Kinshasa: retour mouvementé de Félix Tshisekedi

La capitale congolaise présentait, dimanche 3 septembre 2017, le visage d’une ville régit par la loi martiale. Kinshasa se trouve sous un état de siège de fait. Des policiers et des éléments de la garde prétorienne du dictateur « Joseph Kabila » quadrillaient les grandes artères de la ville. Tout attroupement de plus de cinq personnes était interdit. On se demande bien au nom de quel principe. Des restrictions des libertés parfaitement illégitimes de la part d’une oligarchie défaillante et illégitime. Conséquence: le meeting prévu par le Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement (Rassop) a été purement et simplement interdit. Rentré à Kinshasa, « Félix » a été « escorté » jusqu’à la résidence familiale non pas par des « Combattants » de l’UDPS mais par des policiers commandés par le « général » Sylvano Kasongo. Les Kinois s’étaient trop vite réjouis du remplacement de Célestin Kanyama, alias « Esprit de mort ». Dimanche 3 septembre, « Joseph Kabila » a envoyé à ses adversaires un message de détermination qu’on pourrait décrypter comme suit: « J’y suis, j’y reste. Vous ne m’arracherez le pouvoir que les armes à la main comme l’AFDL l’a fait le 17 mai 1997 et non par des manifestations non-violentes ». Analyse.

RETOUR MOUVEMENTE

C’était trop beau pour que ça soit vrai. De quoi s’agit-il? Il s’agit de l’appel lancé par Pierre Lumbi Okongo, président du Conseil des sages du Rassop, invitant les Kinois à aller, dimanche 3 septembre, accueillir Félix Tshilombo Tshisekedi d’une part. Et de l’autre, le meeting programmé le même jour. Les deux événements n’ont pas eu lieu. Et ce sur ordre « Joseph Kabila ».

Bien avant d’atteindre la résidence familiale, « Félix » a dû apprendre qu’une dizaine de militants de l’opposition ont été interpellés par les forces dites de sécurité. Comme à l’accoutumée, les sbires du régime – réputés pour leur amateurisme – se sont amusés à lancer des gaz lacrymogènes.

« Kabila » et ses supplétifs avaient prévenu, la veille, que le « rassemblement populaire » prévu était « inopportun ». Et ce sous le fallacieux prétexte qu’il fallait éviter la réédition des « incidents » sanglants survenus en septembre et décembre 2016. Le Rassemblement avait, à l’époque, signifié à « Kabila » un « préavis » en prévision de l’expiration de son second et dernier. Celle-ci est intervenue le 19 décembre 2016.

Conformément à l’Accord de la Saint Sylvestre, le Rassemblement, les évêques de la Cenco (Conférence épiscopale nationale du Congo) demandent la tenue des élections au plus tard en décembre de l’année en cours. Inéligible, « Kabila » qui a été « élu » en 2006 (Coût: 450 millions USD) et « réélu » en 2011 (coût: 750 millions USD) découvre que les élections coûtent cher. « C’est une aberration de consacrer 300 millions USD à l’organisation des élections ».

Ce jugement de valeur émane de Corneille Nangaa qui n’est autre que… le président de la CENI. « La Commission électorale nationale indépendante est chargée de l’organisation du processus électoral, notamment de l’enrôlement des électeurs, de la tenue du fichier électoral, des opérations de vote, de dépouillement et de tout référendum », énonce l’article 211-2 de la Constitution.

CRISE DE L’ETAT

En clair, le Congo-Kinshasa est confronté à une crise de l’Etat. Le pays a plus que jamais besoin d’un « feu de brousse », un électrochoc, pour détruire les « mauvaises herbes » qui handicapent le retour de cette nation dans le « Top 10 » des puissances africaines.

« La sortie pacifique de la crise actuelle exige la tenue des élections présidentielles, législatives et provinciales avant décembre 2017, tel que prévoit l’Accord politique du 31 décembre 2016 », déclaraient les évêques de la Cenco (Commission épiscopale nationale du Congo) dans leur message daté du 23 juin dernier intitulé « Le pays va très mal. Debout, Congolais! »

Cette déclaration a pris la tournure d’un crédo auprès de tous ceux qui aspirent à l’alternance démocratique. Et pourquoi pas à l’alternative?

Le 31 décembre 2017 est en passe de devenir « la mère de toutes les dates ». Dans les milieux proches du Rassemblement, on entend dire qu’il n’est pas question d’accorder à Kabila un jour de plus. En cause, les forces politiques et sociales ont acquis la conviction qu’il ne peut y avoir d’élection équitable, libre et transparente aussi longtemps que cet homme sera à la tête du pays. « Après le 31 décembre 2017, il faudra mettre en place une transition sans Kabila », clament en chœurs les forces politiques et sociales. Par quel mécanisme?

Cette dernière question reste pour le moment sans réponse. On imagine que les forces progressistes n’entendent en aucun cas dévoiler leur « stratégie ». Reste que, dimanche 3 septembre, « Kabila » a démontré qu’il a encore la maîtrise du terrain. Ne contrôle-t-il pas l’armée, la police, les services de renseignements et les finances publiques?

SE METTRE AUTOUR DE LA TABLE

Il faut refuser de regarder pour ne pas voir que « Joseph Kabila » est demandeur d’un « troisième dialogue ». C’est désormais un secret de Polichinelle. Dans une récente intervention sur la télévision privée « Afrique 24 », l’ex-MLC Thomas Luhaka Losendjola, ministre des Infrastructures, Travaux publics et Reconstruction n’a pas dit autre chose: « Il faut que les acteurs politiques se retrouvent autour d’une table ». Luhaka n’a pas été « recadré ». Dans une interview accordée à Congo Indépendant, l’AR Jean-Bertrand Ewanga a ironisé en suspectant « Kabila » de vouloir des pourparlers pour les « rouler encore une fois dans la farine ».

Répondant à l’Appel lancé par les évêques catholiques, des acteurs de la société civile congolaise se sont réunis du 15 au 17 août en France. Interpellés par la déclaration des prélats, ils ont publié un « Manifeste du Citoyen Congolais » qui exige « le départ » de « Joseph Kabila » et la mise sur pied d’une « Transition citoyenne ». Inéligibles, les animateurs de celle-ci, auront à charge d’organiser les élections. Une question récurrente reste posée: quid du mécanisme?

Lors de cette « rencontre citoyenne » à Chantilly et à Paris, une présence a été fort remarquée. Il s’agit de celle de l’homme d’affaires Sindika Dokolo, initiateur du mouvement citoyen « Les Congolais debout ». Et, faut-il le rappeler, époux d’Isabel dos Santos qu’on ne présente plus.

Lors des discussions en plénière, « Sindika » n’a pu s’empêcher de lancer ces mots aux allures de « déclaration de guerre »: « C’est mon devoir de faire partir Joseph Kabila en 2017. Sinon, on est parti pour 32 ans. Je ne peux pas venir en exil en disant que j’aurai pu faire quelque chose… » Et d’ajouter: « On ne pourrait mettre Joseph Kabila hors du pouvoir que si nous parvenons à mettre un million de personnes dans la rue. Il faut leur donner le moyen de descendre dans la rue ». De quel moyen s’agit-il? Mystère!

Sur son compte Twitter, le fils Dokolo a dénoncé, vendredi 1 er septembre, la non-publication du fichier électoral par la CENI (Commission électorale nationale indépendante) à la date du 31 août. Il faut dire les opérations d’enrôlement n’ont pas encore commencé dans les Kasaï. La centrale électorale a besoin d’au moins trois mois pour ce faire.

PRIORITE A L’ELECTION PRESIDENTIELLE

Dans une récente interview accordée à RFI, le président du Rassemblement, Félix Tshilombo Tshisekedi a estimé qu’il faudrait donner priorité à la tenue de l’élection présidentielle. Au motif qu’il est encore possible de l’organiser avant le 31 décembre prochain. « Ici, il y a une seule circonscription électorale et on n’a pas besoin de répartition de sièges », a-t-il souligné.

QU’EN EST-IL DU CAMP KABILISTE?

Au cours de ce mois d’août, « Joseph Kabila » a montré de manière sans équivoque sa volonté de vendre chèrement sa peau. En clair, l’homme – qui considère le Congo-Kinshasa comme un butin de guerre – est décidé à se battre. Et surtout à traquer ses contempteurs. A preuve?

Samedi 5 août, le ministre de l’Intérieur, le PPRD Emmanuel Ramazani Shadary a reçu 400 « chefs de rue » au Jardin botanique de Kinshasa. Mission: « veiller à la quiétude et la sécurité » des populations de leurs entités respectives. En fait, faire de la délation. Une « innovation » qui n’est pas sans rappeler la surveillance de dix maisons dite « Nyumba Kumi » chère au potentat rwandais Paul Kagame. C’est connu, celui-ci est le mentor de « Joseph » qui a foulé le sol zaïrois en octobre 1996 dans les bagages de James Kabarebe, alors colonel et commandant des soldats rwandais déployés au Congo-Zaïre, faussement appelés « les soldats de Laurent-Désiré Kabila ».

Samedi 12 août, « Joseph Kabila » a présidé, à la Base de Kamina (Haut Lomami), la cérémonie dite de « sortie officielle » de la 32ème brigade de réaction rapide. « La quatrième promotion dénommée ‘Nindja’ est en cours de formation », indique une dépêche de l’ACP. La même source rapporte que le président sortant a été à la Base de Kitona, au Kongo Central, pour assister à la clôture de la formation de deux « bataillons spéciaux » et d’un régiment.

A Kinshasa, le ministre Atama Tabe, lui, a présidé, au Camp militaire de Kibomango, la cérémonie de clôture de la formation anti-terroriste du 123ème bataillon de la garde prétorienne de « Joseph Kabila ».

DES CHARS

On rappelle que dans une lettre ouverte adressée au ministre de la Défense en date du 3 avril 2016, l’avocat lushois Timothé Mbuya, président de « JUSTICIA Asbl », une organisation de défense des droits humains basée à Lubumbashi, lançait l’alerte suite au déploiement, dans l’ex-Katanga, de 60 chars et des « commandos lourdement armés » appartenant à la garde présidentielle dite « Garde républicaine » (GR). « Monsieur le Ministre, à quelques mois de la tenue des élections présidentielles et législatives consacrant ainsi la première alternance démocratique, JUSTICIA Asbl estime que faire circuler autant d’armes dans une zone non officiellement astreinte aux conflits armés a un impact sur la situation sécuritaire des habitants et nos populations ont le droit de solliciter une explication de votre part », soulignait le juriste.

Des sources proches de Mgr Pierre Marini Bodho rapportent des propos tenus par « Kabila », lors d’un entretien avec des chefs des confessions religieuses: « Les Congolais devraient choisir entre le glissement et la guerre ». C’était l’année dernière.

Plus que 119 jours pour atteindre le 31 décembre. Les forces politiques et sociales acquises au changement jouent leur crédibilité. Le premier test a eu lieu ce dimanche 3 septembre. A ses contempteurs, « Kabila » a envoyé un message clair: « J’y suis, j’y reste! Vous ne m’arracherez le pouvoir que les armes à la main comme l’AFDL l’a fait le 17 mai 1997 et non par des manifestations non-violentes ».

 

Baudouin Amba Wetshi

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