« Délestage »: Des « kinoiseries » politiquement décapantes…

Écrit et joué par David-Minor Ilunga

Écrit et joué par David-Minor Ilunga

« Délestage ». Voilà un mot ou, plutôt, un cri de révolte qui rythme le quotidien des Congolais victimes des coupures fréquentes de la fourniture du courant électrique. Quand on y ajoute celles de l’eau – liquide, par ailleurs, rarissime dans de nombreux foyers dans lesquels l’usage du robinet reste un geste inconnu -, le délestage résume, à lui tout seul, toutes les frustrations politiques, économiques et sociales d’une population réduite, comme le dit le personnage de ce one-man-show drôle et émouvant, à pratiquer « l’article 15 de la constitution populaire: débrouillez-vous »!

En fait, tout n’est que délestage: les salaires, les soins de santé, les transports en commun, les repas familiaux, les études, les loyers, etc. C’est autour de ces frustrations que l’auteur et comédien kinois, David-Minor Ilunga, a tissé le fil conducteur de sa nouvelle pièce – subtilement écrite et génialement interprétée – dans laquelle s’invitent également les relations belgo-congolaises avec ses préjugés, ses malentendus, ses rancœurs nées de la colonisation. Tout comme la communauté internationale: les expatriés (surtout ne pas les appeler « immigrés »!) pleins de bonnes intentions, les Casques bleus impuissants dans leur mission sauf à compter coups et cadavres, les pays voisins belligérants et pilleurs des richesses, les organisations humanitaires affairistes…

« Délestage » résonne comme des éructations de ras-le-bol dans la bouche de ce Congolais arrêté en situation irrégulière à Bruxelles. Du poste de police où il est interrogé par deux policiers, le « bon » et le « méchant » à la « Starsky et Hutch » pour un vol présumé de voiture, au centre fermé face à une avocate commise d’office et peu motivée de lui éviter l’expulsion du territoire belge, le Kinois croit défendre sa cause en parlant des heurs et malheurs de son pays.

Au poste de police, il espère naïvement s’en tirer par la passion de football qu’il partage avec les deux policiers. D’autant plus que le soir de son arrestation, justement, la Belgique affronte les Pays de Galles dans le cadre des éliminatoires de l’Euro 2016. Le téléviseur du commissariat est branché sur la retransmission de la rencontre suivie, entre deux questions, par les flics et leur proie. Hélas pour cette dernière, les Diables Rouges perdent le match. Las de ne rien tirer de ce clandestin, les deux policiers ne veulent prendre aucun risque dans un contexte international sécuritaire au lendemain des attentats de Paris et de Bruxelles: la police est sur le-qui-vive à la recherche de djihadistes présumés ou potentiels. Notre Congolais se voit ainsi transféré au centre fermé où l’avocate commise d’office ne se montre pas davantage impliquée dans son espoir ténu d’être relâché.

Dans un décor sobre, une chaise éclairée par la lumière d’une lampe, David-Minor Ilunga livre un one-man-show intensément tragi-comique au cours duquel il campe à la fois le clandestin congolais, le « bon » et le « méchant » policier. Les dialogues, que le jeune auteur et comédien ramène invariablement à la vie vécue à Kin, font mouche. Notamment quand il tente de se justifier, maladroitement mais avec assurance, dans ses réponses à son avocate dont la voix, en off, ajoute à la drôlerie de la pièce: « Oui, M’dame, à Kinshasa, la mort est un état civil qui nous colle à la peau et on s’en moque. Comme ces gamins qui jouent au football avec elle dans le quartier, pieds nus, en chevauchant des câbles électriques dénudés et béants au sol et on s’en moque ».

« Délestage »! Un one-man-show politiquement décapant. Un condensé de toutes les frustrations en ces moments où, de Kinshasa à Washington en passant par Bruxelles et Paris, des voix s’élèvent pour dénoncer le non-respect de la loi électorale depuis décembre 2016 au Congo ex-Zaïre. « Délestage »! Un sit-in savoureux. Un spectacle à voir absolument…

 

« DELESTAGE » INFOS PRATIQUES
Écrit et joué par David-Minor Ilunga – Mise en scène par Roland Mahauden
Au Théâtre de Poche, Bois de la Cambre 1a, Chemin du Gymnase
Du 28 novembre au 23 décembre 2017 à 20h30
Réservations: 02 649 17 27

 

Polydor-Edgar Kabeya

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