Récit de campagne électorale. Il était passé à Mbandaka…

Wina Lokondo

Wina Lokondo

Mbandaka, jeudi 15 décembre 2018. Coordinateur de la coalition Lamuka pour la province de l’Equateur, je reçois l’appel téléphonique de Pierre Lumbi, directeur national de la campagne électorale de Martin Fayulu, candidat de Lamuka à la présidence de la République. « Monsieur Lokondo, bonjour. Le programme est modifié. Martin arrive demain vendredi à Mbandaka ». Je suis pris de court. Le passage de ce dernier au chef-lieu de la province de l’Equateur était initialement programmé pour le dimanche 18 décembre. Une folle course contre la montre commence. Mais, pour avoir préparé, dans les moindres détails, l’arrivée de « Mafa » plusieurs jours auparavant avec l’équipe que j’avais mise en place, et constituée de délégués de différentes plates-formes de Lamuka, ce n’est pas vraiment les préparatifs matériels de son arrivée qui me préoccupent dans l’immédiat, les tâches à accomplir ayant déjà été attribuées à chaque membre du staff de campagne lors de plusieurs réunions. L’un et l’autre se mettent aussitôt à courir dans toutes les directions de la ville. Locations et achats divers prévus sont urgemment effectués durant toute l’après-midi. Le « tipoï », la particularité que j’ai tenu à donner à la venue de Martin Fayulu à « Ekanga Ngenge », est aussi précipitamment fabriquée. Je me suis refusé à toute improvisation le lendemain. Mon téléphone en permanence à l’oreille, il me fallait tout contrôler, tout vérifier, tout suivre, heure par heure, tant ce qui se réalisait au QG de campagne que les pérégrinations, jusque tard dans la soirée, des « mobilisateurs » à travers différents quartiers de la ville qui, les uns sur des motos et se servant des mégaphones et les autres dans des véhicules sur lesquels étaient accrochés des haut-parleurs à décibels élevés, invitent la population à réserver un accueil chaleureux à Martin Fayulu. Tout devait être prêt au lever du jour. Tout. L’urgence ne nous donna ainsi pas de répit et appela à une cadence militaire. Les adversaires de tous horizons nous attendaient au tournant et se seraient bien régalé de notre échec. Il ne devait donc pas, pour moi, y avoir de temps ni de place à des discussions inutiles, à la nonchalance et à la complaisance. Chacun était invité à s’acquitter de sa tâche, vite et correctement, sans atermoiement.

Ma plus grande inquiétude pour l’arrivée du redoutable adversaire de Ramazany Shadari, le candidat du pouvoir, est plutôt d’ordre sécuritaire. Que faire pour que les malheureux incidents qui ont jalonné les passages de Martin Fayulu dans quelques villes – et où il y a eu mort d’homme – et lesquels ont intentionnellement été « créés » par des autorités politiques, des chefs de la police et des responsables des services de sécurité qui furent à l’aveugle solde du FCC – ne se produisent pas à Mbandaka? Sans tarder, je me décide d’aller voir le général de la police ainsi que le directeur de l’Anr (Agence nationale de renseignement) qui me voient arriver brusquement dans leurs bureaux respectifs. Je les informe de l’arrivée le lendemain du candidat Fayulu. « Je viens vous demander d’user de vos pouvoirs et de prendre, par vos services, toutes les dispositions nécessaires pour non seulement assurer la sécurité physique de Martin Fayulu, mais aussi et surtout pour que son parcours programmé à travers la ville ne soit pas perturbé par des gens mal intentionnés », leur dis-je, d’un ton grave, mais courtois. Une trentaine de minutes après avoir quitté le bureau du directeur de l’Anr, je reçois l’appel de son adjoint chargé des « opérations » qui m’informe qu’une réunion du Comité provincial de sécurité est inopinément convoquée à cet effet deux heures plus tard, à 18 heures, à la résidence officielle du gouverneur, réunion à laquelle je suis convié à prendre part. Je m’y pointe à l’heure dite, accompagné du coordinateur adjoint de Lamuka, Blanchard Mongomba, avocat de profession. Toutes les hautes autorités de la province sont présentes, celles de la police et de l’armée en surnombre. Ces dernières ont conféré seules durant plus ou moins une heure avant que le protocole nous invite à les rejoindre dans la salle de réunion de cette coquette bâtisse coloniale située au bord de la rivière Ruki, aujourd’hui en rénovation après le pillage de ses meubles, rideaux, tapis, lustres et climatiseurs perpétré par les partisans et les proches de l’ancien gouverneur Jean-Claude Baende qui avaient mal digéré sa révocation par le président de la République en 2013. L’atmosphère est pesante. Je redoute personnellement un clash, des échanges tendus avec quelques participants à la réunion que je connais comme des zélés kabilistes et qui, pour moi, sont les potentiels éléments perturbateurs de l’accueil de Fayulu par les mbandakais, des probables « commanditaires » des désordres qui pourraient survenir.

Bien que présent physiquement dans la salle, ce n’est pas le gouverneur qui présidera la réunion! Celui-ci, qui a difficile à s’exprimer correctement en français, laisse la conduite de la réunion au procureur général qui, après quelques mots d’introduction qui appellent à une nécessaire paix politique dans le pays et à la responsabilité de tous de la préserver – propos qui nous apaisent d’entrée de jeu -, nous questionne: « Quelles sont vos nouvelles et quelles sont vos préoccupations? ». Je prends la parole et réalise, à travers les regards graves des uns et des autres fixement dirigés vers moi, l’importance de la réunion et la crainte d’incidents, partagée par tous, à l’arrivée le lendemain de Martin Fayulu. Je redis à l’intention de tous ce que je venais de dire un peu plus tôt au directeur de l’Anr et au général de la police. J’y ajoute une particulière requête: « Je vous prie d’accepter de ne pas mettre dans les rues des policiers en tenue. Déployez-les mais qu’ils ne soient pas en uniforme. J’estime que cela nous éviterait d’éventuelles et réciproques provocations entre ces derniers et la population. Je passerai tout à l’heure à la radio pour m’adresser à elle et l’inviter à avoir un comportement pacifique. Je vous rassure que tout se passera dans le calme ». Le directeur de la Dgm (Direction générale de migration) rejette vigoureusement ma suggestion qu’il estime inacceptable. « La police doit être visible et faire son travail de sécurisation des biens et des personnes ». Sa réaction ne me démonte pas. Je reviens à la charge: « Nous sommes habitués à organiser des marches et diverses manifestations dans cette ville. Nous avons toujours bien tenu nos partisans. Les mbandakais sont pacifiques. Il y a moins d’une semaine, les militants du MLC ont organisé une grande marche. Nous avons fait le tour de la ville sans la présence des policiers. Et il n’y a eu aucun incident. Retenez que nous sommes des natifs de Mbandaka. Quel intérêt avons-nous d’inviter les gens à casser? Croyez-vous que nous pouvons nous permettre d’aller casser les biens de nos propres frères et sœurs? Nous sommes tout autant que vous – et même plus que vous, croyez-nous – soucieux de la paix, de la sécurité des nôtres. Je vous prie d’accepter de ne pas mettre les policiers en tenue demain dans les rues ». Mes mains accompagnent la force de persuasion que je déploie et tapotent à répétition la table, inconsciemment de ma part. Ce qui fait réagir le général Fardc Luboya, avec un léger énervement bien contenu: « Monsieur Lokondo, arrêtez de taper sur la table ». Après quelques échanges relatifs à l’itinéraire et au point de chute du parcours de Martin Fayulu, le procureur général nous remercie, au nom du gouverneur – qui n’a sorti aucun mot durant tout le temps qu’a pris la rencontre! – et de toutes les autres autorités présentes, d’avoir répondu à leur invitation. Nous les quittons avec un pressentiment d’avoir été compris. Et cela a effectivement été le cas parce que, après notre départ, ces dernières ont, après débat, agréé ma suggestion de ne pas mettre des hommes en uniforme dans les rues. Et il n’y en a pas eu lendemain. Au grand enchantement de tous, aucun acte de violence n’a été enregistré.

Il a également fallu, en plus des préparatifs matériels et des nécessaires précautions sécuritaires à prendre, assurer la sensibilisation de la population par les ondes. De la résidence du gouverneur, je descends directement à la radio Liberté, « instrument » de communication du MLC, que je venais de requinquer en lui fournissant quelques nouveaux matériels. J’annonce et confirme l’arrivée de Martin Fayulu. J’invite, comme promis, la population à éviter tout acte ou propos hostile envers la police. Campagne électorale battant son plein, je saisis l’occasion pour « démolir » un à un les grands arguments du programme du candidat du FCC Ramazany Shadari qu’il a développés quelques jours auparavant, lors de son passage à Mbandaka au stade Bakusu. Je ne me suis par ailleurs pas privé, à son endroit et de bonne guerre, quelques critiques ad hominem, ses nombreux dérapages verbaux et comportementaux nous en ayant donné matières à exploiter. Je me suis lancé, par la suite, à vanter les qualités et mérites de Martin Fayulu qui, pour nous, font de lui un président idéal pour la RD Congo. Le grand argument (politique et psychologique) de mobilisation des Mbandakais aura naturellement été le président national du MLC, Jean-Pierre Bemba, à qui ces derniers ont toujours témoigné une particulière affection, pour ne pas parler d’adoration. Je l’exploite sans me faire prier: « Mes frères et sœurs de Mbandaka, vous avez entendu le message commun adressé au peuple congolais par les leaders de Lamuka Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumba. Le président Jean-Pierre Bemba s’est exprimé en lingala et Moïse Katumbi en swahili. L’un et l’autre nous demandent de bien accueillir notre candidat Martin Fayulu et surtout de voter massivement pour lui. Nos compatriotes de l’Est du pays ont bien reçu ce message que leur a adressé ‘leur’ frère Moïse Katumbi en swahili. Vous avez vu comment ils ont massivement accueilli Martin à ses passages à travers toutes les villes de l’Est du pays. Vous devez aussi montrer que vous avez entendu le message que ‘notre’ frère Jean-Pierre Bemba nous a adressé en lingala. Vous devez le prouver en réservant un accueil triomphal demain à Martin Fayulu. Boyokisa Bemba soni te ». En sortant du studio, j’ai la conviction que je viens de faire l’essentiel du boulot, clé de la réussite de l’événement du lendemain: lier, à Mbandaka, le nom de Martin Fayulu à celui de Jean-Pierre Bemba. Mon intervention à la radio, diffusée en boucle durant toute la soirée et très tôt le lendemain matin, fera ses effets les heures qui suivent.

La journée de vendredi 16 décembre s’annonce palpitante. On apporte le « tipoï » à ma résidence, orné de peaux d’animaux qui dégagent une odeur pas agréable à humer. Je demande qu’on les retire. J’exige que la chaise soit fourrée de mousse pour le confort de celui qui est appelé à s’y asseoir et que tous les bois soient couverts d’un joli tissu. Ce qui est fait. Un camion l’achemine aussitôt à l’aéroport. Je me préoccupe, dans ces premières heures du matin, de l’installation du podium au stade Bakusu, point de chute et lieu où Martin Mayulu s’adressera à la population un peu plus tard. Je presse ceux qui travaillent à cela. J’ai choisi de loger ce dernier et l’équipe qui l’accompagne à Nina River, joyau hôtelier de la ville où l’on trouve le nécessaire en termes de confort. Je m’y rends pour m’assurer que toutes les conditions d’accueil sont réunies. José Endundo, membre de Lamuka et candidat député national à Lukolela, se propose, bien qu’absent de Mbandaka pour cause de campagne électorale, d’offrir gracieusement le premier dîner à Martin Fayulu à sa résidence. Un repas pour vingt personnes, me précise-t-il. Je redoute un surnombre des gens qui pourraient s’y inviter. De la nourriture insuffisante ferait jaser quelques « accompagnateurs ». Je mobilise, par acquit de conscience, une petite armée de femmes à ma résidence qui préparent des plats supplémentaires. Je demande à une parente – question de confiance et de « sécurité alimentaire » – de concocter un bon « limbondo » spécialement pour Martin Fayulu.

L’arrivée de ce dernier, qui devait venir de Goma, était estimée à 11h30. Il est un peu plus de 10 heures quand, quittant la résidence de José Endundo où j’ai été m’assurer du bon avancement des « opérations culinaires », Pierre Lumbi m’appelle: « L’avion de Martin vient d’atterrir à Mbandaka ». Il y a eu un malentendu dû au décalage de fuseau horaire. Les abords de l’aéroport sont déjà pleins de monde, mais l’équipe d’accueil n’y est pas encore. J’y file droit à toute allure, suivi de tous les autres camarades de Lamuka. Le candidat Martin Fayulu, l’ancien premier ministre Adolphe Muzito et ceux qui les accompagnent sont restés une vingtaine de minutes à nous attendre à l’intérieur de l’avion. J’y entre. Après excuses et salutations, je leur expose le contexte et le climat de l’accueil. Le tarmac est désert. Comme d’habitude et pour minimiser l’impact de l’accueil de tout leader de l’opposition, ordre a été donné pour qu’il ne s’y trouve pas foule. Ramazany Shadary a pourtant, lui, bénéficié d’un traitement de faveur, moins d’une semaine auparavant, au même aéroport: ses partisans avaient inondé la piste à sa sortie d’avion sans qu’aucun agent de la Dgm ou une autorité de la Rva (Régie des voies aériennes) n’y trouva à redire. Mais il n’a pas fallu longtemps pour que la masse s’impose aux policiers commis à la sécurité de l’aéroport et envahisse le tarmac. Quand je sors de l’avion, je suis étonné et me sens en brusque béatitude de voir, en moins d’une minute, l’aéronef ceinturé par une marée humaine. Et c’est le délire à l’apparition de Martin Fayulu qui monte aussitôt sur le « tipoï » pour une joyeuse entrée dans la ville qu’il parcourt pendant quatre heures à épaules d’hommes qui se relaient après quelques kilomètres de marche. Mbandaka est « tombée », conquise. Les résultats de l’élection présidentielle le confirmeront deux semaines plus tard, après compilation des suffrages exprimés dans les 282 bureaux du vote de la ville: Martin Fayulu 53.146 voix, Emmanuel Shadari 5.467 voix, Félix Tshisekedi 815 voix.

 

Par Wina Lokondo, Cadre du MLC

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