Kananga: Enlisement du procès sur l’assassinat des experts onusiens

Débuté en juin 2017 soit trois mois après la découverte des corps sans vie de la Suédo-Chilienne Zaida Catalan et de l’Américain Michaël Sharp, le procès sur l’assassinat de ces deux experts du Conseil de sécurité s’embourbe. En cause, la partialité de la Cour supérieure militaire de la garnison de Kananga. Celle-ci tente de disculper à priori certains « gros poissons ». Elle refuse de faire droit à la demande d’un des avocats de la défense de faire comparaître, en qualité de témoin, Emmanuel Ramazani Shadary. Celui-ci exerçait les fonctions de ministre de l’Intérieur au moment des faits. Il aurait, à ce titre, reçu un des prévenus. C’était à Kananga. L’entrevue aurait eu lieu, le 12 mars 2017, le jour de la « disparition » des deux Occidentaux chargés d’enquêter sur l’existence d’une quarantaine des fosses communes.

Le général de brigade Jean-Paulin Ntshaykolo, premier président de la Cour supérieure militaire du Kasaï

Ne l’appelez plus « colonel »! Il porte désormais le grade de « général de brigade ». De qui parle-t-on? Il s’agit de Jean-Paulin Ntshaykolo. Depuis deux ans, ce magistrat militaire dirige le procès sur l’assassinat des experts onusiens Zaida Catalan et Michaël Sharp. Et ce en sa qualité de premier président de la Cour supérieure militaire de l’ex-Kasaï Occidental. La promotion de ce magistrat intervient in tempore suspecto au moment où l’ombre de plusieurs dignitaires de l’ancien « régime kabiliste » apparait en filigrane dans cette affaire criminelle.

Trois ans après la mort de ces experts, l’instruction définitive se poursuit dans une nonchalance surréaliste. Tel jour, l’audience est reportée suite à l’absence des avocats de la défense. Tel autre jour, c’est un juge militaire qui est indisponible futile.

Lors de l’audience qui a eu lieu mercredi 26 novembre dernier, cette cour est revenue sur la demande formulée par l’équipe de défense du prévenu Thomas Nkashama. Cette dernière demande ni plus ni moins que la comparution de l’ancien ministre de l’Intérieur Emmanuel Ramazani Shadary en tant que « témoin » ou « simple renseignant ».

Cette requête a fait bondir de sa chaise le juge-président autant que le représentant du ministère public. Contre toute attente, le général de brigade Jean-Paulin Ntshaykolo a perdu « l’attitude arbitrale » qu’on attend d’un magistrat assis. Peu importe que le procès ait lieu devant une juridiction civile ou militaire. Le magistrat Ntshaykolo demande à la défense de Nkashama d’administrer, au préalable, la preuve « même fragile » de l’implication de Ramazani Shadary dans ce double homicide.

UNE COUR MILITAIRE PARTISANE

Interpellé sans doute par sa conscience, Ntshaykolo de lancer: « La cour n’est pas partisane. Elle n’est pas motivée par une quelconque personne ou partie pour agir en sa faveur ». Représentant du ministère public, le général Muwau s’est dit « troublé » par l’exigence des avocats de Nkashama. Pour lui, cette démarche est assimilable à un « acharnement ». « Ils cherchent à le faire comparaitre sur quel point ? », s’est-il interrogé.

Ce n’est pas la première fois que le premier président Ntshaykolo détourne sa noble fonction de sa véritable mission. On attend d’un procès l’éclatement de la vérité par la confrontation des prétentions des parties. Il n’appartient nullement à un magistrat militaire ou civil de s’ériger en « juge de l’opportunité » de faire comparaitre une personne mise en cause.

Lors de l’audience du 30 octobre 2019, ce magistrat militaire avait surpris l’assistance en proclamant urbi et orbi « qu’aucune autorité politico-administrative ni un membre quelconque du gouvernement congolais n’a utilisé le prévenu Jean-Bosco Mukanda et sa milice pour exécuter les experts onusiens et leurs accompagnateur congolais ». Quels sont les éléments factuels qui lui permettent d’adopter une position aussi partisane?

Et pourtant, au cours de ses auditions, le prévenu Mukanda a reconnu avoir évoqué ces « assassinats » avec des « personnalités civiles ». Lesquelles ? Mystère! Il semble bien que cet accusé avait communiqué, par écrit, les noms de ces personnalités civiles.

Lors de l’audience du 20 septembre 2019, l’autre prévenu, en l’occurrence José Tshibuabua, a affirmé la main sur le cœur qu’il avait été « emmené secrètement » au siège de l’ANR (Agence nationale de renseignements) à Kinshasa où il « a été interrogé » par Kalev Mutond, alors administrateur général de cette Agence. Tshibuabua ne s’est pas arrêté là. Il a indiqué l’interrogatoire, au siège de l’ANR, a eu lieu en présence de « Joseph Kabila ». Au cours de l’audience suivante – en présence de l’auditeur général Timothé Mukuntu -, Tshibuabua a confirmé – quelques jours avant son décès – que lors de son interrogatoire à l’ANR « le président honoraire Joseph Kabila se trouvait à côté de Kalev Mutond ».

EMMANUEL RAMAZANI SHADARY, « INTOUCHABLE »?

Emmanuel Ramazani Shadary, ancien ministre de l’Intérieur

Revenons à la requête formulée par les avocats de Thomas Nkashama. Ceux-ci demandent pour la seconde fois la comparution d’Emmanuel Ramazani Shadary qui était ministre de l’Intérieur au moment des faits. Le prévenu assure avoir été reçu par ce dernier. Selon lui, l’entrevue a eu lieu le 12 mars 2017 à Kananga. Coïncidence ou pas, c’est le jour de la « disparition » des experts onusiens Catalan et Sharp.

Quarante-huit heures avant la « découverte » des corps sans vie des deux Occidentaux, le président de l’Assemblée provinciale du Kasaï central créa un pseudo-événement en annonçant que 39 policiers ont été décapités sur la route de Mwene Ditu par… des « miliciens Kamuina Nsapu ». C’était le 22 mars 2017. Trois années après, les identités des « victimes » n’ont jamais été divulguées. Pire, il n’y a aucune trace de photos ou vidéo sur la cérémonie d’inhumation des 39 « flics ». Qui tente de manipuler qui?

Une chose paraît sûre: certaines officines à barbouzes voulaient conditionner l’opinion tant nationale et qu’internationale sur la prétendue « barbarie » des « Kamuina Nsapu ». Zaida Catalan avait été décapitée.

Depuis trois ans, la Cour militaire supérieure du Kasaï conduit le procès le plus long du pays. L’infraction est connue. Le mobile du crime, mêmement. On le sait, les experts onusiens étaient chargés d’enquêter sur l’existence d’une quarantaine de fosses communes. « Quelqu’un » voulait les empêcher de publier les résultats de leur enquête. Qui? Les miliciens Kamuina Nsapu? Allons donc!

Depuis quarante mois, cette juridiction militaire très politisée fait mine de rechercher le commanditaire et les auteurs de ce double homicide. Le procès prendre l’allure d’un cirque. Emmanuel Ramazani Shadary serait-il un « intouchable »? Qui cherche-t-on à protéger?

 

B.A.W.

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