d’Anvers ne puisse pas collaborer avec l’ONG APRU. La population riveraine souhaiterait que son prédécesseur M. Jean-Marc Froment puisse revenir le remplacer.

Un autre point de friction concerne le non-respect de l’agenda de mise en œuvre de l’engagement du parc vis-à-vis de la population riveraine. Selon nos sources, en 2017 le gouvernement provincial du Haut-Uélé de l’époque avait arrêté de commun accord avec le PNG le projet de construction de deux centrales hydroélectriques l’une à Dungu et l’autre à Faradje. Les études de faisabilité ont été présentées et validées. Les appels d’offres ont été lancés et des entreprises ont été sélectionnées. Le 11e Fonds européen avait bel et bien débloqué une somme de 3.000.000,00 USD (trois millions de USD)! À la célébration du jubilé de 80 ans de la création du Parc national de la Garamba, les gestionnaires du Parc ont estimé qu’il faut plutôt opter pour les panneaux solaires au lieu de centrales hydroélectriques. Étant donné que la saison des pluies dure presque neuf mois et la saison sèche trois mois dans la région, le gouvernement de l’honorable Dr. Lola Kisanga et la population riveraine ont rejeté ce changement de projet.

Une autre source de conflit concerne le recrutement du personnel travaillant dans le PNG. Il est reproché au Parc national de la Garamba de ne pas tenir suffisamment compte de la main-d’œuvre locale. La plupart de la main d’œuvre est importée. Il en est de même des achats des produits vivriers, le PNG préfère faire les achats ailleurs que d’acheter des produits locaux.

Tout ce conflit récurrent doit donner matière à réfléchir aux autorités provinciales et au gouvernement central de Kinshasa. Depuis 2005, la Fondation African Parks Network, basée en Afrique du Sud, a signé un contrat de modèle public-privé avec l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN), autorité officielle de la conservation des aires protégées en RD Congo pour un contrat de session de gestion du complexe du Parc de la Garamba. Y a-t-il une évaluation de la gestion du Parc national de la Garamba et de ses trois domaines de chasse dont la gestion est confiée à un secteur privé? N’y-a-il pas un déficit de suivi des accords entre le Parc national de la Garamba et la population riveraine? Existe-t-il une intégration des communautés locales dans la gestion du Parc national de la Garamba et de ses trois domaines de chasse? La palabre africaine ne serait-elle pas le chemin obligé pour trouver une paix durable et une réconciliation entre les gestionnaires du PNG et la population riveraine?

 

Jean-Bertrand Madragule Badi – docteur en Théologie (Allemagne), docteur en Philosophie (Luxembourg), master en Droit, Science Politique, Relations Internationales, Défense et Sécurité (France), candidat à l’habilitation, thèse d’État à l’Université de Bochum (Allemagne) et Président de l’ONG Kongo Social-Care e. V. : www.kongo-social-care.de

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