
Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo
Première partie: Les partis régionaux
Dès que les Africains se lancent dans un processus de démocratisation, ils se mettent aussitôt à créer des partis politiques. On ne se pose même pas la question de savoir si ceux-ci sont des ingrédients indispensables à la construction de la démocratie. L’essentiel, c’est de montrer qu’on est ‘civilisé’ et qu’on sait faire les choses comme les Occidentaux. Comme en Occident les partis politiques véhiculent des idéologies, les Africains ne se demandent même pas comment celles-ci sont nées et qu’est-ce qu’elles traduisent en réalité. Une fois de plus, singer les Occidentaux est ce qui compte. Naissent alors comme dans une génération spontanée des libéraux, des socialistes, des démocrates-chrétiens, des sociaux-démocrates, des écologistes, etc. etc. Les singeries des élites sont-elles suivies par la population ? Pour répondre à cette question, un voyage dans le passé serait édifiant.
Prenons le cas de la province de Léopoldville à la veille de l’accession du Congo à la souveraineté internationale. Avant février 1959, l’Alliance des Bakongo (ABAKO), animée par des ressortissants des districts du Bas-Congo et des Cataractes, sous le leadership de Joseph Kasa-Vubu, n’est confrontée à aucune formation politique concurrente. En ce mois de février, un groupe de personnes originaires des districts du Kwango et du Kwilu crée le Parti Solidaire Africain (PSA) avec Antoine Gizenga à sa tête.
Pourquoi crée-t-on une autre formation politique au lieu d’adhérer à celle qui existe déjà? La réponse se trouve noir sur blanc dans la première lettre que le comité central du PSA à Léopoldville adresse au comité provincial à Kikwit, le 6 mai 1959: « Les partis créés à Léopoldville reflètent l’origine des fondateurs. Les autres régions se font connaître, on parle des leaders Abako, des leaders du Mouvement National, etc., etc. Et nous? Resterons-nous toujours muets? Réveillons-nous et bougeons. Nos deux districts, Kwango et Kwilu, comptent environs 2,5 millions d’habitants, par contre celui du Bas-Congo compte environ 300 mille habitants. Nous, majoritaires dans la province, être représentés et fidèlement conduits par des Bakongo qui sont minoritaires? C’est illogique »[1].
Les ‘évolués’ du Kwango-Kwilu ne se sentent pas concernés par l’ABAKO, une affaire des Bakongo dont les dirigeants nourrissent un complexe de supériorité vis-à-vis des autres ethnies/districts de la province, sans doute pour avoir été les premiers Congolais à entrer en contact avec les Européens. Lors du congrès de Kisantu en décembre 1959, ces dirigeants désignent le cartel formé par l’ABAKO, le PSA, le MNC et le Parti du Peuple ‘Cartel Abako’. Ils réclament que, dans le but de sauvegarder l’unité du cartel, son Président Général, son Conseiller Général ainsi que son Secrétaire Général soient de l’ABAKO, et que le PSA se contente du poste de Trésorier Général. Le congrès rejettera cette expression de l’hégémonie kongo.
Le PSA s’adresse à la clientèle du Kwango-Kwilu. Mais qui retrouve-t-on dans son directoire? Presqu’exclusivement des Kwilois. A leur tour, les Kwangolais ne se reconnaissent pas dans ce parti. On tente de maintenir l’unité des deux districts au sein du parti en nommant un fils du Kwango, Pierre Masikita, au nombre des vice-présidents nationaux[2]. Peine perdue! Aussi assiste-t-on à la création de l’Union Kwangolaise pour la liberté et l’Indépendance (LUKA) et du Centre de Regroupement pour les Intérêts du Kwango (CRIK). Désormais, le PSA a du mal à s’implanter dans le Kwango où ses militants font l’objet d’une véritable chasse à l’homme et où ses locaux sont saccagés. En témoigne, par exemple, cette violence verbale d’un leader de la Luka: « Les Bambala du Kwilu exploitent le Kwango. Tufi na bau. Bambala yonso ya Kwilu, tufi na bau. Ba muyibi, beto kutonda ba muyibi ve, luvunu mpi ve. Ils nous ont traités de voleurs et ce sont eux les voleurs les plus qualifiés »[3].
Au congrès du PSA tenu dans la ville de Kikwit, du 13 au 14 mars 1960, un militant demande au président provincial ce que doit être l’attitude du PSA vis-à-vis des autres partis qui s’implantent dans le Kwilu. La réponse de Cléophas Kamitatu? « En principe, chacun est libre d’adhérer au parti de son choix mais, en pratique, il est du devoir des leaders d’user de toute leur diplomatie pour faire échouer l’action de ces nouveaux partis »[4]. Mais dans une lettre adressée au comité central du parti le 28 juin 1959, Kamitatu exprime en ces termes son inquiétude à la suite de la présence à Kikwit d’un propagandiste du Mouvement National Congolais (MNC): « On est venu troubler les esprits à Kikwit par des doctrines contradictoires. Ceci est une preuve évidente de votre mésentente à Léopoldville, et nous ne voulons pas en être victime. Nous entendons former l’unité du Kwilu et nous vous demandons de travailler dans ce sens avec force »[5]. Faut-il expliquer qu’entre la diplomatie ou la force dont parle Kamitatu et la chasse à l’homme, la frontière est mince?
Et quand à la fin de janvier 1960 se crée, dans le district du Lac Léopold II, le parti Rassemblement Démocratique du Lac Léopold II, Kamitatu fait une brillante démonstration de sa ‘diplomatie’. De la capitale belge, il adresse une lettre à Massa Jacques, le président du nouveau parti: « C’est avec surprise que nous avons pris connaissance de votre communiqué annonçant la création du nouveau parti politique (RDLK) […] Nous vous dénions formellement le droit de représenter en quoi que ce soit les populations du Kwango-Kwilu dont les interlocuteurs valables ne sont plus à dénicher du fond des bois ni des marais »[6]. Quel fin diplomate ce Kamitatu qui, en usant de l’expression « fond des bois ni des marais », traite Massa Jacques de primitif et d’arriéré!
Comme on peut le constater, les élites africaines se conduisent comme des zombies en créant des partis politiques aux idéologies suspendues en l’air puisque ne mobilisant personne, en commençant par elles-mêmes. Ce qui mobilise tout le monde, élites et petit peuple confondus, ce sont les différentes identités ethniques et/ou régionales. Ce repli sur soi ne signifie nullement rejet de l’autre. Il ne traduit pas un refus du vivre ensemble. Il veut tout simplement dire que l’identité nationale est composée de plusieurs identités ethniques et/ou régionales et que chacune d’elles veut avoir droit au chapitre, c’est-à-dire compter dans la gestion du patrimoine commun qu’est l’Etat. Mais ce faisant, dans la logique de la démocratie conflictuelle, les élites craignent de voir leurs ethnies/régions dominées par d’autres alors même qu’elles cherchent à dominer les autres. Seules des élites sans boussole en matière de gouvernance peuvent faire perdurer une telle situation. Car, le tissu social plural du pays recommande qu’on se tourne vers la démocratie consociative, consociationnelle ou consensuelle, basée sur l’ethnie et/ou la région.
On nous retorquera qu’au-delà des partis régionaux, il existe des partis à dimension nationale. Nous reviendrons là-dessus dans un prochain article pour démontrer qu’un tel argument ne peut venir que des élites n’ayant aucune capacité analytique leur permettant de voir plus loin que le bout de leur nez.
Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo
Ecrivain & Fonctionnaire International
---------------- [1] WEISS, H. & VERHAEGEN, B., Parti Solidaire Africain (PSA). Les Dossiers du CRISP, Documents, Bruxelles, Centre de Recherche et d'Information Socio-Politique, 1963, p. 20. [2] Ibid., p. 150. [3] Ibid., pp. 222-223. Traduction du texte en kikongo: "Qu’ils crèvent. Que tous les Bambala du Kwilu crèvent. Des voleurs. Nous ne voulons pas avoir des voleurs et des menteurs chez nous". [4] Ibid., p. 230. [5] Ibid., p. 73. [6] Ibid., p. 198.
Monsieur Mayoyo, par la qualité de vos textes vous faites honneur à l’intelligentsia africaine! Merci.
L’ayatollah ‘combattant’ et nostradamus ya bongos boya kokolisa bongo na bino awa eee (du p’tit lait je bois)
@Procongo,
Mon Mpangi Mayoyo est une référence. Je ne vous ai pas attendu pour le découvrir.
Par l’irrelevance de vos sous-commentaires, vous démontrez qu’une portion de la population congolaise souffre d’un déficit d’iode. Autre chose : à votre âge vous devriez vous passer du lait. Mais ce n’est pas grave. Je vous explique tout cela si vous n’arrivez pas à comprendre.
Oyoki ?
Fort heureux de vous l’entendre dire au sujet de l’Honorable (il le mérite amplement) Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo!
Sik’oyo ozozela nini mpo nakolanda lokolo ya Mpangi Mayoyo? Kaka bi commenta!!!
Ngungi akanisaki bakobetela ye maboko… nzoka… kie kie kie
Il y a un Combattant résistant de l’ombre. Maintenant, je constate qu’il y a un autre Combattant de la lumière. Est-ce la même personne ?
La schizophrénie nous observe tous! lol
Cher Combattant Résistant de la Lumière,
Les Congolais sont généralement avares de compliments. Merci.
Compte tenu de votre exceptionnelle contribution à cette rubrique, reconnaître que vous êtes l’un des nôtres qui se place au-dessus lot, point n’est besoin d’avoir fait Math-sup pour cela!
Comme il aurait été intéressant de lire sous forme d’articles, les thèses de vos principaux contradicteurs, plus enclins et limités au rôle de commentateurs hélas…
@ Mpangi Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo,
Un parti politique, en général, est une organisation politique formée par un groupe de personnes partageant des idées, des valeurs, des objectifs et des programmes politiques communs. Ces partis jouent un rôle clé dans les systèmes démocratiques en fournissant un mécanisme par lequel les citoyens peuvent participer à la vie politique, influencer le gouvernement et élire leurs représentants. Les partis politiques sont souvent responsables de la formulation de politiques, de la mobilisation électorale, et de la promotion de candidats aux élections. Comme vous le dites si bien, chez nous, ces partis ne sont que des ligablo à socle ethnique, tribal, régional. Il n’est jamais question de partager des idées, des valeurs, des objectifs et des programmes politiques communs. Aujourd’hui plus qu’hier, on crée un parti politique pour se faire connaitre, constituer un fond de commerce (dans tous les sens) en vue des processus électoraux (on fait espérer au candidat susceptible de remporter ces élections qu’on pourra lui céder les voix de son parti)… En vérité, ce n’est qu’un moyen pour accéder à la basse cour politique, autrement dit la mangeoire nationale. La seule table qui peut offrir à manger trois fois par jour au Congo. Par exemple, qui est ce ressortissant sérieux de l’Oubangi ou de la Tshopo qui va voter pour Tshilombo parce que JP Bemba ou Eve Bazaiba le demande ? Qui est ce vrai mutetela fier et orgueilleux qui va voter pour Tshilombo parce qu’un certain Mende le demande ? Qui est ce kivutien meurtri qui oserait voter pour Tshilombo parce qu’un type comme Kamerhe ou Bahati ou un Moindo Nzangi le demande ? Qui est ce kwangolais doté d’un cerveau qui va voter pour Tshilombo parce qu’un certain Mboso N’kodia Pwanga le demande ? Qui ?
@JO BONGOS. Dans trois mois nous serons fixes. Promettez moi seulement de ne pas crier a la tricherie lorsque vous constaterez que meme ceux que vous pensiez qu’ils ne pourraient en aucun cas voter pour Tshilombo auront vote pour lui! Le village, la tribu, l’ethnie, la province,… tout ca c’est bien bon, mais nous voulons construire plus que ca. Nous voulons construire la RDC. C’est ca l’objectif que nous devons nous fixer. C’est ca l’objectif que nous devons tous avor, et honni soit qui mal y pense!
Vous avez, cher ami un malin génie à travestir les debats ! En effet s’il y’a une interrogation logique a formulée ce n’est sûrement pas celle d’empêcher les patriotes de ne pas crier à la tricherie mais bien celle de
de se demander si Tshisekedi n’a pas été voté massivement je ne sais par quels fantômes s’ll y’a eu ticherie ou pas comme dans le compromis à l’africaine de 2018 qui l’a nommé ?
@BINSONJI E MADILU
Amen !
Le M23 attend toujours d’être « écrasé ».
Bien oui, nous voulons construire la RDC. C’est ça l’objectif. Bien sûr ! Qui ne le voudrait pas ? Mais si on commençais déjà par ne plus dilapider l’argent du trésor public qu’on distribue comme du pain bénit à ses frères de tribu dans un hôtel à Bruxelles, ce serait déjà une bonne chose. Olobi nini ?
@ Mpangi Jo Bongos,
Quand on sait que le parti politique chez nous ne répond pas à la définition du parti tel que vécue en Occident, ce monde que nous copions aveuglement, faut-il continuer à gouverner le pays sur cette base ? Ne faudrait-il pas s’arrêter et réfléchir sur comment construire la démocratie autrement ? C’est là un débat que les élites du pays devraient engager. Mais que fait-on ? On regarde cette situation anormale comme si c’était une fatalité.
Qu’est-ce qu’un parti politique en Afrique?
Mayoyo illustre sa réponse par les tenants et aboutissants des partis régionaux formés dans l’ancienne province de Léopoldville.
Les Africains se sont précipités dans leur processus de démocratisation à créer des partis politiques comme ils existent en Occident mais contrairement aux idéologies à partir desquelles ceux-ci sont créés en Occident, celles-ci n’ont jamais eu de réalité sociologique et intellectuelle chez nous. ABAKO, PSA, LUKA… seront fondés sur base de l’appartenance tribo-territoriale de leurs fondateurs.
Heureusement, dirons-nous, en même temps se sont formés des partis à dimension nationale, au moins un le MNC. Mayoyo nous demontrera sans doute que malgré ceux-là sa dénonciation des partis politiques à l’occidental qui sont sans base idéologique chez nous est pertinente…
Cher Nono,
Patience ! L’article sur les partis dits à dimension nationale est pleine préparation à la cuisine.
Cher MBTT. Merci pour ce rappel historiquede des partis politiques dans l’ancienne province de Leopoldville. Pour revenir a la question capitale que vous posez dans le titre, chacun a sa reponse. Si la personne qui repond est un acteur politique, sa reponse sera une version locale de la definition occidentale d’un parti politique. Cela va de soi parce que l’organisation des masses populaires en partis politiques vient de la. Si la personne est juste un observateur du paysage politique de son pays, ou d’un pays donne, sa reponse refletera sa perception de ce qui se passe dans le milieu concerne. Si cette question est posee a un Kinois qui n’est pas dans la politique active, il vous repondra qu’un parti politique est un’ligablo’ de son president-fondateur, ou autorite morale. Il est cree pour avoir facilement acces au gateau comme le pouvoir se nomme parfois chez nous. Le plus sophistique des kinois vous dira que le parti politiuq chez nous comme ailleurs est un ensemble circonstanciel compose des coquins et des copains selon l’heureuse formule de feu Prince Poniatowski. Son role est de vendre la vision de l’ensemble a plus de citoyens possible pour obtenir leur adhesion d’abord et leurs votes ensuite. D’autres vous diront qu’un parti politique chez nous est avant tout la materialisation de la conception de l’Etat et sa gestion par une homme fort qui a suffisamment de charisme pour faire de cette conception que l’on appelle chez nous vision la raison d’etre du parti. Je suis sur que vous en entendrez davantage, et j’ai hate de connaitre les reponses de nos concitoyens.
Cher Binsonji E Madilu,
Un parti politique est avant tout une prise de position face à deux choses : les conflits et aspirations majeurs que vivent les citoyens d’un Etat au sein de celui-ci ou vis-à-vis de l’extérieur. Cette prise de position est ce qu’on appelle idéologie. Chez nous, exceptés quelques rares partis tels que le Chama Cha Mapinduzi en Tanzanie, il n’existe rien de tel. D’où ma question : pourquoi créons-nous des partis sinon juste pour montrer que nous sommes aussi « civilisés » que les Blancs ? Qui a dit aux Africains que pour construire une démocratie, il faut absolument créer des partis politiques ? Voilà des questions qui mériteraient d’être débattues en Afrique. Et je suis là pour susciter ces débats et montrer en même temps que nous ne réfléchissons jamais quand il faut construire la démocratie dans nos Etats. Dès lors, il ne faut pas s’étonner que la démocratie ne marche pas.