Critique sur commande

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Après avoir pris connaissance de notre critique de sa vision politique, critique publiée par CIC le 22 octobre dernier sous le titre « Une nouvelle vision politique signée Mpuila », le Dr François Tshipamba Mpuila s’est bien débrouillé pour connaitre notre adresse email et nous écrire ces mots: « Très cher ami, compatriote et compagnon de lutte, j’ai lu votre critique contre mon article intitulé Pacte de Sang. Cet article est la continuité des 5 autres précédemment publiés sur le même sujet, en l’occurrence Au nom de l’équilibre linguistique, le futur président de la RDC devra être de l’aire linguistique Luba. Je me permets de vous envoyer ce jour tous les articles précédents qui constituent ma vision et je vous propose de formuler votre critique sur l’ensemble de cette vision. Alors je pourrai vous répondre sur base de la globalité de votre critique. C’est un débat démocratique ouvert, donc sujet à la critique positive ou négative. Bien à vous et à très bientôt ».

Nous avions remercié Mpuila pour son courriel et nous lui avions promis de prendre le temps de lire toute sa vision politique et de lui répondre à travers CIC afin d’élargir le cercle du débat.

BREF APERÇU D’UNE VISION POLITIQUE

Nous avons parcouru les 5 textes qu’il nous a envoyés, publiés entre le 25 septembre et le 2 octobre de cette année. Le premier énumère les critères pour exercer demain la fonction de président de la république dans notre pays. On y découvre un seul critère de sa part, « le respect de l’équilibre régional »; ce qui explique pourquoi, pour lui, le futur président doit être de l’aire linguistique Luba. Le même article rappelle les critères généraux et spécifiques du profil des dirigeants de la Transition, sous Mobutu, et de la Troisième République, tels que définis par la Conférence Nationale Souveraine. Dans le deuxième article, l’auteur dit s’adresser « au peuple congolais, aux partenaires et décideurs africains et internationaux en général et aux Congolais qui sont des hommes d’Etat en particulier ». Il se lance alors dans une dissertation sur la notion d’homme d’Etat. On découvre, par exemple, l’affirmation surprenante selon laquelle « le patriotisme d’un homme d’Etat le pousse à considérer son pays comme le dernier espoir de la terre ». Le troisième article annonce que « gouverner, c’est anticiper ». Aussi l’auteur nous invite-il à nous « inspirer de bons exemples des autres peuples, pays, cultures et civilisations du monde et anticiper les risques, les menaces et les dangers qui peuvent survenir dans notre pays par notre mauvaise gestion de la multiculturalité ». Puis, il nous livre, jusqu’à la fin de l’article, de larges extraits de l’ouvrage du professeur américain Samuel Huntington intitulé « Le choc des civilisations (The clash of civilizations) ». Dans le quatrième article, il note d’entrée de jeu que « l’histoire des hommes, c’est l’histoire des cultures et des civilisations ». Ensuite, il disserte sur ces deux notions. Le cinquième et dernier article, lui, porte sur le rôle du Général Charles De Gaule dans la construction de l’Union Européenne.

LA FORME

Un article est un tout. Quand il est rédigé et publié, la critique ne doit pas attendre qu’on se penche sur les autres écrits de l’auteur même s’ils traitent du même sujet. Par ailleurs, quand on a un projet d’écriture qui s’étale sur plusieurs articles, on l’annonce dès l’introduction du premier article. Pour les articles suivants, on rappelle chaque fois, également dès l’introduction, l’essentiel de l’article ou des articles précédent(s). Il en est de même des conclusions. Les cinq articles que nous avons lus, eux, n’ont ni introduction ni conclusion. Cela fait désordre dans la mesure où on cherche vainement le fil conducteur des idées. Pour ne citer qu’un exemple, le quatrième article dans lequel l’auteur disserte sur les notions de culture et civilisation se termine comme suit: « Ainsi, les grandes civilisations contemporaines sont les suivantes: la civilisation chinoise, la civilisation japonaise, la civilisation hindoue, la civilisation musulmane, la civilisation occidentale, la civilisation latine et la civilisation africaine (si possible) ».

LE FOND

Si la lecture et la compréhension des articles ci-dessus n’est pas aisée faute de fil conducteur clair ou de présentation des idées selon les usages courantes, on devine cependant que leur auteur cherche à démontrer la pertinence de son credo. Quand il cite « le respect de l’équilibre régional », qui est synonyme d’équilibre linguistique dans son entendement, il se justifie en ces termes: « Je cite ce critère en premier lieu puisque s’il n’est pas respecté, pour n’importe quelle fonction publique et à n’importe quel niveau de responsabilité, l’injustice, la frustration et le mécontentement provoqués chez les compatriotes de la région lésée amèneront inévitablement à des conséquences néfastes incalculables y compris à l’éclatement de la RDC en tant que pays: la soumission volontaire et spontanée des ressortissants de la région lésée aux gestionnaires de l’Etat, le patriotisme, l’unité, l’entente, la paix, la stabilité des institutions, la conscience et la cohésion nationales cesseront d’exister et voleront en éclat ».

Mpuila ne comprend pas qu’on ne peut pas respecter ou ne pas respecter quelque chose qui n’existe pas. Pour affirmer que l’équilibre linguistique n’est pas respecté au sommet de notre Etat, il faut qu’il y ait au préalable une tradition nationale ou une disposition constitutionnelle allant dans ce sens depuis l’indépendance. Or, ce ne sont que les aléas de la vie politique qui expliquent le constat qu’il dresse et sur lequel repose sa vision: « Nous avons déjà eu un président de la république de l’aire linguistique Kikongo (Joseph Kasa-Vubu), un président de la république de l’aire linguistique Lingala (Joseph-Désiré Mobutu) et un président de la république de l’aire linguistique Swahili (Laurent-Désiré Kabila) ». Pourtant, à l’exception du premier président arrivé au pouvoir à la suite d’un jeu démocratique, les deux autres ont été imposés aux Congolais par l’impérialisme occidental. Par ailleurs, quand Mpuila laisse croire que jusqu’à ce jour, l’équilibre linguistique a été respecté, il occulte l’émergence d’un deuxième président issu de la zone linguistique Swahili, Joseph Kabila, alors même qu’il écrit dans son deuxième article: « Les hommes d’Etat, devant un problème réel, n’enfoncent pas leurs têtes dans le sable, ne refusent pas de le voir et de le traiter objectivent et profondément ».

Pour Mpuila, l’équilibre régional doit être d’application « pour n’importe quelle fonction publique et à n’importe quel niveau de responsabilité ». Curieusement, il ne se focalise que sur la fonction de président de la république. S’il tournait son regard vers celle de premier ministre, il se rendrait vite compte que depuis l’indépendance, des individus issus de l’aire linguistique Luba ont été bien chouchoutés par nos despotes successifs. Pourquoi ne crie-t-il pas alors à l’injustice?

Même si l’idée de présidence tournante suivant les aires linguistiques se justifiait, le lien de cause à effet qu’établit Mpuila ne peut être démontré quand il nous demande de « laisser cette fois-ci la place aux candidats de l’aire linguistique Luba de briguer la fonction de président de la république pour le prochain mandat ». Il n’y a aucun lien entre le respect de l’équilibre linguistique et « la préservation du patriotisme, la justice, l’unité, la paix, la conscience et la cohésion nationale » ainsi que la « sauvegarde de la patrie ». D’ailleurs, pendant que Mpuila croyait l’équilibre linguistique respecté, tous les indicateurs de bonne gouvernance qu’il cite sont restés au rouge.

En plus du premier critère que rien ne justifie, Mpuila estime que « le futur président de la république et tous les autres gestionnaires de l’Etat devront correspondre au profil défini par la Conférence Nationale Souveraine ». Il rappelle entre autres les critères suivants pour la Troisième République: « Etre patriote; être de moralité éprouvée; être compétent; être crédible, honorable et intègre; avoir le sens de la responsabilité; avoir le sens de la dignité; avoir le sens de l’Etat de droit; avoir le sens de l’honneur et du devoir; avoir le sens du bien commun; avoir l’esprit d’initiative, de justice, d’altruiste, de solidarité ». Pourtant, il ne s’agit-là que des élucubrations des conférenciers enivrés par la soif de liberté, de justice et de développement après de longues années d’incurie des dirigeants et d’abâtardissement du peuple. Des conférenciers ivres et incapables de concevoir un modèle politique endogène susceptible de matérialiser les attentes légitimes du peuple.

Mpuila peut-il expliquer comment mesurer concrètement toutes ces qualités afin d’évaluer objectivement les candidats à toutes les hautes fonctions de l’Etat? Peut-il expliquer comment reconnaitre un patriote? S’il le reconnait parmi les Congolais qui n’exercent pas encore le pouvoir comme lui, qu’est-ce qui l’autorise à croire que ces derniers le resteront une fois confrontés à l’exercice du pouvoir, quand on sait que le pouvoir corrompt? Les critères retenus à la Conférence Nationale Souveraine témoignent de l’esprit fétichiste de l’homme congolais, celui-là même qui est à l’origine de l’Article 64 de la Constitution actuelle. On croyait ainsi dissuader quiconque de plonger le pays dans une nouvelle dictature. Or, après comme avant les élections de 2006, les pleins pouvoirs de Joseph Kabila sont restés les mêmes. On croyait également donner au peuple le droit de se soulever en cas de nouvelle dictature. Or, la révolte contre l’incurie des dirigeants et la tyrannie est inscrite dans les gènes de l’être humain. Pour se révolter contre un ordre injuste, aucun peuple au monde n’a besoin que la Constitution le lui demande. La lutte contre l’irrespect, l’injustice et toute autre forme d’abus de pouvoir a ses raisons que les Constitutions ignorent. Pour preuve, en dépit de tous les crimes politiques, sociaux et économiques commis par Joseph Kabila et sa clientèle interne, en dépit de l’existence de l’Article 64, notre peuple ne s’est pas (encore) soulevé. Doit-on conclure que comme Joseph Kabila, le peuple congolais ne respecte pas la Constitution?

La garantie des peuples face à l’arbitraire et à l’incurie des dirigeants ne réside pas dans le fétichisme des critères de sélection des ceux-ci. Elle réside dans la bonne articulation de la Constitution. Et la Constitution est bien articulée quand dans les faits, personne ne se retrouve au-dessus d’elle. Or, dans notre pays, aucune institution n’a le moindre contrôle sur le pouvoir du président de la république. Il est au-dessus de la loi. Intouchable, il distribue à qui il veut et quand il veut des parcelles de son intouchabilité. Qu’il provienne de telle ou telle autre zone linguistique, de telle ou telle autre province, cela ne change rien à cette triste réalité.

CONCLUSION

Mpuila a été bien inspiré d’ouvrir son premier article par l’observation suivante: « Un peuple, un pays, une culture, une civilisation qui choisit de fermer les yeux sur la nature et les causes de ses crises, de ses échecs et de ses problèmes les plus fondamentaux, les plus existentiels et les plus cruciaux s’achemine inéluctablement vers son extinction ». Cela signifie qu’il comprend que ce que notre nation attend de ses élites politiques et intellectuelles est qu’elles « portent leur regard sur les différents aspects de notre vie d’aujourd’hui et en tirent une lumière, répondent à nos investigations et nous indiquent les voies pour nous réaliser authentiquement », comme nous le demande Mgr Tshibangu Tshishiku depuis la fin des années 60. C’est cela avoir une vision politique. Mpuila en a-t-il une?

Les problèmes fondamentaux sont légion dans notre pays. Mais nombre d’entre eux trouveraient aisément des solutions si la nation faisait des avancées concrètes sur le plan de la gouvernance politique. Or, dans ce domaine, c’est encore et toujours le statu quo. Les espoirs suscités par notre deuxième processus de démocratisation ont été une fois de plus déçus. Au sein de nos partis politiques, la démocratie est comme une arlésienne dont tout le monde parle mais que personne ne voit ou ne vit. En plus d’être incapables de fonctionner démocratiquement, les partis se multiplient comme des champignons. L’indépendance de l’organe devant organiser les élections demeure sujette à caution. La pléthore des candidats à l’élection présidentielle discrédite l’idéal démocratique. La tenue des élections et la proclamation des résultats déchirent chaque fois le tissu social. Qu’il soit bien ou mal élu, le président de la république se retrouve automatiquement au-dessus de la loi. Alors qu’il prête serment devant Dieu et la nation en jurant d’observer et de défendre la Constitution, il est le premier à la violer systématiquement sur les plans politique, social et économique. Pire, ce faisant, il jouit d’une impunité totale puisque dans les faits, aucun contre-pouvoir n’est en mesure d’exercer un contrôle effectif sur son pouvoir. L’éternelle domination occidentale sur le pays est aujourd’hui ouvertement sous-traitée par un petit voisin africain. Que fait Mpuila face aux problèmes cruciaux ci-dessus qui sont loin d’être exhaustifs? Il ne les voit pas ou fait mine de ne pas les voir, préférant en inventer un autre qui n’en est pas un et qui ne l’a jamais été.

Par ailleurs, que sa définition d’homme d’Etat soit pertinente ou surprenante; que sa dissertation sur les notions de culture et civilisation soit excellente ou médiocre; que les larges extraits sur le choc des civilisations vu par le professeur américain Samuel Huntington soient d’une grande culture; que son explication sur le rôle du Général Charles De Gaule dans la construction de l’Union Européenne soit crédible ou non, tout cela est bien éloigné des problèmes de gouvernance auxquels notre pays est confronté. A cet égard, il serait hasardeux d’affirmer que les articles de Mpuila renferment une quelconque vision politique.

 

Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

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