Dans le cadre de ses séances de questions-réponses, la Commission des relations extérieures de la Chambre de représentants du Royaume de Belgique a auditionné, mardi 6 février, le vice-Premier ministre et ministre de la Coopération au développement, le libéral flamand (VLD) Alexander De Croo. Un des points à l’ordre du jour concernait la décision du ministère belge de la Coopération au développement de « réorienter » un quart de l’aide belge vers l’humanitaire d’une part et de l’autre, les mesures annoncées par les autorités congolaises à l’encontre de la coopération belge. Dans ses réponses, le ministre De Croo a insisté sur la volonté tant du Premier ministre Charles Michel que du ministre des Affaires étrangères Didier Reynders et de lui-même d’éviter toute « escalade verbale ». Selon lui, le gouvernement belge reste ouvert au dialogue. « Un dialogue critique ».
Loin est l’époque où la séance des questions-réponses (au Parlement belge) sur les relations belgo-zaïroises drainait des meutes de journalistes. Lassitude? Désintérêt? Les deux? « Toute relation humaine est basée sur l’intérêt », disait Jean-Paul Sartre. Il vrai que l’être humain ne fait jamais rien pour rien.
Mardi 6 février, l’auteur de ces lignes s’est retrouvé tout seul dans l’espace réservé à la presse. Cette « désertion médiatique » semble refléter le caractère dérisoire du volume des échanges commerciaux entre les deux pays. De crise en crise, l’imprévisibilité des dirigeants zaïro-congolais a fini par lasser.
Le monde politique belge est peuplé d’une majorité de quadragénaires qui ne connaissent le passé colonial belge qu’à travers des statuettes et autres « fétiches » que collectionnaient les parents ou grands-parents. C’est le cas notamment de l’actuel ministre de la Coopération au Développement Alexander De Croo. Il est né en 1975 soit quinze ans après la proclamation de l’indépendance du Congo-belge.
Mardi 6 février, le fils de « Papa Herman » a été auditionné sur la « crise diplomatique » qui affecte la coopération belgo-congolaise. Six députés fédéraux (Jean-Jacques Flahaux, Stéphane Crusnière, Els Van Hoof, Wouter de Vriendt, Rita Bellens et Georges Dallemagne) se sont relayés autour de deux questions essentielles. A savoir: la décision du ministère belge de la Coopération au développement de procéder à une « révision fondamentale » de sa coopération et les mesures de rétorsion prises par les autorités congolaises.
AU COMMENCEMENT ÉTAIT LA DÉRIVE AUTORITAIRE
Depuis plusieurs années, les relations entre le Congo-Kinshasa et la Belgique – d’aucuns diraient les relations entre « Joseph Kabila » et la Belgique – ne cessent de se détériorer. Il importe d’éviter toute confusion entre la cause et l’effet.
La crise diplomatique qui oppose les deux pays trouve son origine dans la dérive autoritaire du régime congolais. Une dérive se traduisant par des graves violations des droits fondamentaux et l’usage disproportionné de la force sur des civils sans armes. Sans omettre, les artifices que multiplie le Président sortant pour repousser le plus loin possible la tenue des élections. En réaction, le Conseil de l’Union européenne a pris des « mesures restrictives » à l’encontre de certains oligarques.
La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, est tombée au lendemain de la répression sanglante de la « marche pacifique » organisée le 31 décembre 2017 par le Comité Laïc de Coordination (CLC). But: exiger l’application de l’Accord de la Saint Sylvestre et le respect de la Constitution. Bilan officiel: six morts, plusieurs blessés et des dizaines d’arrestations.
Au moment où ces lignes sont écrites, Carbone Beni, un des activistes du mouvement citoyen « Filimbi » et cinq autres militants (Cédric Kalonji, Grâce Tshionza, Mino Momponi, Dickson Mputu et Palmer Kabeya) sont enfermés depuis le 30 décembre 2017 dans un cachot de l’ANR. Ils ont été arrêtés au moment où ils sensibilisaient la population pour la marche du 31 décembre. Les intéressés sont accusés d’ « outrage à Joseph Kabila ». La durée légale de la garde à vue au Congo-Kinshasa est de 48 heures.
Le 10 janvier dernier, le ministère belge de la Coopération au développement a décidé une « révision fondamentale » de sa coopération avec le Congo-Kinshasa. L’aide accordée jadis directement au gouvernement ira désormais aux organisations de la société civile. Et ce jusqu’à la tenue des élections fixées, pour l’instant, au 23 décembre 2018.
En guise de « réciprocité », les autorités congolaises ont signifié à Bruxelles deux mesures: fermeture de la Maison Schengen et de l’Agence belge de développement (Enabel). Une troisième mesure est intervenue sous la forme d’une lettre adressée à la représentante de SN Brussels Airlines par le « DG » de l’Aviation civile. Il s’agit de la réduction des fréquences de cette compagnie aérienne vers Kinshasa qui passe de 7 à 4 « à partir de lundi 5 février ». C’est tout? Nullement! Kinshasa a, par ailleurs, décidé de fermer son consulat général à Anvers. Bruxelles est invitée de faire de même à Lubumbashi et à Goma.
RÉACTIONS
Dans ses réponses, le ministre de la Coopération au développement a répété à maintes reprises que le gouvernement belge « a regretté » ces décisions qui sont de nature à pénaliser d’abord des centaines des Congolais qui travaillaient pour l’Enabel et la « Maison Schengen ».
Alexander De Croo de rappeler que sa décision concerne un quart d’un budget total de 98 millions d’euros. Pour lui, « la Belgique souhaite avant tout que les besoins et les droits fondamentaux de la population soient pris en compte et que les citoyens puissent aller urnes ».
Selon lui, le gouvernement belge reste attaché au dialogue. Un « dialogue critique », ajoute-t-il. En attendant, le Premier ministre Charles Michel, le ministre des Affaires étrangères Didier Reynders et lui-même entendent éviter toute escalade verbale.
Dans une déclaration faite mardi à la RTBF, reprise par Belga, le chef de la diplomatie belge a dit que son pays va consulter les partenaires en ce qui concerne la « Maison Schengen ». Selon lui, le gouvernement belge est prêt à dépêcher une délégation à Kinshasa. Celle-ci comprendrait notamment des membres des cabinets respectivement du Premier ministre, du ministère des Affaires étrangères, de la Coopération au développement et de la Défense.
Comme pour déplorer l’impasse politique ambiante dans l’ex-Zaïre, Reynders ajoute: « Nous sommes ouverts à un dialogue direct, mais il s’agit en premier lieu d’un dialogue entre Congolais. Il est nécessaire de trouver d’abord une solution au Congo ».
« LA VOIE DE LA SAGESSE »
Dans un communiqué daté du lundi 5 février, l’association de défense des droits humains « La Voix des Sans Voix » (VSV) se dit « vivement préoccupée par le bras de fer injustifié » entre le Congo-Kinshasa et le Royaume de Belgique « suite à la réaffectation aux Organisations de la Société Civile des millions d’euros destinés à la coopération directe avec le gouvernement congolais ».
La « VSV » exhorte les autorités congolaises à « se remettre en question » en manifestant du « respect » et de la « considération pour leurs concitoyens ». L’association d’inviter les mêmes autorités à « revenir sur leur décision concernant la fermeture de la Maison Schengen (…) ».
Revenons à la Commission des relations extérieures. Concluant ses interventions, le député humaniste (CDh) Georges Dallemagne a eu ces mots: « Le cynisme du gouvernement congolais a atteint son comble. Ce gouvernement n’a rien à faire avec la situation de la population ».
La crise qui oppose le gouvernement belge au « Congo libéré » de « Joseph Kabila » n’est pas sans rappeler le bras de fer qui opposa le Royaume de Belgique au Zaïre de Mobutu SeSe Seko. Le 22 décembre 1995, le secrétaire d’Etat à la Coopération au développement d’alors, Reginald Moreels, décida de renforcer l’aide indirecte belge dans les secteurs de la santé, de l’enseignement et de l’agriculture. Plus question de faire transiter l’argent de la coopération par le gouvernement.
Se sentant ignoré et « contourné », le gouvernement zaïrois durcit les conditions de délivrance de visa à l’égard des organisations non gouvernementales désignées par la coopération belge. Notons que la fermeture des consulats belges et la réduction des fréquences de vols entre Bruxelles et Kinshasa, c’est du déjà vu! Sous Mobutu, la victime s’appelait la Sabena. Le Président hors mandat, lui, s’en prend à SN Brussels Airlines.
Conseiller du secrétaire d’Etat belge à l’Asile et aux Migrations le N-VA Théo Francken, le Belgo-Congolais Laurent Mutambayi glisse ces quelques mots: « Le gouvernement belge a choisi la voie de la sagesse par le maintien du dialogue. Un dialogue critique et constructif tout en orientant son aide vers la population ».
Baudouin Amba Wetshi
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