JC Katende: « L’espoir suscité par les premières mesures prises par Felix Tshisekedi en matière des droits humains s’est effondré »

En marge de ce qu’il convient désormais d’appeler « l’affaire Jacky Ndala », l’avocat et défenseur des droits de l’homme, Jean-Claude Katende, commente ce dossier judiciaire et jette un regard plutôt critique sur l’état des droits et libertés et la situation générale de notre pays. Et ce trente mois après l’accession de Felix Tshisekedi Tshilombo à la tête de l’Etat congolais. INTERVIEW.

Jacky Ndala a été condamné à une peine de deux ans de prison ferme et d’une amende de 500.000 CDF. Cette sanction est-elle juste ou injuste?

Personnellement, j’estime que cette sanction est juste parce que les propos qui ont été tenus par Monsieur Ndala sont, pour moi, extrêmement graves. Il a, non seulement, appelé la population à s’en prendre aux institutions mais aussi à porter atteinte à la vie privée. Comme vous le savez, la vie de la personne humaine est sacrée. Si la vie des individus est sacrée, j’estime que quiconque appelle à la violence, profère des menaces, incite les gens à porter atteinte à la vie des individus, la sanction est fondée et juste.

En parcourant des dépêches, votre déclaration contredit vos propos antérieurs. Je vous cite: « Quelles que soient les raisons, les pratiques utilisées pour arrêter M. Ndala sont indignes et remettent en cause l’engagement du président Tshisekedi d’humaniser l’ANR. Nous condamnons cette arrestation arbitraire. Libérez M. Ndala. Petit à petit, le pays retourne à ses vieux démons ». Selon vous, le Congo-Kinshasa retourne à ses vieux démons?

La déclaration que vous venez de citer a été faite quelques heures après l’annonce de l’interpellation. M. Ndala n’était pas encore condamné. Pour n’avoir pas été conforme à la procédure normale, cette arrestation était assimilable à un « enlèvement ». Il n’y avait pas de raison que l’ANR aille s’introduire au domicile d’un citoyen en violation de la procédure. Si nous plaidons pour l’avènement de l’Etat de droit, celui-ci doit respecter la forme et le fond. Je n’ai jamais soutenu que les propos tenus par M. Ndala étaient innocents. En rapport avec la promesse faite par le Président de la République d’humaniser les « services », nous reculons au lieu d’avancer. Humaniser l’ANR signifie respecter la dignité des gens et observer les droits et libertés garantis par la Constitution.

Dans un communiqué publié le samedi 17 juillet, Dieudonné Bolengetenge, secrétaire général du parti « Ensemble pour la République » indique notamment que deux collaborateurs de Jacky Ndala auraient été « torturés » durant leur détention à l’ANR. Avez-vous pu vérifier ces allégations?

Si ces allégations étaient vraies, d’autres sources les auraient relayées. N’ayant pas été en contact direct avec les concernés, je ne peux ni confirmer ni infirmer cette déclaration qui a été faite par une personnalité proche des personnes qui ont été mises en cause. Je ne peux que prendre ces propos avec réserve.

De manière générale, quelle est, selon vous, sans parti pris, la situation des droits et libertés au Congo-Kinshasa à mi-mandat du président Felix Tshisekedi?

Sans parti pris, je dirai que l’espoir suscité par les premières mesures prises par le Président de la République s’est effondré aujourd’hui. Les droits de l’homme continuent à être violés. A titre d’exemples, dans tel ou tel autre coin du pays, on apprend l’arrestation de journalistes. Il en est de même des activistes de la société civile. Sans omettre des militants des partis politiques. La seule différence avec le régime du président Felix Tshisekedi réside dans cette volonté qui est claire de demander des comptes à tous ceux qui sont suspectés d’abus en matière des droits et libertés. Qu’il s’agisse d’un agent de sécurité ou d’un agent de l’ordre, ils sont interpellés et jugés. Alors que sous le pouvoir du président Kabila, des manifestations pacifiques ont été réprimées; des gens ont été tués. A l’époque, on ne sentait pas la volonté de poursuivre les auteurs des tueries. Voilà à quel niveau je situe la situation des droits et libertés à mi-mandat du président Tshisekedi.

Parlons un peu du projet législatif de Noël Tshiani à l’origine du chahut actuel. Il semble que vous êtes « contre » cette initiative…

Ce débat a perdu tant son caractère scientifique que républicain. Le débat est devenu passionnel. Il se concentre plus sur des individus que sur la nation. Il suffit de prendre une position contre cette « proposition de loi » pour qu’on vous taxe d’être derrière M. Katumbi. Dans le cas contraire, on vous classe dans le camp de Noël Tshiani ou dans celui d’autres personnalités qui défendent cette proposition. C’est pour cette raison que je me suis totalement refusé de m’aligner au risque d’être classé dans un camp ou dans l’autre. C’est la passion qui parle. Les gens défendent leur point de vue en fonction des intérêts individuels. Je reste dans le « camp du Congo ». Et je refuse qu’on m’insère dans un « coin » contre d’autres Congolais.

Que répondez-vous à ceux qui s’étonnent de la réaction du parti « Ensemble de la République » par rapport à ce projet législatif pendant que le autres partis politiques restent silencieux?

Globalement, le silence de certains partis politiques semble indiquer qu’ils sont favorables au verrouillage de certaines fonctions régaliennes de notre pays. En ce qui concerne Moïse Katumbi Chapwe, je ne pense pas que l’idée de ce verrouillage vise à l’écarter de la prochaine élection présidentielle. Je pense qu’on aurait pu recourir à d’autres moyens. Je me rappelle que c’est en 1981 que le président Mobutu accorde aux femmes la faculté de transmettre la nationalité congolaise à leurs progénitures. Cela voudrait dire qu’avant 1981, les femmes congolaises n’avaient pas le droit de transmettre la nationalité à leurs enfants. A quel moment est né Moïse Katumbi Chapwe? C’est la question fondamentale à se poser. S’il était né avant 1981, la conclusion est claire. Nous faisons face à la situation actuelle parce que les gens ont été complaisants. Ils ont voulu défendre leurs propres intérêts en lieu et place des intérêts de la République. A tout point de vue, si nous partons de cette thèse là – qui est au demeurant largement documentée – on arrivera à la conclusion que M. Moïse n’a pas la nationalité congolaise. La raison est simple: la loi de 1981 ne rétroagit pas. Elle dispose pour l’avenir. Comme je l’ai précédemment dit, notre Administration a été complaisante. On a reconnu implicitement la nationalité congolaise à une personne qui n’en avait pas le droit. Le fait de la lui avoir reconnue cela, engendre le droit acquis. Par cette pratique, « Moïse » est considéré comme Congolais. Mais sur le plan du droit, il n’en avait pas le droit. Si les gens qui ont mis cette proposition de loi sur le verrouillage, visait particulièrement M. Moïse Katumbi, on devrait trouver d’autres arguments. Les arguments les moins contestables possibles.

Comment voyez-vous l’avenir du pays, au plan politique?

Je pense que l’avenir politique de notre pays ne brille pas par une visibilité claire. D’abord, du fait que les acteurs politiques congolais ne peuvent pas être identifiés par rapport à leurs idées. Ceux qui sont avec le président Felix Tshisekedi aujourd’hui peuvent le quitter demain en fonction de leurs intérêts. Ceux qui ne sont pas avec lui aujourd’hui peuvent le rejoindre demain. Il n’y a pas de « visibilité claire » compte tenu de l’instabilité et de manque de personnalité de la part de beaucoup d’acteurs politiques du pays. Je crois que c’est l’attitude du peuple congolais qui pourra déterminer l’avenir du pays.

Si le président Félix Tshisekedi était en face de vous, que pourriez-vous lui dire?

Je vais d’abord le féliciter pour son engagement. Je pense que le pays n’a pas connu de grandes avancées mais il y a des signes qui démontrent qu’avec des gens déterminés, ce pays pourrait aller dans la bonne direction. Le travail réalisé par l’Inspection générale des finances en témoigne. le but est l’assainissement des finances publiques. C’est un travail sans précédent en République démocratique du Congo. On pourrait dire autant de l’appareil judiciaire. Et ce en dépit du fait que tout n’est pas encore parfait. C’est tout de même un travail historique à consolider. En termes des choses à améliorer, il y a premièrement la qualité de l’entourage du Président de la République. Je pense qu’il y a beaucoup de personnes autour du chef de l’Etat pour un autre objectif que celui de l’assister dans sa lourde mission. Je dirai même qu’ils sont là pour se refaire une « santé financière ». Il y en a beaucoup. Certains par ignorance. D’autres tout simplement qu’ils redoutent de perdre leurs places. Il faut se consacrer à la recherche de l’argent. Secundo: la communication du Président nécessite des améliorations. Si vous avez suivi l’interview qu’il a donnée à la presse congolaise à Goma, il y a beaucoup de choses à redire. L’équipe de communication doit être capable de « vendre » les « bonnes choses » que le chef de l’Etat est en train de réaliser avec son gouvernement. La dernière chose que je pourrais lui dire c’est bien la réduction du train de vie des institutions. L’argent économisé pourrait être investi dans la vie économique et sociale. Le chef de l’Etat doit œuvrer au changement de mentalité afin que les hommes politiques cessent d’être versatiles.

 

Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi

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