Assemblée nationale: Corneille Nangaa face (enfin) à l’obligation de rendre compte

Président sortant de la très controversée Commission électorale nationale (mal nommée) indépendante, Corneille Nangaa, est attendu, vendredi 9 avril, devant la représentation nationale. Objet: présenter le rapport général de la gestion de cette institution d’appui à la démocratie de 2012 à 2019. Une première. On espère que l’opinion aura enfin une idée précise tant du coût d’un scrutin que du sort réservé aux équipements mis à la disposition de cette Centrale électorale en 2006, 2011 et 2018. A plus ou moins trente mois des élections générales de 2023, toutes les volontés semblent tendues vers l’organisation de ces consultations politiques dans les délais constitutionnels. Echaudés par le clientélisme politique qui a érodé l’image de la CENI, deux opinions s’affrontent. La première plaide pour la réformation de la Ceni avant la désignation de ses animateurs. L’objectif serait d’éviter les erreurs du passé en mettant cette Commission à l’abri du clientélisme politique. La seconde, elle, privilégie la désignation des animateurs avant les réformes.

De gauche à droite: Corneille Nangaa, Christophe Mboso N’kodia Pwanga, Jean-Pierre Kalamba

C’est le président de l’Assemblée nationale, Christophe Mboso N’Kodia Pwanga, qui a annoncé, vendredi 2 avril, l’audition prochaine du président sortant de la Ceni, Corneille Nangaa. Ce dernier ne sera pas seul. Rapporteur du Bureau sortant de la Centrale électorale, Jean-Pierre Kalamba sera également là. On apprenait que ledit rapport général a été déposé au Bureau de l’Assemblée nationale en 2019. On imagine que les parlementaires ont mis à profit ce temps pour le décortiquer.

Le « Speaker » Mboso a expliqué à cette occasion qu’un « débat républicain » a lieu actuellement au sujet des réformes électorales à mener en prévision des élections générales de 2023. Ce débat exige, selon lui, que les animateurs sortant de la Ceni viennent dresser à l’intention des élus nationaux un « rapport général » sous la forme d’un état des lieux de 2012 à 2019. Sans omettre des recommandations pour l’avenir.

Par la bouche du secrétaire général de la commission justice et paix, l’Eglise du Christ au Congo (ECC) a « salué », le même jour, cette annonce. Pour Eric Nsenga, l’audition du Président sortant de la Ceni « va marquer le début régulier du processus électoral en vue des élections libres, transparentes et apaisées en 2023 ». Pour lui, cette démarche constitue une « voie royale » pour amorcer « les réformes de la Ceni » suivis par la « désignation de ses animateurs ».

Lors de la rentrée parlementaire le 15 mars, le député national Delly Sessanga dit avoir relevé un certain « flou » dans l’allocution inaugurale du président Christophe Mboso. Pour cet élu de Lwiza, ce dernier n’avait pas « clarifié » la nécessité d’accorder la primauté aux réformes structurelles de cette institution avant la désignation des prochains animateurs.

Dans son speech, le « Speaker » de la Chambre basse s’était contenté d’encourager les chefs des confessions religieuses à procéder, « dans le meilleur délai », à la désignation de leur « délégué à la Ceni ».

REFORMER LA CENI AVANT LA DESIGNATION DES ANIMATEURS

La Constitution consacre son « Titre V » aux institutions d’appui à la démocratie. L’article 211 stipule notamment: « Il est institué une Commission électorale nationale indépendante dotée de la personnalité juridique. La Commission est chargée de l’organisation du processus électoral, notamment de l’enrôlement des électeurs, de la tenue du fichier électoral, des opérations de vote, du dépouillement et de tout référendum. Elle assure la régularité du processus électoral et référendaire ».

Le député national Delly Sessanga, président de l’Envol

Depuis 2006, la Ceni a vu défiler à sa tête des personnalités faussement indépendantes. Il s’agit de: Abbé Apollinaire Malumalu (deux mandats dont un inachevé pour cause de décès), Daniel Mulunda Ngoy Nyanga et Corneille Nangaa. Inféodés au « clan kabiliste », ces trois personnages ont fini par faire dévoyer l’épithète « indépendante » de cette centrale électorale. La Ceni a été mise au service des intérêts politiques de « Joseph Kabila » et sa mouvance le « Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie ». Et ce en dépit du fait que la majorité, l’opposition et la société civile y siègent.

Selon des observateurs impartiaux, les consultations politiques organisées en 2006 et 2011 ont été parsemées de graves irrégularités et autres fraudes. En 2006, c’est dans un véhicule blindé que le président Apollinaire Malumalu va se rendre au siège de la radio nationale pour publier les résultats provisoires. Selon ces mêmes observateurs, les élections présidentielles de 2006 et 2011 ont été remportées respectivement par Jean-Pierre Bemba Gombo et Etienne Tshisekedi wa Mulumba.  L’opinion congolaise a encore frais en mémoire la déclaration de Bemba: « J’ai accepté l’inacceptable ».

« JOSEPH KABILA » DU « CHOUCHOU » DE L’OCCIDENT AU PARIA

L’élection présidentielle et les législatives de 2006 ont été financées à près de 80% par la « communauté internationale ». Coût: 450 millions $. Le quote-part du gouvernement congolais oscillait autour de 10 millions $. A l’époque, le « raïs » était, semble-t-il, le « chouchou » de l’Occident. Il n’était pas question de permettre le retour au pouvoir du Président du MLC qualifié de « mobutiste ».

Après la signature des « contrats chinois » (infrastructures contre minerai) en 2009, « Kabila » a pris ses « distances » vis-à-vis de ses « amis occidentaux » déçus par la dérive despotique du régime. Redoutant que ceux-ci ne lui fassent un bébé dans le dos, le « raïs » prit la décision d’autofinancer les élections du 28 novembre 2011. Montant estimé: 750 millions $.

En juin 2012, le Nord-Kivu est secoué par la « mutinerie » des combattants rwandophones issus des brassages et mixages entre l’armée congolaise et le CNDP (Congrès national pour la défense du peuple) de Laurent Nkunda. C’est la naissance du fameux « M23 ». Dans des interviews accordées à la presse bruxelloise en 2013, le colonel Patrick Karegeya, ancien patron des « services » rwandais n’ira pas par quatre chemins en affirmant que « le maître de Kigali était à la manette ». Traduction en français facile: le CNDP et le M13 étaient des « créations » du Rwanda de Paul Kagame. Karegeya sera assassiné en janvier 2014.

Après la défaite du M23 en novembre 2013, « Kabila » ne faisait plus mystère de sa volonté de s’accrocher au pouvoir. Il ne faisait pas non plus mystère de sa détermination de faire modifier la Constitution pour lui permettre de briguer un troisième mandat. Et pourquoi pas une Présidence à mandat illimité? Les Concertations nationales et le dialogue politique inclusif n’étaient que des subterfuges devant conduire à la concrétisation de cette ambition. En contrepartie, des opposants devaient se voir attribuer quelques strapontins.

LA PEUR D’UN NOUVEAU « GLISSEMENT »

Emmanuel Ramazani Shadary

Sept mois avant l’expiration de son second mandat (19 décembre 2016), « Kabila » fait saisir la Cour constitutionnelle par des députés étiquetés PPRD. Emmanuel Ramazani Shadary, en tête. Objet: obtenir l’interprétation du deuxième alinéa de l’article 70 de la Constitution. Un texte qui brille par sa clarté: « A la fin de son mandat, le Président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu ». Pour les partisans du « raïs », celui-ci restera à son poste jusqu’à l’élection de son successeur à une date indéterminée. Bonjour le « glissement »! Au lieu de convoquer le scrutin pour l’élection présidentielle en septembre 2016, la Ceni ne fera rien. Ce n’est que le 30 décembre 2018 que les citoyens iront voter.

On peut comprendre que les esprits soient surchauffés à quelques 30 mois du délai constitutionnel pour la tenue des élections de 2023. « Chat échaudé craint l’eau froide », dit l’adage. On assiste à une sorte de psychose d’un nouveau « glissement ». D’aucuns prêtent au président Felix Tshisekedi l’intention de « glisser ». Les évêques catholiques n’ont pas tardé à dire tout le mal qu’ils en pensent. Il faut bien reconnaitre que les « combattants » et certains cadres de l’Udps n’ont pas peu contribué à l’éclosion de l’idée controversée selon laquelle « Fatshi devrait récupérer les deux années perdues durant la coalition Fcc-Cach.

En évoquant, vendredi 2 avril, la mise en route d’un « débat républicain » sur les réformes électorales à mettre en œuvre, le président Christophe Mboso Nkodia adhère à l’idée de procéder, en premier lieu, aux réformes structurelles de la Ceni. On espère que cette institution d’appui à la démocratie sera in fine à l’abri des influences politiques.

Le 9 avril prochain, les Congolais de l’intérieur et ceux de l’étranger vont suivre l’audition de Corneille Nangaa avec attention. Une chose paraît sûre: les élections de 2006 (Apollinaire Malumalu) et celles de 2011 sont qualifiées de « moins mauvaises ». Celles de 2018 sont qualifiées unanimement de « mauvaises » voire « chaotiques ». Peut-on espérer de « meilleures » élections en 2023?

 

B.A.W.

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