Denis Mukwege revendique son « droit citoyen » à la liberté d’expression

Distingué par le Nobel de la paix, docteur Denis Mukwege, directeur de l’hôpital Panzi à Bukavu, est à l’honneur sur la couverture de l’hebdomadaire parisien « Jeune Afrique » n°3014 daté du 14 au 20 octobre 2018. Accusé par le « clan kabiliste » de « faire de la politique », le gynécologue persiste et signe en dénonçant l’impuissance des pouvoirs publics à venir à bout des bandes et armées qui terrorisent la population au Nord-Est du pays. Sans omettre de rappeler que depuis deux ans, les gouvernants en place exercent un pouvoir inconstitutionnel.

Près de deux semaines après la distinction décernée au Congolais Denis Mukwege par le Nobel de la paix, « Joseph Kabila » n’a pas encore daigné transmettre ses « chaleureuses félicitations » à son « compatriote ».

Lambert Mende Omalanga, porte-parole du Gouvernement

Contre toute attente, les « nationalistes-souverainistes » qui gravitent autour du Président hors mandat se sont empressés de monter au créneau pour étaler leur mesquinerie. C’est le cas notamment du ministre de la Communication et des médias Lambert Mende Omalanga et du conseiller diplomatique à la Présidence Barnabé Kikaya bin Karubi. « Le Prix Nobel de la Paix n’est pas une sanctification », déclarait le premier. Le second, lui, estime que le lauréat devrait solliciter une audience auprès du « raïs ». Plus médiocre, tu meurs!

Connaissant les acteurs et le système en cours dans son pays, Denis Mukwege n’est guère surpris par ces réactions qui dissimulent mal de l’acrimonie. « Celui qui croit que ce prix Nobel de la paix est utile m’a félicité, celui qui pense qu’il ne l’est pas ne l’a pas fait, confie-t-il à Jeune Afrique. Mais je n’en veux à personne: chacun est libre de ses choix ».

Le gynécologue est conscient qu’il est devenu la « bête noire » d’une oligarchie souffrant de la cécité et la surdité au point de perdre toute prise avec le réel. L’homme est accusé de « faire de la politique ». En fait, il reproche aux gouvernants en place leur incapacité à garantir à la population des conditions minimales de sécurité tant pour les personnes que les biens.

« TERRORISME SEXUEL »

Pour lui, le contexte dans lequel le Prix Nobel lui est décerné est « une manière d’interpeller les Congolais ». Ceux-ci doivent « se l’approprier pour imposer une paix durable ». Il ajoute plus loin: « Quand des civils sont assassinés à Beni ou à Bukavu? Commençons par reconnaître que nous avons un problème dans ce pays. (…)« .

C’est depuis bientôt vingt ans que « Dr Denis » dirige l’hôpital Panzi. L’homme est révolté par ce qu’il appelle le « terrorisme sexuel » que des bandes armées font subir, depuis deux décennies, aux membres de l’autre sexe. Et ce non seulement dans les deux provinces du Kivu mais aussi dans l’Ituri.

Au pouvoir depuis le 26 janvier 2001, « Joseph Kabila » a donné toute la mesure de son incapacité à éradiquer les milices armées dont certaines seraient manifestement sous le contrôle des gouvernants en place. En dépit de cet échec, le successeur de Mzee rêve de continuer à régenter les affaires du pays à travers une marionnette.

L’opinion congolaise a été stupéfaite, mardi 2 octobre, d’entendre le ministre de l’Intérieur Henri Mova Sakanyi déclarer au cours de la réunion du conseil des ministres présidé par le « Premier » Bruno Tshibala que « la situation générale » du pays était « caractérisée par un calme relatif ». Dix jours auparavant, une vingtaine d’habitants de Beni venaient d’être égorgés par des prétendus rebelles ougandais des « ADF » (Forces démocratiques alliées). Les tueurs courent toujours. Mova d’ajouter, au cours de la même réunion « que la force publique poursuivait la traque des groupes armés récalcitrants » dans les deux Kivu.

CONNIVENCE

Ministre de l’Intérieur Henri Mova

Ces derniers propos de Mova semblent confirmer que le « clan kabiliste » entretient une connivence certaine avec les « forces négatives ». Au lieu d’éradiquer ces hors-la-loi, le « raïs » et son entourage tenteraient de les « persuader » à « bien vouloir » déposer les armes.

La complicité entre le pouvoir finissant et les groupes armés a été confirmée, implicitement, le 8 octobre, par le « général » David Rugayi, commandant des opérations « Sukola II » au Sud Kivu.

Au cours d’une adresse à la population, Rugayi n’est pas allé par quatre chemins en demandant aux groupes armés opérant dans sa juridiction de « déposer les armes ». On est où là? Sans rire, cet officier – qui est sans doute issu des opérations de « brassages » et autres « mixages » entre l’armée congolaise et les miliciens du CNDP – d’expliquer que « les groupes armés n’ont aucune raison de prendre les armes » au moment où le pays se trouve « dans une phase électorale ». C’est vraiment touchant!

Joignant le geste à la parole, David Rugayi a donné à ces bandes armées un « ultimatum de quelques semaines ». Et de conclure: « faute de quoi les FARDC feront leur travail pour pacifier la région dans les territoires d’Uvira et de Fizi ». On croit rêver! Et dire que « Joseph Kabila » est à la tête du pays depuis bientôt dix-huit ans.

CHOIX CORNÉLIEN

Dans l’Accord-cadre de paix signé le 24 février 2013 par onze pays de la région (Afrique du Sud, Burundi, RCA, Rwanda, Soudan du Sud, Tanzanie, Zambie, Ouganda, Angola, Congo-Brazzaville), le Congo-Kinshasa s’était engagé notamment à « consolider l’autorité de l’Etat » dans la partie orientale du pays. Cinq années après, le constat est là: un piètre bilan. C’est bien l’absence de cette autorité de l’Etat sur cette partie du territoire national qui favorise l’éclosion des milices armées.

A l’instar de ses compatriotes, Dr Denis Mukwege est convaincu que le Congo-Kinshasa aspire à un autre avenir. Un avenir qui passe par la tenue d’élections libres, pluralistes, démocratiques, transparentes et crédibles. « Depuis deux ans, nos gouvernants défient le peuple », tonne-t-il en rappelant que « le mandat du Président de la République est de cinq ans renouvelable une seule fois. (…)« . Pour la petite histoire, « Joseph » qui a juré « de ne pas laisser le pouvoir à n’importe qui » est à sa septième année dont « deux années cadeau », comme disent les Africains de l’Ouest.

Tout en ayant en horreur « la politique de la chaise vide », Mukwege d’estimer que les forces de l’opposition se trouvent face à un choix cornélien à quelques deux mois de la date fixée pour l’organisation des consultations politiques. « Ne pas aller aux élections suppose que le pays se retrouvera demain avec les mêmes acteurs, le même système, la même violence. Y aller avec la machine à voter et un fichier électoral corrompu, c’est risquer d’arriver aux mêmes résultats », conclut-il.

 

Baudouin Amba Wetshi

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