Bertin Mampaka: « J’ai quitté le CDH suite à des divergences fondamentales »

Député régional bruxellois, Bertin Mampaka, 63 ans, Belge d’origine congolaise, a rejoint les libéraux francophones (MR) après 27 années passées dans l’ex-parti social-chrétien rebaptisé CDH (Centre Démocrate Humaniste). La nouvelle a fait, vendredi 18 septembre, l’effet d’un coup de tonnerre à Bruxelles et en Wallonie. D’aucuns y voient une « démarche opportuniste » au moment où le MR semble avoir le vent en poupe et que des pré-formateurs sont occupés à « déblayer le terrain » en vue de la formation du gouvernement fédéral. L’intéressé motive son départ par un « manque de reconnaissance ». « Je n’ai pas été récompensé pour le travail abattu au sein du CDH », clame-t-il.  Dans un entretien avec notre journal, Bertin Mampaka a répété à maintes reprises qu’il ne partage pas « les choix faits pour l’avenir du CDH ». Interview.

Quelle est la motivation de votre départ du CDH?

J’ai adhéré au PSC en 1993. A l’époque, ce parti ne faisait que 4%. Grâce à un travail collectif, nous l’avons fait remonter. J’ai participé à la rénovation du parti en « Nouveau PSC » et « CDH ». Je n’ai pas peu contribué au niveau électoral. Il est arrivé un moment où mes électeurs ont estimé que la position que j’occupe au sein du parti n’a aucun rapport avec mon poids politique. Je suis devenu sénateur grâce à mon score électoral. Mes électeurs m’ont dit: « Monsieur Mampaka, vous nous avez amené dans une aventure pour le moins ambigüe. Vous avez contribué à la remontée du CDH mais vous n’êtes pas reconnu. D’ailleurs, ce parti est en perte de crédibilité ». Mes électeurs ont constaté que je ne suis plus en capacité de peser dans un parti qui est en train de réfléchir sur son avenir pour la cinquième fois. Au mois de mars prochain, cette formation politique devrait adopter une nouvelle dénomination. J’ai jugé bon de m’en aller plutôt que de devoir subir les conséquences de mauvais choix stratégiques de quelques-uns.

Dans un article publié dans la Libre Belgique du 18 septembre, vous avez déclaré que « le CDH ne correspondait plus à mon projet politique ». Il vous a donc fallu 27 années pour le réaliser…

Je n’ai pas attendu 27 ans. Durant ce laps de temps, j’espérais un changement de mentalité à l’intérieur du parti. Pour votre information, j’ai participé à la rédaction du projet CDH à l’époque. Il faut que le choix du citoyen soit respecté. Au MR, c’est clair, la case de liste n’existe plus. Au CDH, on tergiverse. Le parti est muet sur certains sujets de société. C’est le cas notamment de l’avortement. Au MR, c’est clair. Celui qui est croyant vote selon sa conscience. Au CDH, on reste dans l’indécision. Il y a des femmes guinéennes qui portent le foulard à Bruxelles. Il y a un débat qui est soulevé à ce sujet: ces femmes peuvent-elles être voilées aux guichets communaux oui ou non? Silence au CDH. C’est également le cas du débat sur la « mémoire coloniale ». J’ai constaté que ceux qui doivent porter le message du CDH le porte mal.

Devrait-on parler de « frustration »?

Absolument pas! Le problème est ailleurs: les choix stratégiques arrêtés par le parti ne me conviennent pas. Il est inacceptable que mon rôle se limite à être « le black qui ramène des voix ». C’est une divergence fondamentale d’opinion y compris dans le casting des ministres. Pas seulement pour moi. Je tiens à préciser que je ne suis pas en guerre avec le CDH. Je reste en parfaite harmonie avec certains de ses membres. Je m’entendais bien avec Benoît Lutgen. Maxime Prévot est un président honnête. Le CDH compte en son sein beaucoup de personnes correctes dont je voudrais garder l’amitié. Sauf qu’il y a six ou dix personnes qui n’ont ni éthique ni morale et qui y pourrissent parfois l’ambiance. Un ancien bourgmestre a dit: « Quand les dégoûtés seront partis, resteront les dégoutants ». Ils ont fait de mauvais choix stratégiques. Ils n’ont qu’à les assumer. J’ai fait ma part. Je répète: je ne partage pas les choix qui sont faits pour l’avenir du CDH. Le MR est un parti unitariste qui tend la main aux minorités. Il y a une nouvelle dynamique. Le parti libéral a le mérite de récompenser ceux qui travaillent. L’Etat providence est en train de disparaître partout. Le parti libéral donne à chacun le droit d’être autonome. Mes électeurs aspirent à devenir des entrepreneurs.

La question qui suit sera un peu dérangeante…

Pour moi, il n’y a pas de question-tabou. Je suis simplement prudent. Pour votre information, des membres du CDH ont menacé mes collaborateurs. Ils m’ont promis des « jours difficiles ». J’ai appris qu’ils vont acheter de « faux témoignages » dans les milieux africains pour me salir comme ils l’ont fait pendant que j’étais dans ce parti. L’objectif serait de diminuer mon influence et mon électorat. Je ne sais pas si quelqu’un vous aurait suggéré une question…

Il y a quelques semaines, le président Maxime Prévot a annoncé que le CDH préfère rester dans l’opposition. Cette annonce a coïncidé avec les tractations en vue de la formation du gouvernement fédéral. Dans l’édition précitée du quotidien « La Libre Belgique », vous faites l’éloge notamment de la Premier ministre Sophie Wilmès et de son prédécesseur Charles Michel. Que pourriez-vous répondre à ceux qui accolent déjà l’épithète « opportuniste » à votre départ?

Ce sont des rumeurs idiotes répandues par certains cadres du CDH. Votre question n’est pas embarrassante. Bien au contraire. Elle est justifiée. Je tiens à vous dire que je devais rejoindre le MR avant les élections de 2014. A l’époque, le CDH était dans les majorités. Pourquoi ai-je décidé de quitter ce parti? Ceux avec lesquels nous avons travaillé ne se sont pas présentés aux élections. Ils ont déserté. Je n’ai pas voulu partir au moment où les rangs du CDH étaient déjà clairsemés. Alain Courtois m’avait invité de rejoindre le MR. J’ai refusé préférant livrer un dernier combat. J’ai fini par franchir le rubicond après avoir constaté que le « navire » prend un mauvais cap.

A partir de quel moment avez-vous pris la résolution de partir?

Cela fait trois mois que mon passage au MR devait être annoncé. On n’a pas voulu le faire avant la formation du gouvernement. C’est une décision qui a été difficile à prendre pour moi. En tant que cadre supérieur du CDH, j’ai mûrement réfléchi. Croyez-moi, je ne me sauve pas parce que le navire est en train de couler. Je n’ai jamais occupé une fonction exécutive à l’intérieur du parti. Je suis un militant qui a assumé des fonctions politiques. Je remets mon poste de secrétaire au Parlement bruxellois au parti. J’ai choisi un parti dirigé par des jeunes gens décidés à imprimer un souffle nouveau au MR. J’ai 63 ans, il me reste encore quelques années.

Le MR est une formation politique plutôt mal aimée par une importante partie de la diaspora congolaise. En cause, la position adoptée par Didier Reynders, alors ministre des Affaires étrangères, selon laquelle les fraudes dénoncées lors de l’élection présidentiel du 28 novembre 2011 n’avaient aucun impact sur les résultats. Des propos perçus comme un soutien subtil au président sortant « Joseph Kabila » tout en désavantageant le challenger Etienne Tshisekedi wa Mulumba donné vainqueur.

En 2011, Didier Reynders [Ndlr: actuellement commissaire européen à la Justice] avait fait la déclaration à laquelle vous faites allusion en tant que ministre des Affaires étrangères. Mon parti, le CDH, n’avait pas dit autre chose. Le parti socialiste, mêmement. Cela fait douze ans que le sénateur belge que je suis n’ait pas mis les pieds au Congo-Kinshasa. Avez-vous remarqué la froideur de l’accueil réservé au ministre Reynders lors de l’inauguration, en novembre 2017, de la nouvelle chancellerie de l’ambassade de Belgique à Kinshasa? Vous avez sans doute compris que c’est la conséquence des pressions exercées sur les dirigeants congolais de l’époque par l’Union européenne en général et la Belgique en particulier. Je peux vous dire que Didier Reynders s’est racheté depuis lors aux yeux de l’opinion congolaise. Vous pouvez convenir que l’alternance démocratique au Congo n’est pas arrivée toute seule. L’ancien président Kabila sait mieux que quiconque l’implication de Monsieur Reynders pour que le changement puisse avoir lieu. Aujourd’hui, le MR est dirigé par un jeune président qui ne souffre d’aucun complexe vis-à-vis du passé colonial. Il n’y a aucun opportunisme. Bien au contraire, en partant, j’ai dû me défaire de certains avantages. J’admets qu’il y a au CDH des gens qui reconnaissaient mon apport. Un président de parti m’a dit un jour: « Mampaka, tu vas souffrir des amitiés et copinage au sein de ce parti ». Le travail que j’ai abattu au CDH n’est pas proportionnel au respect qu’on accorde à mes électeurs. Ceux-ci ne cessaient de me demander: « Pourquoi tu n’occupes pas la vice-présidence du CDH? Pourquoi tu n’es même pas chef de groupe parlementaire? » Je ne suis pas achetable. Le président Georges-Louis Bouchez ne m’a pas « payé » pour rejoindre le MR.

 

Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi

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