Gouvernement: les incantations de Bruno Tshibala

Plus d’une soixantaine de jours après son investiture, le Premier ministre Bruno Tshibala Nzenzhe a décidé (enfin) d’exercer le ministère de la parole. Il a choisi – comme cela est devenu coutumier – un média étranger en l’occurrence l’hebdomadaire parisien « Jeune Afrique » (JA). Lors de sa prise de fonction le 16 mai dernier, le dollar américain était échangé contre 1.450 FC. En ce mois de juillet finissant, la ménagère congolaise doit débourser 1.700 FC pour acheter le même billet vert. Dans cet entretien, le « Premier » semble peiner à s’élever à la hauteur de la noble fonction dont il a la charge. Au lieu d’œuvrer à la « pacification des cœurs et des esprits », il s’est lancé dans des attaques puériles contre ses anciens camarades du Rassemblement en général et ceux du G7 en particulier. Chef du gouvernement sans pouvoir à l’instar de ses prédécesseurs (Antoine Gizenga, Adolphe Muzito, Augustin Matata et Samy Badibanga), Tshibala semble prendre son rôle très au sérieux. Il promet d’offrir au peuple congolais « les meilleures élections de son histoire ». Un discours incantatoire.

« Formule magique, chantée ou récitée pour obtenir un effet surnaturel »; « Récitation de formules magiques ayant pour but de produire des sortilèges ». Ce sont les deux définitions les plus usitées du vocable « incantation ».

Nommé Premier ministre le 7 avril dernier, Bruno Tshibala Nzenzhe a mis un mois pour sortir la liste des membres de « son » gouvernement. Le 9 mai, les observateurs ont cherché en vain la « touche » personnelle du nouveau « chef » du gouvernement parmi les personnalités sélectionnées dans l’équipe « Tshibala I ».

Les plus optimistes n’ont pu relever que deux noms: Tshibangu Kalala (ministre près le Premier ministre) et Jean-François Mukuna (vice-ministre des Finances). Les mêmes observateurs sont arrivés au même constat lors des récentes nominations des mandataires du portefeuille de l’Etat.

Pour les analystes, Tshibala qui a été promu dans les conditions que d’aucuns qualifient de « débauchage » ne détient que l’apparence du pouvoir. La réalité elle, est et reste détenue par la Présidence de la République.

Dans l’entretien qu’il a eu avec « JA », le nouveau « Premier » n’a pas hésité à occulter la vérité. « Contrairement à Samy Badibanga, je suis l’émanation d’un accord politique inclusif auquel toutes les composantes politiques et sociales du pays ont adhéré », a-t-il déclaré éludant le fait que sa désignation à ce poste ne procède nullement d’un consensus.

L’opposant Tshibala qui accusait jadis « Joseph Kabila » d’avoir commis un « hold-up électoral » en 2006 et 2011 pour s’« accrocher au pouvoir » et « de régner par défi », (voir le texte de la conférence de presse tenue le 27 mai 2016 à Bruxelles en compagnie de Félix Tshisekedi) n’est plus le même. Depuis qu’il a été convié à la « soupe populaire », « Bruno » fait désormais confiance au « raïs ». Selon lui, celui-ci « a toujours dit et répété que nous devons aller aux élections ». Le Premier ministre de réitérer sa promesse démagogique d’offrir « au peuple congolais les meilleures élections de son histoire ».

Anesthésié par les délices du pouvoir, le successeur de Badibanga n’a plus souvenance de certains de ses propos d’opposant dit radical. C’est le cas de ce passage tiré du texte publié lors du point de presse précité. « (…), si les élections ne sont pas organisées dans le délai, Kabila quitte le pouvoir et remet les clés du Palais de la Nation, au plus tard le 19 décembre 2016 à minuit », tonnait-il.

En dépit de l’impécuniosité affirmée de l’Etat, l’ancien porte-parole du Rassemblement soutient que son gouvernement prendra en charge le coût total des consultations politiques. D’où viendra le montant estimé à ce jour à 1,3 milliard de dollars? Le gouvernement va-t-il recourir au financement monétaire sans contrepartie en devise forte pour soutenir la monnaie nationale?

ISOLEMENT DIPLOMATIQUE

Faisant fi de l’« humeur du moment » au niveau diplomatique, Tshibala n’exclut pas d’aller frapper aux portes des « partenaires traditionnels ». Ignore-t-il l’isolement dont fait face le pouvoir kabiliste? Faudrait-il rappeler que certains de ces partenaires conditionnent leurs contributions non seulement au retour de la stabilité politique mais surtout à l’annonce par le Président en exercice qu’il ne briguera pas de troisième mandat?

Le 9 octobre 2016, Tshibala Nzenzhe, alors secrétaire général de l’UDPS, était victime d’une arrestation motivée par ses activités politiques. Plusieurs prisonniers détenus à Makala sont dans la même situation. On peut citer notamment: Eugène Diomi Ndongala, Jean-Claude Muyambo, Franck Diongo Shamba. Sans omettre les proches collaborateurs de l’ancien gouverneur du Katanga Moïse Katumbi. Leur libération a été demandée lors des discussions du Centre Interdiocésain. C’est la fameuse « décrispation » inscrite noir sur blanc dans l’Accord du 31 décembre 2016 dont l’actuel « Premier » prétend être l’émanation.

A en croire Tshibala, « un grand effort a déjà été fait ». Lequel? « Il a été convenu que lorsqu’un cas est ambivalent, entre le droit commun et les infractions d’ordre politique, il appartient à la Cenco et au ministère de la Justice de se concerter pour proposer la manière de régler au mieux ces affaires », a-t-il indiqué.

Juriste de formation, l’ex-opposant ne peut ignorer qu’une infraction politique suppose généralement un complot pour changer l’ordre constitutionnel. Il sait parfaitement qu’aucune des personnalités détenues à Makala n’a trempé dans une conspiration. Ce sont des prisonniers d’opinion.

UN PLAN D’URGENCE

Interrogé sur la situation financière et économique du pays, Bruno Tshibala d’annoncer avec une certaine candeur que le gouvernement vient de mettre en place un « plan d’urgence de stabilisation et de relance de l’économie ». Et d’expliquer qu’il s’agit « d’une série de mesures pour lutter contre l’instabilité monétaire, la corruption, la fraude fiscale, etc. »

Les mesures auxquelles fait allusion l’actuel « Premier » ne sont guère nouvelles. Elles remontent au mois de janvier 2016. Elles ont été décrétées au cours d’un conseil de ministre dit « extraordinaire » suite à la chute des cours des matières premières.

A l’époque, il était question de 28 mesures les unes aussi fantaisistes que les autres. C’est le cas notamment de: la lutte sans concession contre la fraude fiscale et douanière; la maximisation des ressources internes et externes par la mobilisation de l’épargne intérieure privée; la répression des agents impliqués dans la fraude et la corruption; le renforcement des contrôles aux frontières afin de limiter l’exportation illégale des billets de banque et des matières précieuses; la réduction du train de vie des institutions publiques; la création de trois zones économiques spéciales et l’essaimage des parcs agro-industriels dans les provinces; éradiquer les tracasseries, la fuite des capitaux et la dilapidation des ressources du Trésor; attirer les capitaux grâce à la normalisation des rapports d’investissement dans un climat des affaires serein etc.

Dix-sept mois après, nul ne sait mesurer l’impact de toutes mesures au plan économique et social. La situation générale, elle, n’a pas cessé de s’empirer. En ce mois de juillet, le dollar s’échange contre 1.700 FC. Il y a deux mois, la parité était d’un billet vert pour 1.450 FC.

Il apparaît que la « réduction du train de vie des institutions » concerne tout le monde sauf « Joseph Kabila ». Celui-ci n’a cure de l’orthodoxie budgétaire. Début juillet, il a décidé de sponsoriser le droit d’entrée au stade de Kindu, au Maniema, lors de la finale de la Coupe du Congo. De passage à Kisangani, « Kabila » a annoncé le lancement des travaux de modernisation d’une partie de l’aéroport de Bangboka à Kisangani.

Bruno Tshibala Nzenzhe semble être le dernier à ne pas savoir, à l’instar de ses prédécesseurs, qu’il est un Premier ministre sans pouvoir. Et que tous ses projets ne sont que des incantations.

Dans les semaines et mois à venir, le « Premier » ne manquera pas de réaliser que « Joseph Kabila » n’a jamais eu le moindre grand dessein pour le Congo-Kinshasa. De même, qu’il n’y aura jamais d’élections libres, transparentes et équitables aussi longtemps que le « raïs » sera à la tête de l’Etat…

 

Baudouin Amba Wetshi

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