L’imposteur!

A Lubumbashi, les Katangais ont scellé, dimanche 22 mai 2022, leur « réconciliation ». La poignée de mains entre l’opposant Moïse Katumbi et l’ex-président « Joseph Kabila » a servi de symbole. Les deux hommes ont, semble-t-il, fumé le calumet de la paix sans toutefois crever l’abcès en se disant des vérités à l’image de la « Commission Vérité et réconciliation » sud-africaine. L’avenir dira si les deux hommes ont conclu une réelle paix de braves ou simplement une trêve sans lendemain. Il faut refuser de regarder pour ne pas voir que des plaies psychologiques demeurent encore sanguinolentes de part et d’autre.

Dimanche 22 mai, pendant que l’assistance vibrait d’émotion dans la Cathédrale Saint Pierre et Paul, un confrère kinois est entré littéralement en transe en commentant la photo de l’ex-raïs en ces termes: « Le peuple Katangais derrière son leader ». Qu’avons-nous fait au Bon Dieu? Pitié, pour ce pays! Peut-on franchement soutenir que « Kabila » est le leader du Katanga?

Qu’est-ce qu’un leader?

De manière schématique, c’est une personne qui est à la tête d’une organisation (parti, mouvement) ou d’un groupe. En 1991, l’ancien Premier ministre Jean Nguz a Karl i Bond avait fustigé le personnel politique zaïrois – auquel il appartenait – en le qualifiant de leaders par ordonnance ». C’est-à-dire des individus autoproclamés « leaders » sans avoir fait preuve d’une quelconque capacité de mobilisation d’un savoir-faire. Ce sont des leaders issus d’une procédure formelle. Une nomination.

Nguz voulait rappeler qu’un leader est surtout une personne qui exerce une autorité naturelle résultant principalement de son charisme. C’est un homme de forte conviction qui draine derrière lui des partisans. Et il dispose des ressources pour fidéliser ceux qui le suivent.

Que dire de « Joseph Kabila »? Sorti de nulle part, cet homme aux multiples lieux de naissance (Hewa Bora, Lulenge, Mpiki, Fizi etc.) et identités (Hyppolite Kanambe), n’a aucune attache psychologique avec le Congo-Zaïre. Rien de surprenant dans la mesure où il a foulé le sol zaïro-congolais en janvier 1997. Il avait 26 ans. C’était durant la fameuse « guerre des Banyamulenge ». Aucun Zaïro-Congolais n’avait jamais entendu parler de lui auparavant. C’est à partir du mois de mars 1997 qu’ils entendront parler, à l’étape de Kisangani, d’un certain « Afande Hyppo », alias « Joseph Kabila », qui serait le fils de « Laurent-Désiré ».

Mécanicien diesel de formation, « Joseph Kabila » n’a jamais été à la tête d’un parti ou d’un groupe. Il assumait certes les fonctions de chef d’état-major de la Force terrestre dans le « Congo libéré ». Son « leadership » autoproclamé découle non pas de ses qualités de meneur d’hommes mais d’un accident de l’histoire: le décès mystérieux du président Laurent-Désiré Kabila. Cet événement tragique va le propulser dans des conditions énigmatiques au sommet de l’Etat congolais.

Le 26 janvier 2001, « Joseph » est investi à la tête de l’Etat. Sa prestation de serment suscita des commentaires contrastés. Deux raisons. D’abord, le caractère « monarchique » de la succession. Ensuite, l’élocution du nouveau chef de l’Etat. Celle-ci provoqua un véritable malaise. L’accent du nouveau magistrat suprême était difficilement localisable tant au plan régional que tribal.

Lorsqu’un Muluba parle, le Mungala, le Swahili ou le Mukongo détecte immédiatement l’intonation. Les Zaïro-Congolais se connaissent entre eux. Les uns aiment bien se moquer fraternellement des accents des autres. Le successeur de Mzee était spécial. Conclusion: C’est un étranger. Et pourquoi pas un imposteur?

Dès le lendemain de l’entrée en fonction de « Joseph Kabila », on a assisté à une vaste campagne de propagande destinée à asseoir sa filiation à LD Kabila mais aussi sa prétendue appartenance à la province du Katanga particulièrement à l’ethnie Baluba du Katanga. Les Balubakat ont vite compris l’enjeu. Il s’agissait de garder le pouvoir d’Etat dans le giron katangais. Quelques personnalités « Lubakat » vont se prêter à ce jeu. On pourrait citer notamment: Luhonge Kabinda Ngoy (procureur général de la République), Benoît Lwamba Bindu (président à la Cour suprême de Justice), Kasongo Nyembo (le Grand Chef Balubakat). A l’extérieur, la journaliste Colette Braeckman est à la manette dans le quotidien bruxellois « Le Soir ». A Paris, François Soudan de Jeune Afrique. Il est épaulé par Wilson Omanga (voir La Revue pour l’intelligence du monde juillet/août 2006). On n’oubliera pas le politologue Célestin Kabuya Lumuna Sando (Histoire du Congo – Les Quatre premiers présidents, éditions Secco & CEDI).

L’histoire a de ces ironies. Dimanche 22 mai 2022, l’ancien ministre Aimé Ngoy Mukena a rendu l’âme dans une polyclinique lushoise. Coïncidence ou pas son décès est intervenu le même jour où les Katangais s’alignaient derrière leur « leader » en l’occurrence le successeur de Mzee.

Gouverneur du Katanga nommé par « Joseph Kabila » (2001 à 2004), Ngoy Mukena déclare dans une vidéo qui a fait le buzz que le surnom de « Kabange » attribué à « Joseph » est une de ses trouvailles. « Ici à Kinshasa, on me dit que je suis Rwandais, je suis Burundais. Je voudrais vraiment naître au Katanga ». C’est « Joseph » qui parle. Selon Ngoy Mukena, « Kabila » lui avait dit qu’il était jumeau. « Nous lui avons répondu que chez nous [Ndlr: les Balubakats], les jumeaux s’appellent Kyungu et Kabange ». Il poursuit: « J’avais une mission ici de créer avec tous les Katangais la paternité de Joseph. C’est une mission que j’ai réussie ». A l’époque un certain Richard Muyej faisait partie des vice-gouverneurs.

« Joseph Kabila » n’a jamais vu le jour au Katanga ni ailleurs au Congo-Kinshasa. Il n’a jamais été un Katangais. Encore moins un « Mulubakat à 100% », dixit le Grand Chef Balubakat Kasongo Nyembo. Qui est finalement « Joseph Kabila »? C’est un imposteur. Comme tout imposteur, il ne dira jamais ce qu’il est vraiment.

« Joseph Kabila » est, en réalité, chargé d’une mission. Cette mission consiste non pas à servir le peuple congolais mais à maintenir le Congo-Kinshasa à genoux pour mieux préserver les intérêts de ses parrains rwandais et ougandais. Le développement économique et social du Congo-Kin n’a jamais fait partie de ses préoccupations. Bien au contraire. Le bilan de ses 18 années de pouvoir en témoigne: un échec. « Kabila » tente de reconquérir le pouvoir pour poursuivre sa mission au détriment de l’intérêt national…


Baudouin Amba Wetshi

Happy
Happy
100 %
Sad
Sad
0 %
Excited
Excited
0 %
Sleepy
Sleepy
0 %
Angry
Angry
0 %
Surprise
Surprise
0 %