Que s’est-il passé le 7 octobre 2018 à Kolwezi ?

IRDH préoccupé par des incidents mortels récurrents dans la chaîne d’exploitation abusive de minerais.

1. FAITS RÉCENTS

Le 07 octobre 2018, des creuseurs artisanaux de Kolwezi ont protesté contre leur évacuation forcée de la carrière de KOV, appartenant à la société Kamoto Copper Company (KCC). La horde estimée à plus de cinq mille personnes s’était attaquée au poste de la Police nationale congolaise (PNC) de Luilu (Commune de Dilala) d’où elle aurait libéré des détenus en attente de procédure judiciaire et emporté des dossiers en instruction. L’intervention du Gouverneur de Province, Monsieur Richard Muyej Mangez Mans n’avait pas su calmer la situation. C’était l’opération armée de la PNC et des forces armées de la RDC (FARDC) qui avait mis fin au pillage. Le bilan provisoire varierait entre trois (03) et dix-huit (18) morts, des dizaines de blessés dont six policiers, trois véhicules brulés dont deux de la PNC, pillage des camions de ciments et matériaux de construction, ainsi que des magasins d’appareils électroménagers.

Au regard de ce énième incident causant mort d’hommes, suite à l’exploitation minière dite artisanale, les chercheurs du Projet d’Application des droits économiques, sociaux et culturels de l’IRDH ont analysé en profondeur la situation et ont abouti à un abus de la main d’œuvre congolaise, constituée essentiellement des jeunes âgés de 12 à 45 ans, sans alternative de travail.

Il en résulte que des réseaux bien structurés d’extraction informelle des minerais sont organisés pour canaliser la production vers des entreprises de traitement industriel et d’exportation des cathodes de cuivre et de cobalt. Ci-après, les chercheurs de l’IRDH exposent le cheminement de l’extraction minière dite illégale à la commercialisation officielle et légale des produits miniers.

2. ORGANISATION DE L’EXTRACTION INFORMELLE

2.1.Encadrement des creuseurs par le SAESSCAM

Au départ, il y a un très grand nombre de jeunes congolais sans emplois, prêts à rendre n’importe quel service payant. Ils sont organisés par des intermédiaires appelés « encadreurs techniques et sociaux du SAESSCAM » (Service d’assistance et d’encadrement du Small Scale Mining) qui ont la responsabilité de rassurer le « bon état technique des mines et carrières » dites artisanales et de canaliser la production vers les entreprises établies sur le territoire national. Le SAESSCAM est un service public, à caractère technique, créé par le Décret n°047-C/2003 du 28 mars 2003. Il a notamment pour objet de :

« Assurer le suivi des flux des matières de la Petite Mine et de l’Artisanat Minier depuis le chantier jusqu’au point de vente, en vue de canaliser toute la production dans le circuit officiel de commercialisation »; (http://www.saesscam.cd/SAESSCAM/pages/creation.php).

2.2.Conditions et risques de travail

Les travailleurs, qualifiés de creuseurs artisanaux indépendants, « s’engagent » de fait, à leurs propres risques et périls, à creuser à la pioche, sans aucune protection sociale, ni sécurité, ni hygiène sur le lieu de travail. Dans les environs des villes de Kolwezi, Likasi et de Lubumbashi, ils vivent sous des tentes de fortune, dans des villages artificiels, insalubres et peuplés de prostituées. Ils sont exposés aux risques de mort par éboulement de la mine, d’asphyxie au fond des mines mal aérées, d’irradiation des minerais radioactifs, des maladies dérivées de l’extraction non protégées des métaux lourds, ainsi que des maladies sexuellement transmissibles.

En fait, comme en droit, les creuseurs artisanaux n’ont de contrat de travail avec aucune entreprise légalement établie et ne sont couverts par aucun mécanisme socio-professionnel. Les malades, les accidentés et les morts sont éliminés et remplacés par un système naturel de la survie du plus apte. Les remplaçants ne sont pas à chercher. Pourvu que l’extraction ne s’arrête pas ! Sans syndicat ni encadrement juridique, les creuseurs s’avèrent être des « voyous » et « barbares dangereux ». (Réaction du Gouverneur Muyej du 07 octobre 2018).

3. PROPRIÉTÉ DES CARRIÈRES ET MINES ARTISANALES

Les mines et carrières d’où sont extraits les minerais par des creuseurs artisanaux sont soit la propriété de la Gécamines, soit des entreprises régulièrement établies ou encore des entreprises des parents des membres du Gouvernement. A titre illustratif, le site de KOV, où s’est produit le dernier incident, appartient à KCC; le site voisin de Luilu (Kolwezi) appartient à Congo Dongfang International Mining (CDM); et des dizaines de sites aux alentours des villes de Kolwezi, Likasi et Lubumbashi appartiennent à la Gécamines qui les cèdent généralement aux officiels, leurs proches ou parents (parlementaires, membres du Gouvernement ou officiers supérieurs).

Les sites de la Gécamines sont cédés à travers des « contrats de sous-traitance d’exploitation de gisement » couvert par un Permis d’Exploitation (PE) et les sites hors concessions Gécamines, appelés aussi Zone d’Exploitation Artisanale (ZEA), sont cédés par Arrêté Ministériel aux « Coopérative d’exploitation minière ».

4. INTERMÉDIAIRES COMMERCIAUX

Les creuseurs artisanaux travaillent sous la supervision des chefs d’équipe congolais au service des « comptoirs d’achat des minerais » dont la majorité appartient aux chinois, indiens et libanais. Un intermédiaire commercial chinois achète jusqu’à 100 camions de 40 tonnes de minerais bruts par jour. Un indien ne dépasse pas généralement 10 camions et un libanais rachète très peu.

Outre l’achat, les intermédiaires commerciaux sont chargés de tester la teneur des minerais et de vérifier le poids réel de chaque sac embarqué. Il revient aux chercheurs de l’IRDH que les laboratoires de vérification des teneurs des matières et les balances de pesage des poids sont à la merci des acheteurs qui les ont déjà trafiqués.

La production d’un camion, de 40 tonnes de minerais bruts, nécessite 4.000 sacs pesant moyennement 10 kilos. Un petit groupe de 50 personnes, en moyenne, travaille en chaîne de trois segments: (i) des creuseurs qui vont sous terre, (ii) des évacuateurs qui ramènent les minerais en surface et (iii) des chargeurs des camions. Le produit extrait contient notamment des minerais de cuivre, de cobalt et des minerais radioactifs à l’instar de l’uranium. Le prix varie entre 150,00 USD et 200,00 USD, par camion. A la fin d’une journée de dix à douze heures, un creuseur peut gagner trois à cinq dollars (3,00 USD à 5,00 USD).

La circulation des grosses sommes d’argent en espèces dont les creuseurs, en conditions précaires, ne bénéficient pas, explique la raison pour laquelle des intermédiaires chinois sont escortés par des éléments de la Garde Républicaine (GR), des Forces armées de la RDC (FARDC) ou de la Police nationale congolaise (PNC).

5. TAXES ET SERVICES PUBLICS

La sortie du site d’extraction artisanale de chaque camion est soumise aux taxes payables sans quittance, auprès des services de SAESSCAM, Mines (Police et Division de Mines) et l’Agence Nationale de Renseignements (ANR). Lesdites taxes n’étant pas régulières, leur redistribution dépend de la personnalité du propriétaire du site ou de celle de l’acheteur. Généralement, le coût varie entre 160 et 320.000,00 FC (100 à 200 USD).

En cours de route, le camionneur paye 20 à 30.000,00 FC à la Police de circulation routière (PCR) qui surveille les routes de transmission des minerais. De même, 20 à 30.000,00 FC restent au poste de contrôle dit « péage », à l’entrée de la ville de Lubumbashi.

6. USINES DE TRAITEMENT ET D’EXPORTATION DES MINERAIS

Les minerais des réseaux informels sont canalisés essentiellement vers des entreprises chinoises et indiennes. Il revient aux chercheurs de l’IRDH que les entreprises chinoises ne reprennent exclusivement que des minerais des réseaux chinois. De même, les entreprises indiennes rachètent des minerais en provenance des comptoirs indiens. De manière exceptionnelle, elles peuvent racheter à un libanais ou à un congolais connecté aux personnalités politiques. Cette règle ne se brise qu’en cas de pénurie ou d’offre des prix exceptionnellement bas.

Sans pour autant avoir accès aux statistiques des entreprises chinoises et indiennes, il revient des travailleurs gestionnaires des dépôts de rachat des minerais que la quantité recueillie du circuit d’extraction artisanale est aussi importante que celle exploitée industriellement. Par ailleurs, l’énorme main d’œuvres y est engagée, à titre quasi gratuit, est exempte de coûteuses obligations sociales, des normes sécuritaires requises dans les mines et autres réglementations en matière de l’emploi, organisée par l’Etat et l’Organisation internationale du travail (OIT).

Une liste non exhaustive des grandes entreprises acheteuses, établies à Kolwezi et à Lubumbashi, est constituée de:

6.1.Entreprises chinoises

  • HUASHIN MINING (Lubumbashi, Route Likasi, village MABENDE)
  • Congo Dongfang International Mining (CDM) (Kolwezi et Lubumbashi)
  • RUASHI MINING (Lubumbashi)

6.2.Entreprises indiennes

  • SOMIKA (Société Minière du Katanga)
  • CHEMAF (Chemicals of Africa)
  • GOLDEN MINING

NB: MAMA SARL (Lubumbashi et Likasi), FEZA MINING (Likasi) et GETOU Trading (Likasi) sont des entreprises intermédiaires les plus importantes qui versent plus de 70% de l’exploitation artisanale aux entreprises chinoises et indiennes. Elles appartiennent aux personnalités proches du Président de la République, mais exploitées effectivement par des chinois.

Enfin des comptes, d’une part, le bénéfice de l’extraction informelle des minerais se déverse en grande partie dans l’Union de sociétés minières aux capitaux chinois (USCC) qui incorpore la SICOMINES, la HUAYOU Cobalt Co, la CHINA Nonferous Metal Mining Group, ainsi que la CHINA Molyboleum Corporation. Cette dernière contrôle la Tenke Fungurume Mining (TFM) et la Minerals and Metal Group de Kinsevere (MMG-Kinsevere). De l’autre, et à faible proportion, ledit travail de creuseurs artisanaux profite aux réseaux indiens cités ci-dessus.

7. APPEL AU RESPECT DES RÈGLES EN LA MATIÈRE

Les sociétés multinationales bénéficiaires des produits miniers venant des entreprises de traitement et d’exportation des minerais, établies en RDC, devraient se soumettre à la réglementation qui protège les droits des travailleurs et exige le devoir de contrôler la chaîne d’approvisionnement. La mise en œuvre rigoureuse des normes ci-après sont de nature à mettre fin à l’exploitation abusive de la main d’œuvre congolaise:

  • Code de bonne conduite interne;
  • Guide sur la responsabilité sociétale des entreprises minières établies au Katanga;
  • Constitution, Code et règlement miniers congolais;
  • Normes et standards internationaux sur la responsabilité sociétale des entreprises.

7.1.Code de bonne conduite

Toutes les entreprises minières établies en RDC sont tenues aux Codes de bonne conduite internes qui fixent les règles minima à suivre. Cette présomption vaut pour les entreprises chinoises qui opèrent dans l’arène internationale en collaboration avec les internationaux des minerais.

Des entreprises à capitaux chinois et indiens comme Ruashi Mining, CDM, CHEMAF, TFM, MMG et SOMIKA devraient être exemplaires, en respectant scrupuleusement leurs propres Codes de bonne conduite publiés sur leurs sites Internet. Elles devraient aussi suivre la procédure de diligence raisonnable, afin de ne pas encourager l’exploitation abusive des creuseurs artisanaux qui frise de l’esclavage moderne.

7.2.Guide sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises minières du Katanga

Le dialogue multi-acteurs entrepris par l’Investissement durable au Katanga (IDAK) a abouti, en juin 2016, à la mise sur pied du Guide RSE du secteur minier du Katanga. Bien que non contraignant, le Guide offre une opportunité de renforcement des bonnes pratiques des entreprises opérant en RDC, nonobstant l’origine de leurs capitaux. Elles sont appelées à se comporter en entité socio-économique responsable vis-à-vis des droits de l’Homme, des communautés locales, des relations et conditions de travail, de l’environnement, de la chaîne d’approvisionnement et de l’engagement sociétal.

7.3.Constitution, Code du travail, Code et règlement minier

La Constitution de la RDC, par son article 60, impose le respect de tous les droits humains, à tous, personne physique et entreprise. De manière particulière, elle garantit, à l’article 53, à toute personne humaine le droit à l’environnement sain et propice à son épanouissement intégral. Au regard de l’article 36, le travail doit être fait dans des conditions humaines et doit: « Procurer une rémunération équitable et satisfaisante assurant au travailleur ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine, complétée par tous les autres moyens de protection sociale, notamment, la pension de retraite et la rente viagère ».

Le Code du travail, quant à lui, vise la mise en place des structures appropriées en matière de santé et de sécurité au travail, afin d’assurer une protection optimale du travailleur contre les nuisances. Autant, le Code et règlement miniers exigent aux entreprises des conditions d’exploitation minière qui respectent la personne humaine, ainsi que l’environnement physique dans lequel il vit.

7.4.Standards et normes internationaux

Les normes et standards internationaux relatifs à la protection de la dignité humaine du travailleur sont retrouvés dans plusieurs directives, notamment, les principes de directeurs de l’ONU sur les droits de l’Homme et les affaires, la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), la norme ISO 26.000, les Principes directeurs de l’Organisation de coopération et de développement économiques, (OCDE) à l’intention des entreprises multinationales.
Les principes énoncés par tous ces instruments de portée universelle sont destinés à guider les entreprises multinationales, les gouvernements, les employeurs et les travailleurs dans des domaines tels que l’emploi, les conditions de travail et de vie et les relations professionnelles.

8. CONCLUSION

Il y a lieu de conclure que les incidents violents (pillages) et mortels (éboulements) sont récurrents dans le secteur de l’exploitation minière artisanale. Celui qui est arrivé le 07 octobre a Kolwezi s’inscrit dans la logique du creuseur artisanal qui n’est pas suffisamment protégé par l’Etat; il évolue en dehors du mécanisme légal de protection socio-professionnel; son dur labeur est quasi gratuit et ses revendications ne sont pas encadrées.

Au regard de l’arsenal juridique congolais en matière des droits humains, protection du travailleur et d’exploitation minière; les chercheurs de l’IRDH invitent les députés nationaux et provinciaux à examiner la constitutionalité du Décret Numéro 047-C/2003 du 28 mars 2003 portant création et fonctionnement du SAESSCAM. Celui-ci semble violer les dispositions examinées ci-dessus qui protègent le travailleur. En l’extirpant de la protection sociale lui garantit par la Constitution et les autres lois, ledit Décret semble livrer le travailleur aux pires formes d’exploitation inhumaine qui frise l’esclavage moderne, avec la complicité des services publics et des réseaux informels organisés par certains membres du Gouvernement.

Enfin, les chercheurs de l’IRDH sont d’avis que la Fédération des entreprises de la RDC (FEC) peut travailler avec les entreprises aux capitaux chinois et indiens et les autres parties prenantes de la société civile, à l’instar de l’IDAK, à la mise en œuvre des mécanismes de protection du travailleur congolais recommandés par le Guide RSE du secteur minier du Katanga.

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