Madame la Présidente de l’Assemblée nationale, comparaison n’est pas raison

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Invitée de RFI le 13 mai 2019, soit un peu plus de 100 jours après l’accession au pouvoir du président Felix Tshisekedi, la présidente de l’Assemblée nationale de la République Démocratique du Congo (RDC) a minimisé le retard pris dans la nomination du premier ministre. Pour elle, cette situation qui inquiète nombre de Congolais et d’observateurs de la politique congolaise « n’est pas exceptionnelle ». Pour preuve, elle cite l’exemple de « la Finlande, l’Autriche ou la Belgique où on a pris 580 jours pour trouver un premier ministre ».

La comparaison ci-dessus appelle plusieurs commentaires. Les pays cités par Mme Jeanine Mabunda sont ce qu’on appelle de vieilles démocraties. Ce qu’on pourrait être tenté de qualifier de démocratie en RDC, avec des gouvernements caractérisés par un déficit démocratique évident, remonte seulement à 2006. Rien que pour cette seule raison, la comparaison semble hasardeuse. Car, on compare deux situations qui ne sont pas comparables.

La RDC a une histoire qui commence le 30 juin 1960, jour de son accession à la souveraineté internationale. Son histoire est similaire à celle des autres Etats africains. Pour être crédible, Mme Mabunda aurait dû inscrire sa comparaison dans l’histoire congolaise ou africaine. C’est alors et alors seulement qu’elle tirerait la conclusion de savoir si on est en face d’une situation exceptionnelle ou non.

Même si la RDC était une vieille démocratie, comparer sa situation politique actuelle à celle qui a prévalu l’une ou l’autre fois ou qui peut encore prévaloir en Finlande, Autriche ou Belgique serait également bien imprudent. Pourquoi les discussions ont-elles lieu dans ces pays pour nommer un premier ministre et pourquoi s’éternisent-elles parfois? Est-ce pour les mêmes raisons qu’en RDC?

Les systèmes politiques dans les pays cités par Mme Mabunda sont basés sur l’existence de plusieurs partis politiques ou du multipartisme. Un parti politique est avant tout l’expression d’une prise de position face aux aspirations, conflits et enjeux majeurs qui traversent la société. Idéologie est le nom d’une telle prise de position. Quand des partis ou groupements de partis se lancent dans la conquête du pouvoir et que l’un d’entre eux gagne les élections législatives, le premier ministre est nommé en son sein pour former le gouvernement. Les discussions entre partis ou groupements de partis ne sont alors pas nécessaires. Cependant, quand aucun parti n’a remporté les législatives, les tractations entre partis ou groupements de partis sont indispensables pour d’abord identifier une possible majorité au sein du parlement ou de l’assemblée nationale, ensuite s’accorder sur la politique à mener ensemble, et enfin nommer le premier ministre chargé de former le gouvernement.

La situation de ce qu’on appelle à tort ou à raison « jeune démocratie » congolaise reflète-elle ce qui est décrit ci-dessus? En RDC, ceci est le cas de la quasi-totalité des Etats africains, le parti politique est une coquille vide qui ne traduit aucune prise de position par rapport aux vécus des citoyens. Il est vrai que les idéologies existent sur papier, mais elles ne mobilisent personne à commencer par les élites qui s’évertuent à les importer de l’Occident. Le parti est avant tout la chose de son fondateur; une espèce de petite et moyenne entreprise appelée à créer de la richesse sur le plan privé et non dans l’intérêt général une fois le pouvoir conquis. Résultat, quand aucun parti ou groupement de partis n’a gagné les législatives, le président élu invite tout simplement certains présidents ou propriétaires de parti au festin du pouvoir dans le cadre de la politique du ventre si caractéristique de l’Afrique. Cela explique la facilité avec laquelle tout président bien ou mal élu se constitue une majorité présidentielle, nomme le premier ministre et forme le gouvernement. Alors que tous les importateurs d’idéologies s’expriment au nom des peuples, aucune discussion n’a lieu sur la politique à mener ensemble en faveur de ceux-ci.

Comme tous ses homologues africains, le président Felix Tshisekedi allait avoir la même facilité de se constituer une majorité présidentielle et nommer un premier ministre. Mais il s’est compliqué la tâche en acceptant l’inacceptable. Contrairement à l’histoire électorale à travers le monde, une alliance politique a été conclue entre le FCC, coalition du président sortant, et CACH, plateforme du président « élu », non pas avant la tenue des élections ou après la proclamation des résultats définitifs, mais peu avant la proclamation des résultats provisoires. Par ailleurs, le FCC, perdant de la présidentielle, s’est révélé « victorieux » lors des législatives et des élections des gouverneurs et vice-gouverneurs de province. Pire, les termes de l’accord FCC-CACH comme alliés devant conduire ensemble la politique gouvernementale ne sont connus ni par les cadres et militants des deux plateformes ni par le peuple (d’abord) au nom duquel aiment s’exprimer les hommes politiques. Quantité négligeable, le CACH s’est dilué dans le FCC, avec le président sortant comme patron. Une situation ubuesque et similaire à celle d’un homme devenu la femme de sa femme.

La RDC se trouve donc devant une situation inédite non seulement dans l’histoire démocratique mondiale mais aussi dans celle, particulière, de « jeunes démocraties » africaines. Le péché originel de la coalition FCC-CACH dont les détails sont soulignés ci-dessus discrédite l’idéal démocratique auquel aspirent les Congolais. Il entretient le flou au sommet de l’Etat. A terme, il peut plonger le pays dans la tourmente. La présidente de l’Assemblée nationale le sait. Mais elle ne le dira pas, pour ne pas courir le risque d’être éjectée de son fauteuil. Comme jadis un certain Vital Kamerhe.

Il est vrai que le président de la république piégé par son égoïsme ou sa faiblesse d’esprit finira par nommer un premier ministre. Mais il restera enfermé dans le piège tant que son démoniaque prédécesseur, devenu un allié plus qu’encombrant, restera le patron de la coalition FCC-CACH. Car dans cette coalition, CACH a besoin du FCC mais le FCC n’a pas besoin de CACH pour orienter les travaux de l’Assemblée nationale selon sa vision néo-patrimoniale de l’Etat.

 

Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

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