Lettre ouverte au Dr. Sondji

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

« Mbuta » Sondji,

Vous venez de signer une « communication politique » dans CIC qui se penche sur « les origines de la crise congolaise ». Que celle-ci remonte à Mathusalem ou à seulement quelques années ou décennies, cela importe peu et vous le savez très bien. Car, vous êtes bien conscient de ce qui est important. En effet, vous dressez avec raison le constat accablant suivant qui est d’ailleurs à la portée de tous: « Alors que le cadre institutionnel mis en place suivant l’Accord Global Inclusif négocié à Sun City et signé à Pretoria le 17 décembre 2002 avait précisément comme objectif notamment de mettre fin à [nos] crises de légitimité à répétition, force est de constater que 15 ans après notre pays se trouve encore plongé dans une profonde crise de légitimité des institutions présentes et de leurs animateurs. Le pays se retrouve à la case de départ comme si Sun City n’avait jamais existé! ». Ce qu’il convient d’examiner, c’est donc notre désenchantement face au rêve de l’Etat de droit que nous croyions matérialiser à travers l’exécution de l’accord ci-dessus. Que faire face à notre désillusion si amère?

Vous constatez une fois de plus avec raison que « notre peuple est orphelin d’un leadership politique éclairé ». Car, vous l’affirmez toujours avec raison, l’histoire nous « enseigne que les malheurs que vit la population congolaise depuis l’indépendance du pays en 1960 sont largement imputables à ses élites ». Pourquoi? Vous répondez ainsi: « C’est à l’élite politique que revient la responsabilité de formuler des projets suivant lesquels le pays devrait être organisé afin de le placer sur les rails de développement pour le bénéfice du plus grand nombre ». Votre affirmation doit être nuancée. Car s’il appartient aux élites politiques de mettre en place les politiques de gouvernance et de développement, leur formulation n’est pas leur monopole. Elle est aussi et surtout le domaine par excellence des élites intellectuelles, notamment les professionnels de la pensée.

Du haut de votre constat accablant sur les élites congolaises, vous estimez que « les enjeux du moment doivent consister à trouver et placer à la tête des institutions du pays des hommes et des femmes instruits certes mais, surtout de type nouveau, capables de mettre leurs connaissances au service de l’intérêt public plutôt qu’à celui de leurs intérêts personnels. C’est dans ces îlots d’excellence qu’il faudra les recruter ». Aussi préconisez-vous que les élections futures soient organisées par « des Congolais plus sérieux et responsables ». Car, à vous entendre, des tels Congolais existent dans des « ilots d’excellence » qui subsistent encore dans le pays. Vos conclusions sont-elles pertinentes?

L’Accord Global Inclusif de Sun City n’a pas conçu un système politique qui permettrait à notre peuple de mettre au pouvoir des compatriotes « sérieux et responsables ». Nos dirigeants doivent désormais être élus. Et l’histoire du monde et non seulement de notre pays démontre que plusieurs facteurs entrent en ligne de compte pour qu’un candidat gagne une élection à quelque niveau que ce soit; ce qui explique aujourd’hui, par exemple, l’élection d’un homme politique éminemment atypique au sommet de l’une des plus grandes démocraties au monde: Donald Trump que Robert Dallek, historien spécialisé dans la vie des présidents des Etats-Unis, traite de « menteur pathologique ». Par ailleurs, même si Sun City avait recommandé un système politique permettant à notre peuple de ne choisir ses dirigeants que dans nos fameux « ilots d’excellence », qui restent d’ailleurs à designer, rien ne prouve qu’une fois confrontés aux réalités du pouvoir, ils resteraient des hommes et femmes « sérieux et responsables ».

« Le pouvoir tend à corrompre, et le pouvoir absolu corrompt absolument. Les grands hommes sont presque toujours des hommes méchants ». Un siècle avant que l’historien, politicien et écrivain catholique anglais Lord Acton ne formule cette célèbre maxime, Montesquieu avait déjà établi que l’esprit des lois est une affaire de psychologie tout autant que de politique. Car « tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. Qui le dirait! La vertu même a besoin de limites ». Cela signifie que le meilleur régime politique n’est pas celui qui mettrait l’homme qu’il faut à la place qu’il faut comme aiment à le répéter les élites africaines, car cela est tout simplement impossible. Le meilleur régime, c’est celui qui permet de ligoter l’autocrate qui sommeille en chacun de nous. Et dans ce « nous », il y aussi vous et moi, par exemple, cher « Mbuta » Sondji. Le tout est de savoir comment ligoter l’autocrate qui sommeille en chacun de nous une fois que nous arrivons au pouvoir.

Vous vous étendez longuement et de manière exhaustive, c’est bien votre expression, sur les « violations intempestives et massives de la constitution » par Joseph Kabila. L’essentiel n’est pas dans ces violations, mais dans l’impunité qui les entourent. Vous rendrez donc plus service à notre nation en expliquant comment on pourrait ligoter l’autocrate qui sommeillait hier dans le taximan des rues de Dar-es-Salam et qui hissé au sommet de l’Etat congolais viole systématiquement et en toute impunité les lois de la république y compris la loi fondamentale. Puisque vous passez à côté de l’essentiel pour vous complaire dans des considérations stériles, allant jusqu’à « lancer un appel au Président Joseph Kabila de cesser de se cramponner au pouvoir et de compromettre par cette attitude la paix étant donné que la majorité du peuple congolais ne veut pas de lui », auriez-vous besoin que l’on vous explique ce que notre nation attend de ses élites maintenant que le rêve démocratique de Sun City a tourné au cauchemar?

Comme moi et avant moi, vous êtes Mumbala. Comme l’indique d’ailleurs votre nom. Comme moi et avant moi, vous avez vécu votre enfance au village. Comme moi et avant moi, vous avez tendu des pièges aux rats. Car nous les Bambala, nous aimons manger les rats. Voulez-vous que je vous rappelle certains de leurs noms? Les « Kakala », « Kulu », « Gamandonda », « Gidimba », « Mwebu », etc. J’oubliais les « Mbanga » que le fils des Bayansi King Kester Emaneya a immortalisés dans sa chanson « Gishiwu » (Saison sèche), entièrement composée en Kimbala. Vous souvenez-vous maintenant de ce qui arrivait parfois quand on allait visiter nos pièges? Il arrivait qu’un rat mange l’appât, souvent une noix de palme, sans que le piège ne s’abatte sur lui. Il arrivait aussi que le piège s’abatte sur le rat, mais qu’il s’en sorte en ne laissant que quelques poils comme s’il voulait nous révéler son identité.

Les deux scénarios décrits ci-dessus renvoient à notre destin national depuis les élections de 2006. Comme le rat qui mange la noix de palme dans le piège sans que celui-ci ne s’abatte sur lui, Joseph Kabila viole la constitution sans que les contre-pouvoirs pourtant prévus dans la constitution ne le sanctionnent. Que faisions-nous alors quand les deux scenarios se répétaient? Certes, on maudissait le rat intelligent. Comme on maudit aujourd’hui Joseph Kabila. On rêvait que le rat était pris au piège. Comme on rêve aujourd’hui que Joseph Kabila ne puisse violer en toute impunité les lois du pays. Mais toutes ces démarches étaient enfantines puisqu’improductives. Tout enfants que nous étions, nous savions par expérience que la meilleure stratégie consistait à réexaminer la façon dont nous avions construit ou tendu le piège. Alors, qu’il soit un « Kakala », « Kulu », « Gamandonda », « Gidimba », « Mbanga » ou « Mwebu », le salopard de rat intelligent finissait par être pris au piège. « Mbuta » Sondji, faut-il vraiment vous apprendre que la nation congolaise doit revoir la façon dont elle a conçu et mis en place les contre-pouvoirs afin que ceux-ci deviennent enfin effectifs?

Des hommes et femmes politiques « sérieux et responsables », cela n’existe que dans notre imaginaire à nous élites africaines qui restons incapables à résoudre les questions de gouvernance que posent nos sociétés. Certes, des êtres d’exception existent. Mais ils constituent justement l’exception à la règle générale qui voudrait que partout au monde, la plus grande gymnastique à laquelle se livrent les hommes et femmes politiques consiste à violer ou contourner les lois pour assouvir des intérêts égoïstes. Partout au monde, les dirigeants aimeraient agir sans contre-pouvoirs. Quand Donald Trump décide d’abroger l’Obama care, par exemple, il souhaiterait bien qu’aucune autre institution ne vienne lui mettre les bâtons dans les roues. Les scandales médiatisés de fraude ou de corruption qui secouent les démocraties occidentales ne sont que la partie visible de l’iceberg. Les peuples ne devraient donc pas perdre leur temps à se lancer à la quête des êtres d’exception d’autant plus que cela n’est inscrit sur le front de personne. Ils doivent imposer des limites et des contrôles effectifs à l’exercice de tout pouvoir, surtout de la part des magistrats suprêmes. Voilà ce que « notre peuple orphelin d’un leadership politique éclairé », comme vous le soulignez, attend de toutes ses élites politiques et intellectuelles.

 

Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

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