Affaire Eliezer Ntambwe

Rédacteur en chef du très populaire – populiste pour d’autres – magazine « Tokomi wapi? » (www.tokomiwapi.info) qui fait un tabac sur les réseaux sociaux, Eliezer Ntambwe a été arrêté dans la matinée de lundi 2 avril. En exécution d’un « mandat d’amener », des officiers de la police sont venus le « chercher » à son bureau. Destination: parquet général près la Cour d’appel de la Gombe. On apprenait mardi 3 avril que le gouverneur Ngoy Kasanji a reconnu avoir porté plainte contre « Eliezer » pour « acharnement ». Il prétend avoir fait l’objet d’un « chantage ».

« Urgent! Urgent! Ndeko Eliezer vient d’être arrêté dans son bureau ». C’est le message qui défilait ce lundi de Pâques sur le site « Tokomi wapi? ». Selon l’activiste des droits de l’Homme Paul Nsapu Mukulu, l’arrestation a eu lieu à 12h00 (heure de Kinshasa).

Une source sécuritaire contactée dans la capitale croit savoir que « l’interpellation d’Eliezer a été décidée en haut lieu. Il lui est reproché de brocarder les gouvernants en place et d’être ouvertement favorable à Moïse Katumbi ».

A en croire cette source, notre confrère devait être transféré au siège de l’Agence nationale de renseignements (ANR). Pour éviter de provoquer un tollé, il aurait été demandé à Kalev Mutondo, administrateur général de l’ANR, de laisser l’appareil judiciaire apparaitre « en première ligne ». En clair, il s’agit d’une affaire plus politique que judiciaire.

Au fil du temps, « Ndeko Eliezer », alias « Muana Nkolo lopango », est devenu une sorte de « poil à gratter » pour les « intouchables » du régime finissant de « Joseph Kabila ». Un humoriste pourrait dire qu’il existe une « longue file » des oligarques qui piaffent d’impatience pour réduire « Tokomi wapi? » au silence.

Ngoy Kasanji, gouverneur du Kasaï Oriental

En visionnant les émissions produites le 8 et le 15 mars derniers par ce confrère, on peut trouver un début de réponse à ses « ennuis judiciaires ». Lundi soir, tous les yeux étaient tournés vers les gouverneurs Ngoy Kasanji (Kasaï Oriental) et Berthold Olungu (Sankuru). Et pour cause?

DIAMANT DE 35 CARATS

Le 8 mars dernier, « Ndeko Eliezer » a reçu la visite de deux natifs du Sankuru. Il s’agit d’une certaine Osako non autrement identifiée et de Théodore Vodo (?) Okitaoko. Les deux personnes ont accusé le gouverneur Ngoy Kasanji, négociant en diamant de profession, et son collègue Berthold Ulungu d’avoir « extorqué » un diamant de 35 carats à leur frère et oncle nommé Olomi Lohodi, un « creuseur » qui opère en pays tetela.

Olomi Lohodi a découvert cette pierre précieuse dans le Groupement Bena Nkoyi dans le Sankuru. C’était en décembre dernier. Il a aussitôt envoyé un message au gouverneur intérimaire du Sankuru. Au moment où il se trouvait dans le bureau de ce dernier, l’épouse du titulaire Ulungu a déboulé sur le lieu. Elle était porteuse des « instructions » de son époux: « Le gouverneur a décidé que ce diamant doit être expédié à Kinshasa ». Les frais du voyage sont pris à charge par « Mama gouverneur ».

Arrivés à l’aéroport de Ndjili, Madame Ulungu, le creuseur Olomi et une troisième personne auraient trouvé le gouverneur Ngoy Kasanji attendant sur le tarmac. Ce dernier prend aussitôt possession de la pierre querellée qui se trouvait dans le sac à main de l’épouse Ulungu.

Le groupe quitte immédiatement l’aéroport. Destination: résidence de Ngoy Kasanji, alias « Ngokas » à Ma Campagne.

Selon la dame Osako, un montant de 10.000 $ est proposé au creuseur qui oppose un refus catégorique. « J’ai vu mon jeune frère dépérir, martèle la nommée Osako. Mon frère m’a confié qu’il a été giflé par le gouverneur Ngoy Kasanji qui lui a rappelé que le diamant est propriété de l’Etat ».

Le problème? Le creuseur Olomi est décédé. A-t-il été victime de traitements inhumains et dégradants? La dame Osako en est convaincue. Il est difficile de tirer une conclusion en l’absence d’un rapport rédigé par un médecin légiste. « Il faut qu’on me rende le diamant de mon frère », tonnait Osako à chaudes larmes.

DÉSAMOUR

Berthold Olungu, gouverneur du Sankuru

Le 15 mars, le gouverneur Ulungu est reçu par Ndeko Eliezer. Il a sollicité un rendez-vous pour faire valoir son droit de défense. Il commence par balayer d’un revers de main les accusations articulées tant à son encontre que de son épouse. « C’est du mensonge », tempête-t-il. « Ma femme ne voulait pas lâcher le diamant avant d’obtenir le remboursement des frais de voyage et de logement qu’elle avait engagés de Lusambo à Kinshasa ».

« Berthold » a, en revanche, reconnu qu’une somme de 10.000 $ avait été proposée au creuseur. En vain. « Cette pierre ne valait même pas 10.000 dollars », fait-il remarquer. Quid de la mort du creuseur? « Monsieur Olomi a été emporté par une mort naturelle. Il souffrait de ‘Mbasu’. On ne l’a jamais frappé. Je ne vois pas ‘son excellence’ (sic!) Ngoy Kasanji lever la main sur quelqu’un ».

Au moment de clôturer son « droit de réponse », Berthold Ulungu contenait à peine son courroux. S’adressant à Eliezer, il dit: » Votre média est très suivi jusqu’au fin fond du pays. Alléguer que j’ai fait tuer quelqu’un, constitue, pour moi, une imputation dommageable. Vous ne pouvez imaginer le dommage causé aux deux provinces ». Et de conclure: « J’en ai souffert. Il s’agit d’une dénonciation calomnieuse. Je vais demander des dommages et intérêts… »

Eliezer Ntambwe, qui a pour conseil Maître Hervé Diakese, fait partie des signataires du « Manifeste du Citoyen, Esili » signé le 18 août 2017 à Paris.

Certains observateurs n’excluaient pas lundi 2 avril que « Ndeko Eliezer » soit accusé « d’outrage au chef de l’Etat ». Lors de la première émission, « Kabila » et son ministre de la Communication Lambert Omalanga avaient été égratignés par la dame Osako.

Voilà une affaire à suivre qui ne manquera pas d’exacerber le désamour entre le « despote de Kingakati » et la grande majorité de journalistes congolais acquis à la démocratie et à l’Etat de droit. Bref, à l’alternance…

 

Baudouin Amba Wetshi
© Congoindépendant 2003-2018

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