Présidentielle au Congo-Kin: La Commission de l’UA a-t-elle choisi son « candidat »?

Dans un fastidieux communiqué en 13 points publié lundi 26 novembre 2018, le Conseil de Paix et de Sécurité annonce, pour l’essentiel, que l’Union africaine va dépêcher des observateurs électoraux au Congo-Kinshasa. Le Conseil demande la levée des « sanctions individuelles » prises par l’Union européenne (UE) à l’encontre des personnalités du régime. Quid des raisons ayant motivé ces sanctions? Silence radio. « Joseph Kabila » semble avoir lancé une vaste opération de lobbying. Objectif: faire sauter les sanctions de l’UE infligées à une douzaine de ses proches en général et au « dauphin » Emmanuel Ramazani Shadary, en particulier.

Smaïl Chergui, commissaire de l’Union africaine pour la Paix et sécurité

De retour d’un voyage à Kinshasa – où il a été reçu par « Joseph Kabila » au cours du weekend du 8 novembre -, le commissaire de l’Union africaine pour la Paix et sécurité, l’Algérien Smaïl Chergui, a regagné Addis-Abeba, via Paris, afin de participer, le lundi 19, à la 808ème réunion du Conseil de Paix et Sécurité (CPS) de la Commission de l’UA.

Les participants à cette rencontre ont commencé par suivre les « communications » faites par plusieurs intervenants. Outre le commissaire Smaïl Chergui, il y a le représentant spécial du président de la Commission et chef du bureau de liaison de l’UA au Congo-Kinshasa, l’ambassadeur Abdou Abarry de nationalité nigérienne. Autres intervenants: l’incontournable Barnabé Kikaya bin Karubi, conseiller diplomatique du Président hors mandat « Joseph Kabila », l’ambassadeur du Gabon en Ethiopie dont le pays assure la présidence de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) et le représentant des Nations Unies auprès de l’UA.

Après lecture dudit communiqué, il apparaît que les points « 12 » et « 13 » de la « décision » du Conseil semblent circonscrire l’enjeu de cette séance de travail. On peut lire notamment que le Conseil de Paix et de sécurité « demande la levée de toutes les sanctions individuelles imposées à l’encontre des personnalités congolaises, afin de créer un environnement propice à la tenue d’élections libres, transparentes et apaisées en RDC »; le Conseil « décide de rester activement saisi de la question ».

Suite à la répression menée par les forces dites de sécurité contre la population civile dans le « Grand Kasaï », les observateurs notamment onusiens ont accusé ces forces d’avoir commis des atrocités par l’usage disproportionné de la force.

MESURES RESTRICTIVES

Par sa décision 2010/788/PESC datée du 29 mai 2017, le Conseil de L’Union européenne a adoptée des « mesures restrictives » à l’encontre de certains « hommes du raïs » ayant en charge des questions sécuritaro-militaires au moment des faits. C’est le cas de: Evariste Boshab, ancien vice-Premier et ministre de l’Intérieur; Gédéon Kyungu Mutanga, chef des miliciens Bakata Katanga (2011-2016); Alex Kande Mupompa, ancien gouverneur du Kasaï central; Jean-Claude Kazembe Musonda, ancien gouverneur du Haut-Katanga; Lambert Mende Omalanga, ministre de la Communication et des médias; « général » Muhindo Akili, alias Mundos, alors commandant de la 31è brigade des FARDC; « général » Eric Ruhorimbere, commandant adjoint de la 21è région militaire militaire à Mbuji-Mayi; Emmanuel Ramazani Shadary, alors vice-Premier et ministre de l’Intérieur et de la sécurité et Kalev Mutondo, administrateur général de l’Agence nationale de renseignements (ANR).

Lambert Mende Omalanga, porte-parole du Gouvernement

Outre des arrestations et détentions arbitraires des activistes de la société civile et des membres de l’opposition, il est reproché à ce « beau monde » des graves violations des droits et libertés. Lambert Mende, lui, est ciblé en tant que « responsable de la politique de répression menée envers les médias » n’appartenant pas à la mouvance kabiliste.

Dans le communiqué précité, le Conseil Paix et sécurité de l’UA élude les griefs articulés jadis par l’UE. Il se contente de réaffirmer son « attachement à la mise en œuvre continue de l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération » signé le 24 février 2013 à Addis-Abeba par 11 Etats de la région.

Aux termes de cet accord, le Congo-Kinshasa s’est engagé notamment à poursuivre « la réforme des forces de sécurité » en particulier l’armée et la police en conférant à celles-ci un caractère « républicain ». Cette réforme est restée un vœu pieux. L’autre engagement portait sur la promotion de « la réconciliation nationale, la tolérance et la démocratisation ». Le Conseil a fait l’impasse aux mesures de décrispation contenues dans l’Accord de la Saint Sylvestre du 31 décembre 2016. Les évêques catholiques en parlent dans leur message daté du 22 novembre 2018.

INCOHÉRENCE

Depuis le 19 décembre 2016, le Congo-Kinshasa fait face à une crise politique. Les dirigeants en place exercent un pouvoir inconstitutionnel. Le scrutin présidentiel prévu en septembre de cette année là n’a pas été convoqué. En cause, la volonté de « Joseph Kabila » de s’accrocher au pouvoir. Plusieurs manifestations pacifiques furent réprimées dans le sang.

Forcé par la pression interne et externe, « Kabila » a fini par renoncer à cette folle ambition. Tel un prestidigitateur, l’homme a sorti un « dauphin » de son chapeau. Il s’agit d’Emmanuel Ramazani Shadary. A tort ou à raison, des observateurs redoutent une « parodie électorale ».

Dans le point « 7 » du communiqué l’UA, on est surpris de lire que le Conseil « se félicite de la décision du président Joseph Kabila de se conformer à la Constitution de son pays en s’abstenant d’être candidat à la prochaine élection présidentielle ». Des compliments immérités car cela fait deux ans que les Congolais attendant d’aller choisir leurs nouveaux gouvernants.

L’Union africaine fait preuve d’incohérence par rapport à la « Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance ». L’article 2 de ladite Charte énumère ces quelques objectifs: promouvoir et renforcer l’adhésion au principe de l’Etat de droit fondé sur le respect et la suprématie de la Constitution et de l’ordre constitutionnel (…), promouvoir la tenue régulière d’élections transparentes, libres et justes afin d’institutionnaliser une autorité et un gouvernement légitimes ainsi que les changements démocratiques de gouvernement. Comme à l’accoutumée, ce texte ne prévoit aucune sanction en cas de transgression d’une ou l’autre disposition.

ET VOICI DES LOBBYISTES…

Depuis le mois d’octobre dernier, il apparaît que « Kabila » – qui ne lésine pas sur les moyens de l’Etat – a lancé une vaste opération de « lobbying ». L’objectif est d’amener l’UE à annuler les mesures de rétorsion précitées. L’avocat Thierry Bontinck aurait été chargé d’une démarche officielle.

Louis Michel (source: louismichel.be)

Dans les coulisses, des « lobbyistes » sont déjà en piste. Lors de son récent séjour kinois, le Commissaire Smaïl Sergui a été reçu par « Joseph Kabila ». De quoi avaient-ils parlé? Mystère! A l’issue de l’audience, le diplomate algérien a dit tout le bien qu’il pensait de la « machine à voter ». Selon lui, il ne lui aurait fallu que 41 secondes pour simuler une opération de vote.

L’homme politique libéral flamand Herman De Croo – actuellement sans fonction officielle au niveau nationale -, a eu, le vendredi 16 novembre, une longue entrevue avec le chef de la diplomatie congolaise She Léonard Okitundu. Les deux hommes ont évoqué les « dossiers » liés aux relations, au point mort, entre le Congo-Kinshasa et la Belgique.

A Bruxelles, le très influent quotidien « Le Soir » assure que « Kabila » est indéboulonnable. Au motif qu’il a la haute main sur les « securocrates ». La publication reproche au ministre des Affaires étrangères Didier Reynders d’avoir trop vite parié sur certaines personnalités de l’opposition. Et au détriment des intérêts belges.

Le jeudi 22 novembre, le défenseur des droits de l’Homme Paul Nsapu Mukulu a eu un échange verbal épique avec l’eurodéputé Louis Michel. Ancien chef de la diplomatie belge, le papa de « Charles » jouait le rôle de « modérateur » lors d’un débat au Parlement européen. Mal lui en a pris de déclarer qu’Emmanuel Ramazani Shadary, le candidat du « FCC » (Front commun pour le Congo) à l’élection présidentielle « est l’homme qu’il faut ». Il a par la suite demandé la levée des sanctions de l’UE.

Présent dans la salle, Nsapu Mukulu a bondi de sa chaise en invitant Louis Michel à cesser ses immixtions dans les affaires congolaises lui rappelant, au passage, sa fameuse déclaration, faite en 2008, selon laquelle « Joseph Kabila était l’espoir pour le Congo ». A l’instar du Commissaire Smaïl Chergui, l’eurodéputé belge ne trouve que des « qualités » à la « machine à voter »…

 

Baudouin Amba Wetshi

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