Kamerhe à Makala: La justice instrumentalisée?

Le monde politique est un univers impitoyable. « Le pouvoir change les hommes », disait Jacques Chirac parlant de son « ami » Edouard Balladur accusé de félonie. « Un grand chef politique doit avoir l’instinct du tueur », écrivait, pour sa part, la journaliste Françoise Giroud dans son ouvrage « La comédie du pouvoir ». Plus de vingt-quatre heures après l’internement de Vital Kamerhe à la prison centrale de Makala, la Présidence de la République observe un mutisme détonant. Pas une déclaration. Pas un communiqué. Sous d’autres cieux, le chef de l’Etat ou son porte-parole aurait exercé le ministère de la parole. Non pas pour interférer dans la procédure judiciaire en cours mais juste pour replacer le dossier dans son contexte. Bref, rassurer l’opinion et tordre le cou aux rumeurs.

« J’ai le soutien total du chef de l’Etat.(…). Nos rapports sont ceux qu’entretiennent un chef de l’Etat et son directeur de cabinet, mais cela va au-delà: nous sommes des partenaires politiques depuis l’accord conclu à Nairobi. Et surtout, nous sommes une famille: nos épouses sont devenues amies. Ses enfants, je les considère comme mes enfants, et l’inverse est également vrai. Tout cela est le ciment de notre alliance ». Ainsi déclarait – naïvement? – Vital Kamerhe, dans une interview accordée à l’hebdomadaire parisien « Jeune Afrique » n°3061 daté du 8 au 14 septembre 2019.

Quel est l’événement survenu entre septembre 2019 et avril 2020 et qui a gâché ce tableau pour le moins idyllique?

Le Président de la République à Londres

Il importe d’ouvrir la parenthèse à ce stade. Tout a commencé avec le meeting animé par Felix Tshisekedi devant des membres de la diaspora congolaise à Londres. L’orateur avait fustigé certains membres du gouvernement qu’il jugeait « indisciplinés ». En cause, ils gênaient, selon lui, son action dont le « Programme de 100 jours ». Pour lui, ces ministres risquaient ni plus ni moins que la « révocation ». C’était le 19 janvier dernier.

Au mois de février, le « dircab » Vital Kamerhe s’est cru en droit de chapitrer le ministre des Finances José Sele Yalaguli. Il reproche à celui-ci de freiner les décaissements destinés à l’achèvement des travaux du programme de 100 jours. Pour « Vital », le niveau de réalisation de ces ouvrages se situerait entre 65 et 70%. « Faux », rétorquait le ministre Sele. Pour lui, c’est en deçà de 50%. Où est passé l’argent? Fermons la parenthèse.

Dans ce même entretien avec Jeune Afrique, « VK », comme l’appellent ses proches, avoua que « seuls dix marchés » ont été conclus « de gré à gré ». En clair, dix marchés passés sans appel d’offres entre mars et septembre 2019 en violation de la loi qui régit les marchés publics. Motif invoqué: « l’urgence ». Dieu seul combien la « tentation corruptrice » prévaut dans ce genre de contrat où la transparence fait défaut.

QUE LUI REPROCHE-T-ON?

Après plusieurs mois d’enquête, le parquet général près la Cour d’appel de Matete a « invité » « Vital » le 8 avril. Il s’agit de savoir le rôle que l’homme a pu jouer en sa qualité d’ordonnateur des dépenses du « Programme de 100 jours » entre mars et septembre 2019.

Saut de mouton à Pompage

Lors de l’audition qui a duré plus de six heures, l’officier du ministère public ne serait pas allé par quatre chemins en démontrant au « renseignant » – en passe d’être inculpé – qu’une importante partie de l’argent destinée aux travaux précités a été « détournée ». Il serait question de plusieurs dizaines de milliers de dollars.

Selon des sources, plusieurs « sociétés » ayant bénéficié de ces marchés de gré à gré ont empoché l’argent sans honorer leurs obligations. Les mêmes sources laissent entendre que plusieurs membres du cabinet présidentiel pourraient être « éclaboussés » dans cette affaire. Il en serait de même des membres de la famille Tshisekedi. A tort ou à raison, le prénom le plus cité est celui de « Christian ».

L’opinion congolaise attend impatiemment la confrontation prévue dans les prochaines heures entre Kamerhe et ses « accusateurs ». A savoir notamment: Eric Blattner (DG Safricas), Thierry Taeymans (ancien DG de Rawbank) et Jammal Samih.

LES RÉACTIONS

Nombreux sont des observateurs qui se disent « scandalisés » par l’emprisonnement de « Vital ». Outre le fait que celui-ci a une adresse connue et qu’il n’y avait aucun risque de fuite, ces observateurs suspectent une politique de deux poids, deux mesures. Une allusion au cas Albert Yuma Mulumbi dans l’affaire de $200 millions de la Gécamines. Il aurait suffit que Ramazani Shadary menace de « paralyser » le pays pour que l’affaire Yuma soit « classée ».

L’interpellation de Kamerhe est, par contre, accueillie avec une réelle satisfaction dans les milieux de la société civile. Pour Georges Kapiamba, président de l’ACAJ (Association congolaise pour l’accès à la justice), « le parquet général de Kinshasa Matete doit avoir considéré après l’audition de Kamerhe qu’il existe des indices sérieux de culpabilité à sa charge(…)« . Président de l’Odep (Observatoire de la dépense publique), Muteba Tshitenge d’enchaîner que la journée du 8 avril est un « jour historique ». Au motif que c’est la première fois qu’une personnalité de ce rang est soumise à l’obligation de rendre compte.

Eric Blattner de Safricas

Membre de l’équipe de défense de « Vital », l’avocat John Kaboto assure que, lors de l’audition de mercredi, aucune charge n’a été retenue contre son client. « La justice dans notre pays est comme une arme à feu dont la gâchette est tenue par les détenteurs du pouvoir public », résume Daniel Shekomba l’ancien candidat à l’élection présidentielle.

ET MAINTENANT!

Trois questions appellent une tentative de réponse. Kamerhe pourrait-il retrouver son poste de directeur de cabinet à la Présidence de la République? Rien n’est moins sûr! Après son passage à la « case prison », l’homme a perdu un brin de sa crédibilité. Pire, depuis qu’il se débat dans ses « ennuis judiciaires », on cherche en vain l’ombre d’un « regret » ou d’une « empathie » dans les milieux udépésiens en général et tshisekedistes en particulier. L’homme est mal aimé. Ce qui fait dire à certains qu’on se trouve face à une « justice instrumentalisée ». Bref l’affaire Kamerhe est plus politique que judiciaire.

Quid de la coalition « Cach » qui a vu le jour, en novembre 2018, à Nairobi? Pour les observateurs, ce cartel a été mis sur pied sans l’assentiment préalable des « bases » respectives. Felix Tshisekedi a fait part aux membres de la « direction politique » de l’Unc de sa volonté de poursuivre le « partenariat ». C’était lors de l’audience qui a eu lieu mercredi 8 avril.

La « jurisprudence politique » de notre pays, depuis Patrice Lumumba à ce jour, témoigne qu’à l’heure du choix, les politiciens zaïro-congolais – réputés pour leur carriérisme – ont tendance à écouter « plus leur ventre » que le mot d’ordre des formations politiques. Le cas du ministre d’Etat Pierre Kangundia est encore frais en mémoire.

Question finale: A qui profite ce charivari? Nullement à la mouvance kabiliste qui est vomie par les citoyens. En revanche, il n’est pas sûr que Fatshi sorte de cette affaire, annonciatrice d’un bras de fer politico-judiciaire, sans laisser quelques « plumes ». Les masses congolaises attendent depuis quinze mois les premières réformes.

Les manifestations des militants de l’UNC à Kinshasa et à Bukavu donnent du pays une image d’instabilité politique. Fatshi a du pain sur la planche. Il devra démontrer, par des actes et non par des discours, que la justice congolaise n’est plus instrumentalisée. Et que l’affaire Kamerhe marque le point de départ effectif de l’avènement de l’Etat de droit et de la fin de l’impunité. Il n’est pas exclu, dans le cas contraire, que les investisseurs les plus sérieux soient amenés à conclure qu’il est urgent d’attendre…

 

Baudouin Amba Wetshi

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