Questions directes à Olivier Kamitatu: « L’ère de l’impunité est passée. Chacun sera désormais comptable de ses actes »

Ancien président de l’Assemblée nationale sous le label MLC, Olivier Kamitatu Etsu, président de l’Alliance du renouveau au Congo (ARC) a rejoint le président sortant Joseph Kabila au sein du cartel « Alliance de la majorité présidentielle » (AMP) où il assume, depuis fin juin, les fonctions de secrétaire permanent. De passage fin août à Bruxelles, il a bien voulu répondre aux questions de Congoindependant.com sur la situation générale en RD Congo. Entretien.

Que faites-vous en Belgique au moment où Kinshasa « brûle »?

Kinshasa ne brûle pas. Il ne faut pas donner ce sentiment. Nous avons accompli un premier tour de l’élection présidentielle et des législatives. J’ai voulu prendre un peu de recul afin de consacrer un moment à la famille avant les grandes manœuvres politiques en prévision du second tour de la présidentielle et les élections provinciales.

Quelle est votre lecture des affrontements des 20, 21 et 22 août entre les éléments de la garde présidentielle, appelés abusivement la « Garde républicaine », et les soldats attachés au vice-président Jean-Pierre Bemba?

Je ne comprends pas l’adverbe « abusivement » que vous placez dans votre question. Aux termes de la loi sur les Forces armées, la Garde républicaine fait partie des instruments de l’armée. Il est donc erroné, comme on entend dire, que deux milices se seraient affrontées à travers la ville de Kinshasa. Il y a d’une part une Garde républicaine consacrée par une loi. Il y a de l’autre la garde de Jean-Pierre Bemba dont le nombre d’éléments a été fixé aux termes des Mémo I et II sur l’armée qui ont permis aux anciens chefs de mouvements rebelles de venir siéger à Kinshasa. Je ne sais pas si ce nombre d’éléments a été respecté ou s’il y a eu une « inflation » entre-temps. Assurément, on ne peut pas comparer les éléments appartenant à une Garde républicaine et ceux d’une garde privée.

Quelle est, selon vous, la cause fondamentale de ces combats?

Je crois que c’est la conséquence d’une campagne extrêmement haineuse et hostile suivie de provocations incessantes. On a même entendu des appels au meurtre, au mois de juillet, à travers les chaînes de télévision du candidat à la présidence Jean-Pierre Bemba. Il y a eu des discours très hostiles dénonçant les fraudes électorales. Ce sont toutes ces provocations qui ont abouti à un déferlement de violence. Il faut condamner la violence.

Vous étiez président de l’Assemblée nationale. Vous aviez les prérogatives de contrôler l’action du gouvernement. N’étiez-vous pas mieux placé pour savoir que les composantes et entités gardaient la haute main sur leurs milices respectives? Devrait-on conclure que la « bataille de Kinshasa » est révélatrice de l’échec des institutions de transition dans leur mission de mettre sur pied une armée nationale et républicaine?

Les règles du jeu de la transition ont été fixées de telle sorte que le Parlement de transition avait certes le pouvoir de légiférer et de contrôler l’action de l’exécutif. Mais, il n’avait pas le pouvoir de sanctionner les fautifs. Nous avons été impliqués, bien malgré nous, dans un système où la caractéristique essentielle était l’impunité. A l’exception du rapport rédigé par la commission Bakandeja, il n’y a pas eu d’autres sanctions éclatantes. Inutile de rappeler ici, les interpellations de certains membres du gouvernement. Il reste que les dispositions constitutionnelles de la transition avaient largement consacrée l’impunité. Celle-ci a été élevée au rang de système de gestion y compris en ce qui concerne l’armée. Je crois pouvoir dire qu’aujourd’hui, cette page est tournée. Elle appartient désormais à un passé révolu. Le Parlement qui sera installé le 19 septembre prochain pourra jouir de ses pleines prérogatives.

Lors de son point de presse du mardi 22 août, le chef d’état-major général des Forces armées de la RDC, le général Kisempia Sungilanga, a laissé l’impression d’un chef militaire sans pouvoir réel sur les troupes. On l’a entendu parler d’ « affrontements injustifiés ». Cela voudrait-il dire qu’il ignorait les tenants et les aboutissants de cette affaire?

Je me souviens du qualificatif « injustifiés » repris dans son texte. Nous étions dans un contexte hautement politique. On attendait les résultats du vote. Le pays vivait dans un climat d’extrême tension. Il y a eu des Congolais qui ont menacé d’autres Congolais à travers un discours insultant et à la limite ordurier. On a assisté à un éclatement qui ne me paraît nullement injustifié. C’est la succession de provocations qui a engendré l’échauffement des esprits.

Ces provocations donnent-ils au chef de l’Etat le droit de détourner la force publique de sa mission?

Le chef de l’Etat n’a pas détourné la force publique de sa mission. Il faut savoir que des éclats de balles sont toujours visibles sur la façade du palais de la nation (Ndlr: lieu où se trouve le cabinet présidentiel) qui se trouve à 200 ou 300 mètres à la portée de fusil des éléments attachés à la garde d’un vice-président de la République. Celui-ci n’était plus, au moment des faits, candidat à la présidence, mais membre de l’espace présidentiel. C’est une situation regrettable au plan institutionnel qui semble découler d’une absence de concertation et de confiance. Comme vous le savez, une commission d’enquête va se mettre au travail pour identifier les causes afin que de tels « débordements » ne se reproduisent plus jamais.

Vous voudrez bien excuser mon insistance sur ce point. Le chef de l’Etat a fait pilonner la résidence de son challenger au moment même où ce dernier recevait des ambassadeurs étrangers. Cette situation n’est-elle pas révélatrice d’un certain désordre?

Il ne faut pas verser dans un schéma de victime contre un bourreau. Je crois simplement qu’il y a des « pyromanes » qui ont déclenché un incendie. Le président de la République est garant du bon fonctionnement des institutions et surtout du maintien de l’autorité de l’Etat. Il l’a rappelé dans son allocution qui ponctuait la fin du premier tour et les résultats que l’abbé Apollinaire Malu Malu a annoncé dans la soirée du dimanche 20 août. A ce jour, le challenger n’a toujours pas pris acte de ces résultats. En tous cas, je ne l’ai pas encore entendu. Je crois que le chef de l’Etat a tenu un discours républicain de restauration de l’autorité de l’Etat. Un discours fort qui annonçait l’acceptation des résultats et engageait le peuple congolais à aller sereinement voter au second tour. En face, nous avons eu un challenger que vous présentez, à travers vos questions, comme une victime. Ce challenger annonçait via ses télévisions qu’il contestait les résultats tout en lançant des appels au meurtre à l’encontre du président Malu Malu. Il faut savoir que les policiers ont été les principales victimes du déferlement de la violence à Kinshasa.

Certains témoins disent que des éléments de la garde présidentielle s’étaient déguisés en policier…

La commission d’enquête mise en place devrait clarifier la situation. Je tiens à dire simplement que ce sont des éléments attachés à l’ordre républicain qui ont payé un lourd tribut.

Loin de moi l’intention de faire l’avocat du diable, il semble bien que Jean-Pierre Bemba devait s’adresser à la population dimanche 20 août via ses télévisions. Et qu’il en a été empêché par l’encerclement du siège du MLC – que vous connaissez mieux que moi – par des éléments de la garde présidentielle. Votre successeur, François Muamba, secrétaire général du MLC, l’a confirmé sur RFI.

Dimanche soir, Jean-Pierre Bemba n’allait pas prendre acte des résultats du premier tour. Ses éléments étaient déployés autour du siège du MLC où se trouvent ses chaînes de télévision. Ne voyant pas arriver Bemba, ces militaires ont attaqué les policiers chargés du maintien de l’ordre public dans ce périmètre. Les éléments de Bemba ont par la suite encerclé le siège de la CEI. Lundi 21, la violence a pris la proportion qu’on connaît. Le président de la République est loin d’être un apprenti dictateur et qu’il aurait voulu l’élimination physique de son challenger. Avec 45% des voix et des perspectives plus qu’encourageantes pour le deuxième tour, il n’est pas homme à perdre son sang-froid. Peut-être y a-t-il eu, à un certain niveau de la hiérarchie, une disproportion de moyens utilisés pour répondre à la provocation.

Avec votre ami Jean-Pierre Bemba (sourires), vous avez combattu les armes à la main le régime des Kabila. Des observateurs ont été surpris de vous voir faire alliance avec le cartel qui soutient Joseph Kabila. Devrait-on conclure que les raisons qui motivaient jadis votre combat ont cessé d’exister?

Dès lors que nous avons pris les armes pour assurer l’avènement d’un nouvel ordre politique à la faveur d’élections libres et transparentes, je crois que nous avons atteint cet objectif. Les élections ont été organisées dans des conditions difficiles grâce et à l’appui de la communauté internationale. C’est le lieu de saluer cet engagement fort. Les élections ont eu lieu. C’est une nouvelle ère qui s’ouvre. Il faut désormais construire un espace de stabilité qui garantit la paix et le progrès pour tous. Maintenant, il nous faut un programme commun autour duquel une majorité large doit s’accorder pour l’avenir du pays. Je crois que ce programme appelle avant tout le respect des valeurs importantes telles que la tolérance et la cohésion. Notamment un esprit que je ne retrouve pas dans le discours sur la « Congolité », d’exclusion, véhiculé de longue par le MLC. Il n’y a pas de vrais Congolais d’un côté et de faux Congolais de l’autre.

Ce débat n’est pas nouveau. Quand vous étiez secrétaire général du MLC, les origines autant que le parcours de Joseph Kabila suscitaient déjà la controverse au sein de l’opinion. Non?

Devrait-on passer au peigne fin les origines de Kabila, de Bemba, de Kamitatu sans scruter attentivement ce qu’ils ont fait pour le pays? Je n’ai jamais voulu relayer de discours populiste.

Ne trouvez-vous pas normal que les Congolais soient vigilants sur le parcours de leur magistrat suprême?

C’est parfaitement légitime. Je crois que nous sommes dans une phase de consolidation de la cohésion nationale. Aujourd’hui, 45% des Congolais ont choisi Joseph Kabila. Il leur appartient de consolider ce choix à la faveur du second tour. Le président de la République, en tant que premier des Congolais, doit ouvrir son cœur au cas où il aurait de choses à nous dire. Nous avons tablé sur l’avenir et non sur le passé.

A propos des résultats, les Congolais attendent toujours l’approvisionnement régulier en eau courante et en électricité. Sans oublier les problèmes insolubles au niveau notamment de transport en commun, la santé, l’éducation…

Les Congolais ont aujourd’hui une Assemblée élue. Ils ont choisi une majorité parlementaire qui doit être consultée pour la formation du gouvernement. Dorénavant, l’exécutif compte sur la représentation nationale. Aujourd’hui, l’ère de l’impunité est passée. Chacun sera désormais comptable des actes qu’il pose. Il ne sert plus à rien aujourd’hui de retourner le couteau dans la plaie. Les Congolais doivent retrouver confiance en eux-mêmes après avoir choisi leurs dirigeants. Les membres de la coalition gouvernementale devront convenir des grands chantiers notamment la sécurité, la justice, l’emploi et l’économie. Les dirigeants seront jugés sur ces résultats.

Dans certains milieux européens, on laisse entendre que les gagnants et les perdants des élections générales devront gouverner ensemble demain. Quel est votre commentaire?

Il y a des élections qui ont sanctionné une volonté populaire qui s’est clairement exprimée. La majorité parlementaire aura très rapidement à s’accorder sur un programme. Quant à l’opposition, elle aura à jouer pleinement son rôle avec son chef de file qui, je l’espère, disposera prochainement, à la faveur des lois qui seront adoptées, d’un statut qui le protège et qui garantit un bon fonctionnement de l’opposition. La démocratie n’est pas un jeu. C’est un système politique composé d’un pouvoir et d’une opposition. Les gouvernements formés sur base de consensus et de compromissions aboutissent toujours à des réflexes d’impunité qui conduisent à la régression.

Que répondez-vous à ceux disent que le Congo est malade d’ingérence extérieure? D’aucuns soutiennent même que le pays est sous-tutelle de fait de la « communauté internationale ».

Je pense que nous avons échappé à cette menace de tutelle. Je crois que la communauté internationale a compris que le Congo se trouve dans une phase de restauration de l’autorité de l’Etat et surtout dans une démarche de consolidation de la cohésion nationale. Avec un gouvernement responsable et des institutions acceptées par toute la population, je crois que la souveraineté du Congo n’est plus remise en question. Nous aurons très rapidement à faire des choix importants tant sur le plan sécuritaire, économique que de l’Etat de droit. Nous allons faire ces choix en toute indépendance avec une représentation nationale dont la légitimé est forte. Je crois que nous jouissons du respect et de la considération des partenaires qui nous ont aidé à mener à bien le processus de normalisation politique.

Vous parlez d’une représentation nationale et d’un gouvernement démunis de moyens d’action. Celui qui paie est le patron, dit un adage…

Je crois que le gouvernement doit prendre des décisions courageuses, énergiques pour reconstituer sa capacité financière. Je ne suis pas dans un doux rêve ou dans une utopie. Je pense que la maximisation des recettes de l’Etat doit maintenant être effective.

Sous votre présidence à l’Assemblée nationale de transition, une commission parlementaire présidée par le député Christophe Lutundula à mener des courageuses investigations sur les contrats léonins conclus durant les deux guerres. Aujourd’hui, le président de ladite commission et vous-mêmes êtes devenus membres de l’AMP où se trouvent également des personnalités citées en termes peu flatteurs dans le rapport rédigé par cette commission. N’est-ce pas une alliance politiquement immorale?

Le rapport rédigé par la commission Lutundula n’a pas érigé un mur entre les Congolais. Ce document avait pour but de démontrer que des contrats léonins ont été signés à une certaine époque de l’histoire récente de notre pays. L’objectif était non seulement de dénoncer mais aussi de faire en sorte que ce genre d’actes ne se reproduise plus. Il ne faut pas comparer la commission Lutundula à « Zorro » venu rendre justice. Souvenez-vous qu’avant Lutundula, il y a eu un rapport plus éminent rédigé par un panel d’experts des Nations Unies dont on parle mille fois moins aujourd’hui. Je crois qu’il y a une nouvelle attitude. Ces deux documents ont provoqué un électrochoc. Il nous appartient aujourd’hui à en appeler à nos voisins ainsi qu’à ceux qui ont bénéficié de ces contrats à s’associer à la nouvelle politique.

Que dites-vous à ceux qui soutiennent que le soutien occidental à Joseph Kabila s’explique par le souci de garantir la pérennité des contrats querellés?

C’est de l’amalgame. La communauté internationale n’est pas à comparer avec une maffia. En revanche, la communauté internationale mesure combien la stabilité du Congo est bénéfique pour les Congolais et l’espace régional. Il n’existe pas de vision maffieuse au sein de la communauté internationale consistant à encourager l’exploitation illicite des ressources du Congo. Je crois que tout le monde a fait le pari de la stabilité de la RD Congo afin que les partenaires économiques trouvent dans notre pays un espace attractif. C’est ça le vrai défi!

La stabilité a donc préséance sur la bonne gouvernance et le respect des droits et libertés…

Je viens de vous évoquer les grands chantiers autour desquels nous devons rester vigilants. J’ai parlé de la sécurité et de la paix. Sans oublier l’armée et l’Etat de droit. La sécurité juridique et judiciaire est très importante. Nous aurons besoin des partenaires.

La presse internationale fait état d’un trafic frauduleux d’uranium au Congo. Deux personnalités proches du président Kabila ont été citées. Il s’agit d’Augustin Katumba Mwanke et d’un certain John Kahozi. Quel est votre commentaire?

Le chef de l’Etat est une institution. On ne doit pas le mêler dans toutes les sauces. Tout ce que je puis dire est que les pouvoirs publics doivent être vigilants sur cette affaire. Nous devons jouer notre rôle dans un souci de parfaite transparence. Il faut que tout soit dit et que tout soit révélé. Et s’il y a un début de responsabilité quelque part, les pouvoirs publics doivent « frapper », avec une extrême sévérité, ceux qui ont violé la loi. Je crois que le futur parlement pourra conduire une enquête pour édifier l’opinion. En attendant, il ne faut pas jeter à la vindicte populaire des personnalités présumées innocentes.

Qui, selon vous, sera le vainqueur du second tour de la présidentielle?

Nous sommes dans la phase de consolidation de la légitimité du président de la République. Il a obtenu pratiquement 45% de suffrage. Rien n’est encore gagné. Il faut rester prudent et lucide. Il faut convaincre une partie de la population qui reste frileuse. Je n’ai aucun doute que le président Kabila sera élu avec une large majorité.

Et si votre « ami » Jean-Pierre Bemba était le vainqueur?

Nous n’aurons qu’à nous incliner devant les règles démocratiques. Mais la majorité parlementaire telle qu’elle se présente aujourd’hui aura à mettre sur pied un gouvernement efficace. Je me refuse d’envisager une cohabitation.

 

Propos recueillis par B. Amba Wetshi

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