Congo-Kinshasa: La lassitude

Le mot « lassitude » a au moins deux significations. Primo: état d’une personne lasse. Secundo: abattement mêlé d’ennui. La lassitude a pour meilleur synonyme la « fatigue ». Bref, l’épuisement.

Depuis le 24 avril 1990, date de la restauration d’un pluralisme politique mal assimilé, la vie politique zaïro-congolaise est fatigante. Elle est épuisante non seulement pour les natifs de ce grand pays mais aussi pour les « amis du Congo ». Ceux-ci observent avec consternation.

Les Congolais sont allés aux urnes le 30 décembre 2018 pour promouvoir le changement avec un grand « C ». La passation de pouvoir entre le Président sortant et son successeur a eu lieu le 24 janvier dernier. Quatre mois après, le constat est là: on tourne en rond!

Certes, les prisonniers politiques et d’opinion ont été libérés et les exilés peuvent regagner le pays. Etienne Tshisekedi wa Mulumba repose au pays de ses ancêtres. 

Quatre mois après l’investiture de Felix Tshisekedi Tshilombo à la tête de l’Etat – aux termes du très énigmatique « accord de coalition » entre le « Cap pour le Changement » (CACH) du duo Tshisekedi-Kamerhe et le « Front commun pour le Congo » (FCC) de « Joseph Kabila » -, le pays n’a toujours pas de gouvernement central.

Les Sénégalais sont allés aux urnes le 24 février de l’année en cours. Réélu, le président Macky Sall a formé son gouvernement moins de deux mois après soit le 8 avril. D’aucuns pourraient épiloguer que comparaison n’est pas raison. Sans doute.

L’article 68 de la Constitution congolaise a prévu quatre institutions au niveau national: le Président de la République, le Parlement (Assemblée nationale et le Sénat), le Gouvernement, les Cours et tribunaux.

C’est le gouvernement (le Premier ministre et les ministres) qui est chargé de gouverner et d’administrer le territoire national. Gouverner ne signifie rien d’autre que résoudre les problèmes de la vie quotidienne. Répondre aux attentes. Il va sans dire qu’un pouvoir légitime est avant tout un pouvoir efficace. Tant il est vrai que la légitimité n’a jamais été un acquis. C’est une conquête de chaque jour.

La nomination, le 20 mai, du successeur de Bruno Tshibala à la primature a fait illusion. Les « optimistes béats » avaient vite conclu que tout devait désormais aller très vite. Dix-huit jours après, l’illusion est en passe de virer en désillusion.

Intervenant le dimanche 3 juin sur RFI, le porte-parole de la Présidence de la République a déclaré que la composition de l’exécutif national devrait être publiée (peut-être) dans une semaine. Cinq jours après, le constat est là: rien.

Contre toute attente, le Premier ministre démissionnaire Bruno Tshibala – qui continue étrangement à expédier les affaires courantes à la primature en dépit de la désignation formelle de son remplaçant – est venu à la rescousse de Tharcisse Kasongo Mwema Yamba-Yamba en invitant la population à la patience. « Soyez patients, l’enfant va bientôt naître ». Faudrait-il en rire ou en pleurer?

Une question taraude tous les esprits: qu’est ce qui coince? On ne le dira jamais assez que les évêques catholiques avaient déjà trouvé la réponse dans leur message intitulé « Le pays va très mal. Debout Congolais! » publié le 23 juin 2017: « Une minorité de concitoyens a décidé de prendre en otage la vie des millions de Congolais. C’est inacceptable! »

Selon des observateurs avertis des « mœurs politiques » zaïro-congolaises, l’ancien président « Joseph Kabila » – qui se prévaut d’une majorité parlementaire factice acquise par roublardise – tente désespérément de s’accaparer de la majorité de portefeuilles dont les ministères régaliens. A savoir notamment: Affaires étrangères, Défense, Justice, Intérieur et les Finances. Sans omettre, les Mines.

Présumé commanditaire autant qu’auteur de crimes non seulement de sang mais aussi économiques, « Kabila » a peur. L’homme a peur de l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête.

La reconduction d’Albert Yuma Mulimbi, un gestionnaire-pirate, au poste de Président du conseil d’administration de la Gécamines est perçue comme un aveu d’impuissance de la part du président Tshisekedi, en même temps qu’une insulte au corps électoral qui espérait la « rupture ».

« Joseph Kabila » a accédé au sommet de l’Etat – dans les conditions que l’on sait – un certain 26 janvier 2001. Il n’avait aucun projet politique. Encore moins, un grand dessein pour le pays.

Quatre mois auparavant, l’Assemblée générale des Nations Unies lançait les « Objectifs du millénaire pour le développement » (OMD) dont deux de huit objectifs visent à « assurer l’éducation primaire pour tous » et à « éliminer l’extrême pauvreté et la faim ».

Durant dix-huit années de pouvoir, le successeur de Mzee a dirigé le pays à coup de slogans creux: les « Cinq chantiers du chef de l’Etat », la « Révolution de la modernité ». L’homme laisse un bilan social quasi-tragique: 18 millions d’adultes congolais ne savent ni lire ni écrire. La majorité de la population, elle, vit au quotidien avec moins d’un dollar US.

Les Congolais, dans leur grande majorité, ne se considèrent guère concernés par la « coalition » CACH-FCC. Une coalition contre-nature promise à une « mort » à brève échéance. Les deux partenaires partagent tout sauf les mêmes valeurs.

Les Congolais savent que l’alliance entre le CACH et le FCC est un marché de dupes. Les Congolais sont conscients que « Kabila » et les prédateurs qui l’entourent n’ont pas de « rêve nouveau » à proposer. Bien au contraire. Ils sont en quête du pouvoir non pas pour servir l’intérêt général mais bien pour préserver des intérêts particuliers.

Pendant que la « coalition » CACH-FCC est occupée à son petit jeu politicien, les Congolais croulent sous la pauvreté. Ils n’ont ni eau courante ni électricité. Encore moins une éducation et des soins de santé de qualité. Des milliers d’enfants et leurs parents vivent dans l’insécurité alimentaire aux quatre coins du pays. Des rapts ont lieu à Kinshasa. La fièvre à virus Ebola continue à broyer des vies au Nord-Kivu. Les insaisissables « rebelles ougandais » des ADF ne « chôment pas ». Ils continuent à terroriser et à tuer dans le territoire de Beni.

Attention: le risque est grand que lassitude ambiante se transforme en fronde…

 

Baudouin Amba Wetshi

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