Mampaka : « Le royaume de Belgique n’est pas un ennemi. C’est un allié du Congo »

Ancien vice-président pour le Benelux du PDSC (parti démocrate et social chrétien) créé en 1990 par Joseph Iléo et André Bo-Boliko, le Belgo-Congolais Bertin Mampaka Mankamba, 62 ans, marié et père de deux enfants, a adhéré en 1993 au PSC rebaptisé cdH. « Bertin », comme l’appellent ses compatriotes tant belges que congolais, a exercé plusieurs mandats électifs (conseiller municipal, échevin, député bruxellois) dont celui de sénateur pour les Wallons et les francophones de Bruxelles. Le dimanche 26 mai, les citoyens belges iront aux urnes pour choisir leurs nouveaux représentants tant au niveau fédéral et régional qu’au Parlement européen.

Quel est votre état d’esprit à quelques quatre jours de la tenue des élections régionales, législatives et européennes?

Nous avons connu une campagne électorale assez spéciale. Je n’ai jamais été aussi peu sûr du résultat.

Pourquoi?

On a assisté une prolifération de candidatures. Le risque est qu’il y ait une énorme dispersion des voix au niveau spécialement de la communauté congolaise. A titre d’exemple, Ixelles compte 45 candidats dont 5 Subsahariens. Il y a sans doute des candidatures de complaisance. Des attrapes-voix. Contrairement aux Belges d’origine turque et maghrebine, les Congolais de Kinshasa voient leur représentativité s’amenuiser. Sans vouloir jeter la pierre sur qui que ce soit, je constate que le Subsahariens sont facilement « divisables ». Les Européens, eux, sont constamment dans une attitude de rapports de force. Nos divisions sont exploitées par les autres communautés. En fait, il manque à la communauté congolaise une sorte de « sage » devant jouer le rôle d’ « arbitre ». Pour tout vous dire, nous avons eu une « campagne électorale pourrie ».

C’est-à-dire?

Je veux simplement dire qu’on ne s’improvise pas politicien. On assiste à l’apparition d’une importance quantité de jeunes candidats – toutes tendances politiques confondues – quelque peu « indisciplinés ». Ces jeunes considèrent que « les anciens n’ont rien fait ». Que dire des emplois créés, des logements sociaux pour lesquels nous nous sommes battus et des subsides accordés à des associations? La campagne a été « pourrie » parce que nous avons côtoyé des gens dénués d’une bonne éducation. Je leur dis: on peut battre campagne tout en restant courtois et respectueux des autres.

Devrait-on parler de « conflit des générations »?

Nullement! Il s’agit, à mon avis, d’un problème d’ambitions mal gérées voire démesurées. Une situation due à une ignorance des « codes » de la politique. Pour réussir en politique, il faut commencer par coller les affiches d’un candidat. Lorsqu’on colle ses propres affiches, on ne va jamais loin

Cela fait deux décennies que vous êtes « visible » sur l’échiquier politique belge. Vous êtes candidat à un nouveau mandat électif. Pour quoi faire?

Je voudrais profiter de ce mandat éventuel – que je considère comme le dernier – pour consolider les acquis de la politique de promotion de la diversité que nous avons appliquée particulièrement au sein du cdH (Centre des démocrates humanistes). Une diversité dans l’excellence. Aujourd’hui, Bruxelles qui est la capitale de l’Europe reflète la diversité culturelle. En tant qu’Echevin (adjoint au maire à Bruxelles), j’ai eu à officier plusieurs mariages des Européens. Enfin, je livre cette dernière bataille en espérant qu’après tant de sacrifices ma « sortie » ne prendra pas la tournure d’un « désaveu ».

Pouvez-vous donner une seule raison qui devrait inciter l’électeur se trouvant dans le secret de l’isoloir à voter Bertin Mampaka?

On juge un candidat sur base de ses propositions ou des réalisations accomplies. J’ai un bilan que je ne peux pas dresser ici. Je peux citer simplement le chèque-allocation loyer ou les subsides accordés aux associations. Je cite également les aménagements accomplis au Stade roi Baudouin. J’ai acquis une longue expérience en matière des institutions politiques belges. L’électeur devrait voter Monsieur Mampaka parce que Mampaka a une expertise éprouvée. Mampaka symbolise l’expérience, la rigueur dans la gestion et l’efficacité. Mampaka est un homme qui a accompli des réalisations tangibles. Mampaka sait à quelle porte frapper pour transmettre les aspirations de la communauté africaine. Les sociétés qui réussissent sont celles qui combinent l’ancien et le moderne

Les derniers sondages d’opinion montrent que votre parti est à la peine…

Les sondages se sont améliorés récemment. Je ne sais pas si vous êtes au courant que la côte de popularité du cdH est passée du simple au double. Depuis une quarantaine d’années, on annonce la « mort » de notre parti. Le cdH a toujours déjoué les sondages. L’histoire récente nous a démontré que les « sondeurs » n’avaient pas prévu le Brexit

Dans un registre congolo-belge, comment voyez-vous l’avenir des relations entre le Congo-Kinshasa et la Belgique?

L’élection de Felix Tshisekedi comme président de la République a, à mon avis, un côté positif. J’ai la conviction qu’une personne, comme lui, qui a vécu en Belgique pendant 35 ans, ne peut que bien connaitre les « codes » de fonctionnement des institutions du Royaume. Ceux qui avaient sous-estimé « Felix »- ce fut mon cas – ont eu tort. L’homme ne cesse d’étonner. Je crois Felix Tshisekedi n’avait pas d’autres choix que de faire le « compromis » auquel tout le monde fait allusion. Il me semble que ce qui a fragilisé la candidature de mon ami Martin Fayulu c’est bien sa proximité avec des gens qui n’avaient pas un passé exempt de reproches. Des gens qui auraient pu transformer le Katanga en « Qatar » du Congo.

Revenons à « Felix »…

L’avènement de Felix Tshisekedi à la tête du Congo-Kinshasa suscite un réel espoir. Je tiens néanmoins à donner un conseil au nouveau chef de l’Etat en lui disant que dans un gouvernement de coalition, le cabinet du Président de la République doit être d’une « compétence supérieure ».

Ce n’est pas encore le cas?

Il me semble qu’il y a, à l’heure actuelle, beaucoup trop de « militants » au cabinet du Président de la République. Pour avoir exercé une fonction exécutive à Bruxelles – la capitale de l’Europe, je sais comment ça fonctionne. Je sais qu’on doit remercier les militants. On doit leur manifester de la gratitude pour les épreuves et sacrifices endurés. J’ai le sentiment qu’une part belle est accordée aux militants de la diaspora. Je ne suis pas en train de minimiser la valeur des conseillers actuels du chef de l’Etat. Je pense qu’il devrait aussi avoir de la « consultance » de haut niveau. J’ai appris que l’ancien Premier ministre français Dominique de Villepin en était un. Je crains que celui-ci ne vienne au Congo que pour se refaire une « santé financière ». L’enjeu du Congo consiste à le positionner sur l’échiquier tant africain que mondial. Le cobalt sera le pétrole de demain.

Connaissez Sylvestre Ilunga Ilukamba le nouveau Premier ministre congolais?

Non! Je n’ai jamais entendu parler de lui. Je crois savoir que c’est un choix qui découle d’un compromis. J’espère que ce choix n’a pas été édicté par la volonté de perpétuer le pillage des ressources naturelles du Congo. Il est temps que le Congo soit administré. Administrer un territoire veut dire que les routes doivent être entretenues. Et que les immondices sont ramassées et traitées.  Administrer le pays veut dire également des écoles et des hôpitaux qui fonctionnent et que le commerçant peut quitter le Bandundu peut atteindre la capitale sans subir des tracasseries sur la route. Il faut qu’il y ait un minimum de justice. Le Congo devrait recopier le modèle colonial belge où un administrateur du territoire était titulaire d’un diplôme de licence en sciences administratives.

Vous avez sans doute appris la visite effectuée, mi-mai, à Kinshasa, par une délégation diplomatico-militaire conduite par l’ambassadeur Renier Nijskens. Que peut faire la Belgique pour le Congo dans le contexte actuel? Que ce que le Congo peut apporter à la Belgique?

Lorsque le Mzee Laurent-Désiré Kabila a pris le pouvoir le 17 mai 1997, j’ai évoqué les questions que vous soulevez notamment avec notre aîné Germain Mukendi. Je lui ai dit mon étonnement de voir des gens qui ont vécu en Belgique avec femme et enfants belges deviennent anti-belges dès qu’ils traversent les tropiques. J’ai évoqué la même problématique récemment avec Marcellin Cishambo, ancien conseiller diplomatique sous Joseph Kabila. On pourfend la Belgique alors qu’on a une femme et des enfants de nationalité belge. Très souvent, les Congolais qui critiquent le Royaume sont très souvent détenteurs de la nationalité belge. Cette petite arrogance relève de l’ignorance totale. La Belgique est un petit pays situé au cœur de l’Europe. Il ne faut pas sous-estimer ce « petit pays » qui fait partie des six Etats qui ont fondé l’Union européenne. Je conseille à Felix Tshisekedi de nommer une personnalité qui connait les arcanes de l’Europe en qualité d’ambassadeur auprès de l’Union européenne. Dans la même logique, il devrait nommer un excellent diplomate pour représenter le Congo auprès de la Belgique. Le Congo dispose des atouts dont la mise en œuvre dépend de la volonté du président Tshisekedi à mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. C’est pour toutes ces raisons que je dis à mon ami Martin Fayulu qu’il y a un temps pour rechercher la vérité des urnes. Je lui dis également que certains de nos voisins n’attendent que l’embrasement du Congo pour qu’ils continuent à « pomper » nos ressources en gaz et pétrole. Sans omettre l’or et le coltan. Aujourd’hui, l’enjeu pour le Congo est de sauvegarder sa souveraineté. Dans cette équation, la Belgique est un allié. La Belgique n’est pas un ennemi du Congo

 

Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi

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