Sécurité nationale: Ex-chef barbouze, « Kalev » suspecté de… « menées subversives »

Tout est vanité. Administrateur général (AG) de l’Agence nationale de renseignements (ANR) jusqu’au mois de mars 2019, Kalev Mutond fut un des hommes les plus redoutés du Congo-Kinshasa. Il pouvait faire arrêter qui il voulait et quand il le voulait. La remise en liberté intervenait dans les mêmes conditions. « Kalev » recevait ses instructions de « Joseph Kabila » à qui il rendait exclusivement compte. Durant les huit années de sa présence à la tête des « services secrets », l’ex- chef barbouze avait mis ses « talents » de tortionnaire au service de la survie du régime de son mentor « Kabila ». Et ce au détriment des missions classiques de tous les « services spéciaux ». A savoir: veiller à la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat. Mercredi 7 février 2020, Kalev Mutond s’est retrouvé dans une situation kafkaïenne. Il a été interpellé par des agents de la DGM et ceux de l’ANR avant de subir un interrogatoire.

La nouvelle s’est répandue au début de l’après-midi comme une traînée de poudre: « Kalev Mutond a été interpellé, mercredi, aux environs de 13 heures, à l’aéroport de Ndjili. Il a été auditionné jusqu’au milieu de l’après-midi avant d’être autorisé à rentrer chez lui ». Toutes les dépêches précisaient  que « le motif de son interpellation n’est pas connu ».

Selon une source bien informée, l’ex-administrateur général de l’ANR revenait d’un voyage en Ouganda où il aurait eu plusieurs réunions avec des ex-combattants de l’ex-« rebellion » pro-rwandais du M23. De quoi ont-ils parlé? Mystère. « Le passage incognito à Kampala de l’ex-patron de l’ANR a mis la puce à l’oreille des services ougandais. Ce sont les Ougandais qui ont signalé son arrivée et son départ aux services de l’AG Inzun Kakiak », croit savoir notre interlocuteur.

RELATIONS APAISÉES

Il importe d’ouvrir la parenthèse pour relever que depuis l’investiture de Felix Tshisekedi à la tête de l’Etat, le Congo-Kinshasa entretient des « relations apaisées » avec ses neuf voisins. L’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la RDC et la Région signé le 24 février 2013 à Addis Abeba par onze Etats (Afrique du Sud, Angola, Burundi, RCA, Congo-Brazzaville, Ouganda, RDC, Rwanda, Soudan du Sud, Tanzanie, Zambie) oblige les signataires notamment à « empêcher les groupes armés de déstabiliser les pays voisins » et à « ne pas assister les groupes armés ».

Kalev Mutondo

Début avril 2019, le président Tshisekedi a nommé Claude Ibalanky Ekolomba et Patrick Mutombo Kambila en qualité respectivement de coordonnateur et coordonnateur adjoint du Mécanisme national de suivi de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba (MNS). 

Cette structure a pour mission de matérialiser les engagements contenus dans ce traité. La situation des ex-combattants du M23 ayant trouvé refuge en Ouganda fait partie des dossiers à évoquer avec la partie ougandaise. Ibalanky et Mutombo sont donc les interlocuteurs attitrés. Fermons la parenthèse.

Après Kampala, Kalev a pris un vol de la compagnie aérienne « Ethiopian » à destination d’Addis Abeba avant de prendre un avion de « Kenya Aiways » à Naïrobi. Ce dernier aéronef a atterri, mercredi 12 février, aux environs de 13 heures à Kinshasa. Un « comité d’accueil » attendait au bas de la passerelle. C’est l’interpellation. Que lui reproche-t-on? Réponse: « Kalev Mutond est suspecté de menées subversives ».

D’après notre interlocuteur, l’ex-premier flic de la République voyageait avec un « vrai-faux » passeport de service. En guise de profession, il était mentionné: « conseiller du Premier ministre ». Qui a délivré ce titre de voyage? Qui en avait fait la demande? 

Selon des informations parcellaires,  l’ex-président « Kabila » n’était pas au courant des pérégrinations de son ancien « bras sécuritaire ». Même son de cloche au cabinet du Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba.

DEVOIR DE RÉSERVE MÉCONNU

Natif du « Grand Katanga », ancien chef des travaux à l’Université pédagogique nationale (UPN), Kalev Mutond n’a jamais reçu la formation « d’officier de renseignement ». « Il a été recruté sur base des critères tribalo-régionalistes à l’époque où l’ANR était dirigée par Georges Leta Mangasa, un équatorien, confie un ancien agent joint à Kin dans la soirée. Tout en étant le numéro 2 chargé de la direction de la Sécurité intérieure, Kalev était, en fait, le véritable patron. Et ce y compris sous la direction de l’AG Daruwezi Mokobe ».

De l’avis général, le départ de Kalev de la direction de l’ANR, en mars 2019, a été accueilli comme une « délivrance ». « Incompétent, Kalev a confondu la Sûreté nationale avec la pérennité d’un régime à l’image de la Tchéka soviétique ou de la Gestapo sous l’Allemagne hitlérienne. C’était une façon pour lui de dissimuler ses insuffisances. Il multipliait des actes illégaux dont des arrestations et détentions arbitraires pour conquérir le cœur du raïs », enchaîne un autre agent.

Il faut bien reconnaître que l’ex-chef barbouze n’a cure du « devoir de réserve » cher aux professionnels des « services spéciaux » issus des grandes écoles américaines, israéliennes, françaises ou belges. Depuis son départ, l’homme donne de lui l’image d’un aigri. Il a publié au moins deux « communiqués de presse » en l’espace de huit mois. 

RÉACTIVER DES « RÉSEAUX DORMANTS »

Le premier communiqué, daté du 8 mai 2019, était une sorte de « mise en garde » adressée à ceux qui, à ses yeux, ont « trahi » « Kabila ». « Plus que la sagesse universelle, la sagesse bantoue préconise, à bon droit, de ne guère oublier d’où l’on vient et par où l’on est passé », écrivait-il.

Dans le second daté du 28 janvier dernier, il donnait la réplique au secrétaire général de l’UDPS qui l’avait accusé, trois jours auparavant, de suivre Fatshi partout à l’étranger « pour demander ce qu’il était allé faire ». Kalev menaçait de révéler des « événements » dont il a été « témoins et acteurs ».

L’interpellation de l’ex-patron de l’ANR risque d’exacerber l’aigreur de cet homme qui semble mal vivre sa toute-puissance perdue autant que la peur que l’évocation de son nom ne suscite plus. 

Trois questions restent, pour l’instant, sans réponses. De quoi Kalev Mutond a pu parler avec des anciens combattants du M23 exilés en Ouganda? L’ex-chef barbouze, spécialisé dans le montage des groupes armées, s’est-il rendu à Kampala pour « réactiver » des « réseaux dormants »? A quel dessein?

 

Baudouin Amba Wetshi

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