Corruption et fraude fiscale: un combat (déjà) perdu pour Tshibala

Cinq mois après sa nomination en qualité de Premier ministre, l’ex-secrétaire général adjoint de l’UDPS Bruno Tshibala Nzenzhe – qui peine à fixer un cap à son action – a trouvé un nouveau « dada ». Il s’agit de la lutte essentiellement contre la corruption et la fraude fiscale. Pour les observateurs, cet homme qui s’est autoproclamé « doyen des opposants » devrait affronter « Joseph Kabila » et sa fratrie qui constituent l’épicentre du « mal ». Sans omettre les « mandarins » de la mouvance kabiliste qui l’attendent sans doute au tournant. A preuve, le boom immobilier perceptible à Kinshasa. Il serait de même à Lubumbashi et à Goma. Problème: le crédit immobilier est quasi-inconnu dans le pays. D’aucuns voient tout simplement de la démagogie dans la récente sortie médiatique du successeur de Samy Badibanga.

Mardi 3 octobre, le Premier ministre Bruno Tshibala s’est livré à une sorte de « one man show » devant des représentants de la presse kinoise. Au nom de « son » gouvernement, il a lancé la « campagne de vulgarisation » des « mesures urgentes » qui remontent pourtant au mois de… janvier 2016. Quelle duplicité!

A en croire le « Premier », ces mesures seraient destinées à améliorer non seulement « le niveau de collecte des recettes de l’Etat mais aussi le climat des affaires ». L’objectif final serait, selon lui, de « renflouer les caisses de l’Etat ».

D’après Tshibala, il va falloir combattre « sans concession » la corruption, la fraude fiscale et douanière. Il n’a pas oublié la contrebande « ainsi que toutes les pesanteurs qui bloquent le développement durable » du Congo-Kinshasa.

Ancien opposant habitué à haranguer les foules, « Bruno » s’est cru en droit d’inviter la population congolaise et surtout les fonctionnaires « à soutenir la vision du Président de la République et l’action politique du gouvernement ». Amnésie?

Anesthésié par les délices du pouvoir d’Etat, l’ancien bras droit d’Etienne Tshisekedi a oublié le conclave du Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement qui s’est tenu du 8 au 9 juin 2016 à Genval.

Dans un « acte d’engagements », les participants, dont lui-même, n’avaient-ils pas pris acte « de la fin du deuxième et dernier mandat de Monsieur Joseph Kabila Kabange le 19 décembre 2016 à minuit (…) »?

Au cours de son point de presse, Tshibala de pointer un doigt accusateur en direction du « maillon faible » en l’occurrence les fonctionnaires. Selon lui, ceux-ci devraient « choisir entre l’augmentation et la prospérité générale du pays, dont ils seront eux aussi bénéficiaires, et la corruption, la fraude fiscale et douanière qui vont le détruire durablement et les maintenir dans la pauvreté et les difficultés quotidiennes insolubles ». Pas un mot sur l’opulence arrogante affichée notamment par les mandataires publics. Au sens le plus large.

LE CORROMPU ET LE CORRUPTEUR

Certes, les fonctionnaires ont une part de responsabilité dans les maux épinglés par le Premier ministre. Celui-ci a manqué un certain courage politique pour constater que la corruption et la fraude fiscale profitent avant tout à la fratrie « Kabila » ainsi qu’aux bonzes de la mouvance présidentielle.

En fait, la corruption et la fraude fiscale sont des « fléaux » qui remontent aux années 60. « Pour qu’il y ait un corrompu, il faut d’abord un corrupteur », aimait s’exclamer le président Mobutu Sese Seko devant la presse occidentale. Une réaction pour le moins sibylline.

Lors du débat dit de la clarification qui avait mis face à face une délégation du MPR parti-Etat et des journalistes belge, en décembre 1988, Mpinga Kasenda croyant faire mieux que le « Président-Fondateur » lancera ces mots: « Selon vous, le mot corruption est en lingala, Kikongo, Tshiluba ou Swahili? ». Ces propos suscitèrent l’hilarité générale!

ABSENCE DE VOLONTE POLITIQUE

Arrivé au pouvoir le 26 janvier 2001 dans les conditions que l’on sait, « Joseph Kabila » s’est « empressé » d’annoncer sa détermination à « lutter contre la corruption ».

Dans une interview accordée au quotidien bruxellois « Le Soir » daté du 16 novembre 2006, il martelait: « (…), il faut qu’il y ait une sorte de révolution morale dans ce pays, afin que les gens se transforment. (…) ».

Trois années après, le locuteur qui totalisait huit ans à la tête de l’Etat a semblé accuser une sorte d’impuissance. Dans une autre interview accordée le 9 mai 2009 au même organe de presse, il a reconnu que la lutte contre la corruption n’a pas été menée comme il se devait depuis 2001. Comme pour se disculper, il attribua la « faute » à la Banque mondiale et au FMI. Au motif que les deux institutions de Bretton Wood auraient rechigné de financer son « projet de lutte contre la corruption ».

C’est ici qu’il annonce la nomination « bientôt », au niveau du cabinet du Président, d’un « conseiller spécial en charge de la bonne gouvernance, de la lutte contre la corruption ». La désignation de cet « oiseau rare » devait intervenir selon ses propres dires. C’est au mois d’avril 2015 que l’ancien ministre de Justin Luzolo Bambi sera nommé à cette fonction.

Ces atermoiements mettent à nu l’absence d’une volonté politique à éradiquer la corruption au sommet de l’Etat. Et pour cause, « Joseph Kabila » et sa famille biologique autant que sa famille politique sont dedans jusqu’au cou. Autrement dit, la corruption fait partie de l’ADN du pouvoir finissant.

A titre d’illustration et de rappel, depuis 2005 à ce jour, les douanes congolaises sont dirigées par un proche à « Kabila ». Le ministère des Mines a le même titulaire depuis 2007. Notons en passant, les marchés publics sont attribués sans appel d’offres. Et ce en violation de la loi en la matière.

MAGOUILLES FINANCIERES A LA BGFI

Le journaliste américain Richard Miniter a été le premier à attirer l’attention de l’opinion internationale sur la fortune que posséderait le dirigeant congolais dans les paradis fiscaux. Il l’a fait dans le magazine « Forbes » daté du 30 juin 2014. Montant: 15 milliards de dollars US.

Vint ensuite les révélations faites par le banquier Jean-Jacques Lumumba au quotiden « Le Soir » daté du 29 octobre 2016 sur les magouilles financières à la BGFI Bank Congo dont le capital est détenu à 60% par la « famille Kabila ». Celle-ci tenterait de racheter à Georges Forrest les parts qu’il détient à la Banque commerciale du Congo (BCDC).

On apprenait que la Banque Centrale du Congo (BCC) avait accordé un crédit d’un import de 49 millions de dollars US à la société privée « Egal ». Cette entreprise est dirigée par un proche du « raïs » en l’occurrence Albert Yuma Mulimbi.

L’Agence américaine Bloomberg viendra enfoncer le clou en décrivant dans les détails un réseau de 70 sociétés contrôlées par la fratrie « Kabila ». Les 70 entreprises couvrent tous les secteurs d’activité: banque, immobilier, fast-food, commerce général, imprimerie, médias, exploitation minière etc.

Arrivé au Congo-Kin en 2006 fauché comme Job, Zoé « Kabila » a acquis le monopole de tous les imprimés de valeur. A savoir: plaque d’immatriculation, permis de conduire, passeports, timbres fiscaux etc. Il est l’heureux propriétaire d’un luxueux complexe hôtelier à Moanda, au Kongo Central.

En avril 2016, il y a eu la divulgation des conclusions de l’enquête dite « Panama Papers », Jaynet « Kabila » est citée parmi les personnes ayant une société off shore dans les paradis fiscaux. S’il est vrai que toute société off shore n’est pas illégale en soi, il n’en demeure pas moins vrai que ce genre de montage est généralement prisé par ceux qui ont intérêt à contourner le fisc ou à procéder au « blanchiment » de l’argent sale provenant notamment de la corruption. Tshibala a du boulot!

UN COMBAT PERDU D’AVANCE

Quinze années après son accession à la tête de l’Etat congolais, « Joseph Kabila » a acquis plusieurs ranchs ou fermes dans l’ex- Katanga (Kashamata et Kundelungu), au Bas-Congo (île de Mateba et Moanda) et à Kinshasa (Kingakati). Au Nord Kivu, il aurait racheté les anciennes propriétés de feu Prigogine Ngezayo Safari dans le Territoire de Beni. Il s’agit de la ferme de Kabasha.

« First Lady », Olive Lembe di Sita est devenue la « marraine », au sens mafieux du terme, de plusieurs commerçants indo-pakistanais. Les propriétaires de « Congo Futur » et de la Sofibanque seraient devenus, de ce fait, des intouchables. On les appelle, « les amis de Maman ».

Il est inutile d’évoquer le trafic d’influence auquel se livre Mama Sifa Mahanya dans le Haut Katanga. La « mère » du chef de l’Etat sortant fait dédouaner des marchandises au poste frontalier de Kasumbalesa moyennant une « commission ». Qui oserait lui demander de payer les frais de douane?

Que dire du scandale dit du bois rouge « Mukulu » exporté frauduleusement vers la Chine via la Zambie et la Tanzanie? L’impuissance des autorités publiques à y mettre fin suggère l’implication des membres de la « famille ».

Question: le Premier ministre Bruno Tshibala Nzenzhe et son gouvernement pourraient-ils remporter la lutte contre la corruption et la fraude fiscale? On peut en douter. L’envoi éventuel de quelques fonctionnaires véreux à la prison de « Luzumu » ne suffira guère à éradiquer ce « mal » qui a fini par gangréner tous les grands corps de l’Etat…

 

Baudouin Amba Wetshi
© Congoindépendant 2003-2017

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