« Transition citoyenne sans Kabila est la meilleure voie pour des élections crédibles et une paix durable »

Le magazine « Toi et Moi » a reçu, ce lundi 12 mars 2018 à Kinshasa, pour vous Me Jean Claude KATENDE, Président National de l’Association Africaine de Défense des Droits de l’Homme, ASADHO en sigle, pour échanger sur la Transition citoyenne Sans Kabila réclamée par certains acteurs de la société civile de la République Démocratique du Congo.

Me Jean Claude KATENDE répond aux questions de Christelle YESALASO pour le compte du Magazine « Toi et Moi ».

Lors de la rencontre sur la mobilisation citoyenne pour le retour à l’ordre constitutionnel tenue à Paris, en France, du 15 au 17/08/2017, vous avez signé avec plusieurs autres acteurs de la société civile congolaise le Manifeste du Citoyen Congolais qui appelle à une Transition Sans Kabila(TSK). Plus de 5 mois après, cet appel est-il toujours pertinent?

Au vu de la situation actuelle, l’appel est toujours pertinent voire urgent. Vous savez que depuis 2014, le Président Joseph KABILA ne cesse de dire que les élections auront lieu et que la Constitution sera respectée. Mais en pratique, plus nous avançons vers les élections, plus elles s’éloignent. Nous avons raté déjà deux rendez-vous pour l’organisation desdites élections en décembre 2016 et en décembre 2017. Le nouveau calendrier fixe la date des élections au 23 décembre 2018, mais il n’y a pas de signaux sérieux qui convainquent que ces scrutins auront lieu au temps indiqué. Même à cette nouvelle date, il apparait clairement que les élections n’ont pas lieu. Il y a quelques jours, le Secrétaire permanent du PPRD, Monsieur SHADARY, a dit qu’on pourrait avoir besoin encore de quelques mois de plus pour organiser les élections. Ceci veut dire que pour le parti au pouvoir, on peut aller au-delà du 23 décembre 2018; ce qui est extrêmement grave. De notre analyse, la volonté effective d’organiser les élections n’existe pas et la donne se complique avec le flou que le Président Joseph KABILA entretient au sujet de sa candidature. Ceci montre qu’il existe une volonté de s’accrocher au pouvoir dans le chef du Président de la République. Tant que s’accrocher au pouvoir sera son objectif principal, l’organisation des élections va être une véritable chimère. Dans un contexte pré-électoral, la tension qui existe dans le pays n’est pas propice à l’organisation d’élections crédibles. Le climat de répression et de violence étatiques qui prévaut au pays contre les citoyens qui exercent leurs droits constitutionnels est un signal négatif. Sans oublier que les mesures de décrispation promises ne sont pas mises en œuvre comme prévu dans l’accord de la CENCO. Il y a des candidats potentiels qui sont en prison ou en exil. Certains medias appartenant aux leaders de l’opposition sont toujours fermés et l’accès aux medias publics est totalement verrouillé. Comment peut-on organiser des élections crédibles dans un tel climat? Dans ce contexte de tension créée et entretenue par le régime du Président Joseph KABILA, il est impossible d’organiser des élections qui offrent les mêmes chances à tous les candidats à l’élection présidentielle. Les uns (majorité présidentielle) ont plus d’avantages que les autres (opposition et indépendant), ce que tout homme épris de justice ne peut pas accepter. Le Président Joseph KABILA et sa majorité sont de véritables blocages à la sortie de crise et à l’organisation des élections crédibles et capables de créer les conditions d’une paix durable en République Démocratique du Congo. Pour assainir cette situation politique et mettre sur le même pied d’égalité les différents acteurs politiques, il est important de mettre en place une transition citoyenne sans Kabila. Cette transition aura pour mission principale de stabiliser le pays sur le plan sécuritaire et d’organiser les élections crédibles. Cette fois ci, nous voulons que le candidat qui sera élu par le peuple congolais soit celui qui sera investi comme président de la République. Cela n’est pas possible avec le régime actuel. Nous ne voulons pas qu’on nous impose un Président comme cela a été le cas en 2006 et en 2011. Celui qui gagne doit être celui qui est investi, pas le contraire.

Certains pays occidentaux dont les Etats Unis et la Grande Bretagne se sont opposés à la Transition Sans Kabila. Leur position n’était-elle un revers contre votre appel de Transition Sans Kabila?

Pas du tout. Je suis conscient que la crise politique au Congo ne peut pas se résoudre sans l’assistance et l’accompagnement des partenaires de notre pays dont les Etats Unis et la Grande Bretagne. Mais il est clair pour moi que les solutions à cette crise doivent être proposées par nous qui sommes les premiers concernés. D’où notre proposition de Transition citoyenne Sans Kabila, une proposition totalement congolaise. Le fait que notre appel pour la « Transition Sans Kabila » ne soit pas accepté par certains de nos partenaires internationaux ne veut pas dire que nous ne sommes pas sur la bonne voie. Je pense qu’il y a lieu de souligner qu’il y a aussi d’autres partenaires internationaux qui soutiennent notre appel. Dans les prochains jours, quand les élections ne seront pas organisées à la date indiquée, ceux qui sont sceptiques comprendront que nous avons raison. Une grande partie de congolais soutient notre appel pour la Transition Sans Kabila et nous en sommes fiers. Nous restons ouverts pour échanger avec les congolais et partenaires qui doutent encore de la pertinence de notre proposition.

D’autres acteurs pensent que la transition qui soit possible est celle prévue par la Constitution, c’est-à-dire que le Président Joseph KABILA remette le pouvoir au Président du Sénat. Qu’en pensez-vous, vous qui êtes partisans du respect intégral de la Constitution?

La Transition prévue à l’article 75 de la Constitution n’est plus possible pour plusieurs raisons. Le Président du Sénat est lui-même hors mandat depuis plusieurs années, même si nous savons que le processus devant conduire à son remplacement ne dépend pas de lui. En plus, le Président du Sénat partage aussi le bilan négatif du régime actuel dont il ne s’est jamais désolidarisé, ce qui lui fait perdre tout crédit auprès des congolais. On ne peut pas confier la transition à une personnalité qui a aidé, par action ou par abstention, le régime actuel à conduire le pays vers la débâcle générale. La transition devra être conduite par une personnalité qui a la confiance du peuple, ce qui lui donnera l’autorité morale nécessaire pour mettre fin aux abus et dérives du régime actuel. Pour nous, la transition conduite par le Président du Sénat est à exclure.

Sur base de quelle disposition de la Constitution, allez-vous mettre en place la Transition Sans Kabila dont vous êtes un des actifs acteurs?

Chaque fois que cette question m’est posée, je me mets toujours à rire. Sur base de quelle disposition de la Constitution, le Président Joseph Kabila dirige l’actuelle transition? C’est l’accord de la CENCO qui a prolongé le règne du Président Joseph KABILA. Ceci veut dire que chaque fois qu’un peuple se trouve devant une impasse, il peut trouver une solution pour s’en sortir. C’est ce qui a été fait lors de l’impasse créée en 2016 par le refus du Président Joseph KABILA de faciliter l’organisation des élections. L’accord de la CENCO qui n’était pas prévu par la Constitution a été la solution pour mettre fin à l’impasse et créer les conditions de retour à l’ordre constitutionnel. Le sabotage de cet accord par le Président Joseph KABILA a créé une nouvelle impasse qu’il faut résoudre. Pour y arriver, nous pensons que la solution, c’est la Transition Sans Kabila. Un accord entre parties congolaises peut mettre en place une telle transition. C’est une question de volonté.

Comment allez-vous procéder pour désigner les animateurs de votre Transition Sans Kabila?

Plusieurs scenarios sont possibles. Sous les auspices de la CENCO ou des Nations Unies, il est possible de créer un cadre qui permette de réunir les parties prenantes pour échanger sur cette question et définir les contours de cette transition et de choisir ses animateurs qui seront tous des acteurs compétents, indépendants et neutres de la société civile. Aucune institution de la Transition Sans Kabila ne sera animée par les acteurs politiques. Ils vont se consacrer à préparer les élections qui seront une des missions principales de la transition.

Au regard de développements politiques actuels, pensez-vous que la classe politique (Majorité Présidentielle et l’opposition) va-t-elle vous laisser mettre en place cette transition citoyenne à laquelle elle ne sera pas associée?

Nous appelons à la Transition Sans Kabila pour donner au Congo des élections crédibles et donner aux partis politiques les mêmes chances. Ce qui n’est pas le cas dans le processus électoral actuel. Tant que beaucoup d’acteurs politiques penseront que les fonctions publiques sont une source d’argent et d’honneur, il sera difficile de les convaincre de ne pas participer à la gestion de la transition. Mais la transition étant mise en place pour préparer les élections crédibles et de donner les mêmes chances à tous les partis politiques, nous ne pensons pas qu’il soit raisonnable d’accepter que les partis politiques y participent, et soient juges et parties. Dans l’intérêt du pays, les partis politiques sont appelés à laisser les acteurs de la société civile conduire la transition sans Kabila. Il faut donner au pays la chance d’éviter le conflit majorité-opposition qui a caractérisée les transitions antérieures.

Les plateformes (G7 et AR) qui soutiennent Monsieur Moise KATUMBI ont déjà déclaré qu’ils ne sont pas d’accord avec la transition sans Kabila. Est-ce que cela ne porte pas un coup à votre appel pour la Transition Sans Kabila?

La Transition Sans Kabila est un appel de la société civile adressé à tous ceux qui sont convaincus qu’avec le Président Joseph Kabila, il est impossible de sortir le Congo de la crise et d’organiser des élections crédibles. Si ces plateformes sont convaincues qu’avec le Président KABILA, nous allons sortir de la crise et avoir une alternance politique pacifique, c’est leur opinion et nous la respectons. Cependant, elles nous offrent l’occasion de nous poser certaines questions:

  • Certains acteurs de ces plateformes ont signé le manifeste du citoyen congolais qui appelle à la Transition Sans Kabila. Comment peuvent-ils dire qu’ils ne sont pas d’accord avec la Transition Sans Kabila du moment où ils ont signé ou adhéré audit Manifeste?
  • Certains acteurs de ces plateformes, anciens membres de la Majorité Présidentielle, avaient dénoncé et quitté la Majorité Présidentielle à cause de tentatives du Président Joseph KABILA de modifier la Constitution et de se maintenir au pouvoir. Est-ce que cette volonté a changé pour qu’ils s’opposent à la Transition Sans Kabila?

Chacun peut répondre à ces questions et tirer ses propres conclusions.

Je vous remercie pour votre disponibilité et pour avoir répondu à nos questions.

 

Propos recueillis par Christelle YESALASO, in « Toi et Moi », 12.03.18
© Congoindépendant 2003-2018

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