Hommage: « Henri-Thomas », un politicien « inclassable »

Ses amis l’appelaient affectueusement « HTL ». D’autres, l’appelaient tout simplement « Henri-Thomas ». Le député national Henri-Thomas Lokondo Yoka, 65 ans, s’en est allé. La nouvelle est tombée le mercredi 10 mars. Elle a eu l’effet d’un coup de tonnerre. Le Congo-Kinshasa perd un de ses dignes fils. Un homme d’Etat. En dépit de son appartenance à la mouvance kabiliste dite « Front commun pour le Congo » (Fcc), « HTL » – qui a baigné dans une ambiance lumumbiste dès sa jeunesse – est resté « inclassable ». Ancien étudiant à l’ULB (Université libre de Bruxelles), l’homme ne faisait guère mystère de son attachement farouche à sa liberté de pensée. La mort de Lokondo Yoka est une perte pour le Congo en général et le « Grand Equateur » en particulier.

« Le naître et le mourir sont deux frères jumeaux », a pu dire Anatole France. Autrement dit, il y a un temps pour vivre et un temps pour mourir. La date est connue du seul Créateur. Henri-Thomas Lokondo Yoka est mort. L’opinion s’était inquiétée au lendemain de son transfert en Afrique du Sud. C’était le 17 janvier dernier.

Né en juillet1955 à Coquilhatville (Mbandaka), « Henri Thomas » a vécu dès son enfance dans une ambiance lumumbiste. Ainé de la fratrie Lokondo, le « vieux » Djolombi était membre du MNC (Mouvement national congolais) de Patrice Emery Lumumba dès la création de cette formation politique. Ce dernier fut très populaire à l’Equateur du fait notamment de son appartenance à l’aire culturelle des « Anamongo ». Traduction: les enfants de mongo. Cet espace linguistique regroupe notamment les tribus ci-après: Mongo (Equateur), Ntomba, Ekonda et Basengele (Maï Ndombe), Tetela et Dekese (Sankuru), Kusu (Maniema), Bembe (Sud Kivu) et Lokele (Tshopo).

L’auteur de ses lignes a bien connu « Henri-Thomas » à l’école primaire à Mbandaka. Ce dernier avait deux années de moins. Bagarreur, le jeune « HTL » ne se laissait jamais marcher sur les pieds. Chaque matin, c’est en « bande » qu’on partait du Quartier « Belge » ou Bêsi pour rejoindre l’école primaire Mateba ou le Groupe scolaire. « HTL » était le plus jeune.

UN INTELLECTUEL HUMBLE

Après ses études universitaires à l’ULB (Sciences politiques, option: Relations internationales), « Henri-Thomas » est embauché dans les « services ». « C’est le vieux Léon [Kengo] qui m’avait recommandé », confiait-il. Lokondo a développé des relations personnelles avec Kengo, à l’époque où ce dernier était ambassadeur à Bruxelles (1980-1982). En novembre 1982, le diplomate est promu Premier commissaire d’Etat.

« Henri-Thomas » n’a jamais été un adepte du « conflit de générations » entre jeunes et vieux. Il aimait raconter une anecdote qu’il a vécue lors sa prise de fonction en tant que chef de poste de la Sûreté à Uvira, province du Sud-Kivu. « J’ai trouvé à Uvira un vieux fonctionnaire issu de la Sûreté coloniale, racontait-il. Je lui ai remis mon premier rapport de poste pour saisie et transmission à Kinshasa. Un rapport de trois pages ».

Au lieu d’envoyer le document tel que reçu, le « vieux fonctionnaire » revint quelques minutes vers le chef de poste. « Chef, dit-il, on ne rédige pas les rapports de cette manière ». Lokondo de poursuivre: « Je me suis fait humble en lui demandant de corriger ce qui mérite d’être corrigé ». « Le vieux fonctionnaire qui n’a pas été à l’université a résumé mon écrit en une demi-page. Tout y était ». A partir de ce moment, « HTL » a acquis la conviction selon laquelle les « jeunes » sortis des écoles supérieures ou des universités ont beaucoup à apprendre des « vieux fonctionnaires ». Pour lui, une collaboration entre les générations est nécessaire pour un meilleur transfert d’expérience. Le chef de poste à Uvira sera promu directeur provincial (Redoc) de la Sûreté au Sud-Kivu.

Au milieu des années 90, il fait son entrée au sein du gouvernement Kengo en qualité de vice-ministre des Travaux publics. Fin octobre 1996, on assiste au déclenchement de la guerre dite des « Banyamulenge » qui se mue en « rébellion zaïroise » de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo). Lokondo Yoka est nommé vice-ministre des Affaires étrangères. A ce titre, il effectue plusieurs voyages à Bruxelles au cours desquels il va animer des conférences de presse à l’Ambassade située au 30 rue Marie de Bourgogne.

UN HOMME POLITIQUE « INCLASSABLE »

Après la prise du pouvoir par l’AFDL, Henri-Thomas Lokondo s’est replié en Belgique avec femme et enfants. Et ce le temps de laisser passer l’ouragan et surtout l’ivresse de la victoire. L’exil sera de courte durée.

Après un passage au MPR-fait privé, il créé son propre parti dénommé « Union congolaise pour la liberté » (UCL). Cette formation politique est alliée au PPRD (Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie). Il est élu sénateur à Mbandaka en 2007. C’est le commencement d’une « carrière parlementaire ». En décembre 2018, il est élu député sur la liste du Parti lumumbiste unifié et alliés. Inconsciemment ou pas, « Henri-Thomas » a rejoint l’ambiance lumumbiste de son enfance. Djolombi Lokondo fut un lumumbiste pur et dur dans les années 60.

En avril 2019, le Fcc Lokondo Yoka pose sa candidature au poste de Président du Bureau de l’Assemblée nationale. Il affronte Jeanine Mabunda, soutenue par le Fcc. « Je suis un démocrate. On verra comment vont se dérouler le vote. Si elle gagne, elle gagne. C’est une question de conscience personnelle », déclarait-il. Il finit par se retirer de la course. Et ce au grand dam de ceux qui se réjouissaient de son audace de croiser le fer avec la candidate du « raïs ».

Depuis quelques mois, l’élu de Mbandaka a fait partie du « G13 », ce groupe de treize parlementaires qui plaident pour un consensus sur les réformes électorales. Pour la petite histoire, l’ex-président « Joseph Kabila » n’a jamais voulu recevoir les membres du « G13 ».

En dépit de son appartenance au Fcc (Front commun pour le Congo), Henri-Thomas Lokondo est resté jaloux de sa liberté de pensée. Il laissera de lui l’image d’un homme politique « inclassable ». Tout le contraire d’un fanatique.

 

Baudouin Amba Wetshi

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