Congo-Kin : La Justice militaire en quête de l’honneur perdu

Le verdict du procès, en second degré, sur l’assassinat de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana devait être rendu ce mercredi 23 mars 2022. Une certitude: la décision judiciaire qui sera rendue pourrait de ne pas apaiser les cœurs et les esprits. En cause, la décision arbitraire de la Haute cour militaire de Kinshasa/Gombe de ne pas auditionner l’ex-président « Joseph Kabila » en tant que « témoin ». Au motif que la loi portant statut d’anciens chefs d’Etat l’exonère de toutes poursuites. Qui a parlé de poursuites? La justice militaire congolaise n’a pas bonne presse. Depuis l’assassinat non-élucidé à ce jour de Mzee LD Kabila, les juges et magistrats militaires sont accusés, plus à raison qu’à tort, d’être inféodés à la hiérarchie politico-militaire. Ce procès inachevé n’a pas empêché le général Nawele Bakongo, président de la Cour d’ordre militaire, de déclamer les 135 condamnations alors que le doute devait profiter aux inculpés. A Kananga, la Cour militaire de cette garnison a refusé, cinq années durant, l’audition des personnalités politico-administratives réclamées par les avocats de la défense dans le procès sur l’assassinat des experts onusiens Zaida Catalan et Michaël Sharp. Pour la petite histoire, le juge-président de cette dernière juridiction sera promu au grade de Général en cours du procès.

« Monsieur le Président, je persiste et signe: c’est l’ancien président Joseph Kabila qui avait ordonné l’assassinat de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana ». Cette déclaration a été faite au début de ce mois de mars 2022 par le témoin Paul Mwilambwe que l’on ne présente plus. C’était devant la Haute Cour militaire de Kinshasa/Gombe. L’officier de police Mwilambwe est un homme qu’on ne présente plus. Sauf pour dire qu’il a assisté – en sa qualité de responsable de la sécurité des installations de l’Inspection générale de la police nationale congolaise – à la mise à mort de Floriberty Chebeya et Fidèle Bazana.

Il faut saluer le changement intervenu le 24 janvier 2019 au sommet de l’Etat. L’arrivée au pouvoir suprême d’un nouveau Président de la République, en l’occurrence Felix Tshisekedi Tshilombo, a permis l’avènement d’une ambiance libérale propice à un procès équitable. Les prévenus se sont exprimés librement. Les témoins, mêmement. C’est le cas particulièrement de Paul Mwilambwe qui est rentré volontairement de l’exil pour dire sa part de vérité. Le représentant du ministère public et les juges sont apparus moins arrogants tout au long des débats.

Le verdict, en second degré, de ce procès risque de laisser un arrière-goût d’inachevé comme en mars 2011. Et ce pour trois raisons. Primo: Christian Ngoy Kenga Kenga – qui est désigné par tous les protagonistes comme étant le « commandant de l’escadron de la mort » ayant exécuté l’ordre « manifestement illégal » d’éliminer Chebeya et Bazana – est resté muet comme une carpe durant tout le procès. Secundo: John Numbi, en fuite, n’a pas comparu. En 2011, la Cour avait décidé, de manière autoritaire, de l’auditionner uniquement en tant que « simple renseignant ». Cette fois, l’homme devait comparaitre comme « prévenu ». Enfin: le refus de la Cour d’auditionner « Joseph Kabila » en qualité de « témoin » n’a pas permis de cerner la « motivation » du crime et d’identifier le commanditaire.

L’ORDRE DE LA « HAUTE HERARCHIE »

Lors des débats devant cette juridiction, tous les prévenus et témoins ont abondé dans le même sens:

  • L’ordre d’éliminer Floribert Chebeya a été transmis au colonel Daniel Mukalay par l’inspecteur général de la police nationale, John Numbi Banza. C’était le 31 mai 2010. Le rendez-vous fatal avec le directeur de la « VSV » fut fixé le lendemain, 1er juin 2010 à 17h30.
  • L’exécution matérielle de l’ »opération » fut confiée au major Christian Ngoy Kenga Kenga et son « équipe » où l’on trouvera notamment Jacques Mugabo, Hergile Ilunga et consorts. La suite est connue avec la découverte du corps sans vie de Chebeya sur la banquette arrière de sa voiture au Quartier Mitendi. Les restes de Fidèle Bazana n’ont jamais été retrouvés à ce jour.

Qui a commandité ce double assassinat? Pourquoi? Voilà deux questions cruciales. La réponse à la première interrogation a été donnée début mars 2022 par Paul Mwilambwe comme cité précédemment. L’homme n’a jamais varié sa version. D’ailleurs, dans une interview accordée à RFI, il ajoutera ces mots: « Le major Christian Ngoy m’avait dit que l’ordre émanait de la haute hiérarchie et que je devais me taire ».

John Numbi Banza est certes l’autorité hiérarchie qui avait instruit ses hommes. Il passe, de ce fait, pour le suspect numéro un. Avait-il une « motivation profonde » pour ôter la vie au très célèbre directeur de l’ONG « La Voix des sans Voix pour les droits de l’Homme »? Avait-il le pouvoir de mobiliser une dizaine d’officiers et sous-officiers de police pour régler un compte personnel avec ce défenseur des droits humains? On peut franchement en douter. Le mobile du crime et le commanditaire sont sans doute ailleurs.

UN ILLUSTRE INCONNU SUCCÈDE A LD KABILA

Le 16 janvier 2001, le président Laurent-Désiré Kabila meurt dans son bureau au Palais de marbre. L’énigme criminelle n’a jamais été élucidée. Chebeya faisait partie de ces Congolais qui refusaient et refusent encore aujourd’hui de croire à la version officielle imputant le meurtre du chef de l’Etat à un des gardes du corps. Chebeya faisait également partie des Congolais qui accueillirent, avec stupeur, l’avènement, à la tête de l’Etat, d’un illustre inconnu nommé « Joseph Kabila ».

A l’instar de ses compatriotes les mieux informés, « Floribert » savait que Mzee Kabila et « Joseph » ne s’étaient plus adressé la parole après la prise de la localité de Pweto, au Katanga, par les « rebelles » pro-rwandais du RCD-Goma. C’était en décembre 2000. Accusé de trahison en tant chef d’état-major des forces terrestres, le général-major « Kabila » fut placé en résidence surveillée. Dans son ouvrage « La mort de LD Kabila: Ne nie pas c’est bien toi » (publié aux éditions Vérone), l’ex-garde du corps, Georges Mirindi, écrit notamment que le Mzee Kabila voulait faire fusiller « Joseph ». Il n’aurait eu la vie sauve que grâce l’intervention du gouverneur du Katanga d’alors, Augustin Katumba Mwanke.

Le verdict du procès sur l’assassinat de LD Kabila intervenu en mars 2003 a laissé l’opinion congolaise sceptique. Dès 2004, la « VSV » a demandé la réouverture d’un nouveau procès tout en mettant en doute la culpabilité des 135 condamnées embastillés à Makala. Ce dossier constitue sans doute le premier élément du « contentieux » entre « Joseph Kabila » et Chebeya.

LE BLASON TERNI DE LA JUSTICE MILITAIRE

En 2007 et 2008, sur ordre du président « Kabila », le « bataillon Simba » est déployé au Kongo-Central actuel. Mission: « écraser un mouvement insurrectionnel ». Plus d’une centaine d’adeptes du mouvement politico-religieux Bundu dia Kongo vont rester sur le carreau. Un massacre. Sous la direction de Chebeya, la « VSV » lèva l’option de saisir la justice congolaise. Au banc des accusés: Denis Kalume Numbi (ministre de l’Intérieur), John Numbi Banza, le colonel Raüs Chalwe et le major Christian Ngoy Kenga Kenga, commandant du « Bataillon Simba ». Les démarches n’aboutirent guère.

En mars 2010, Chebeya, qui était manifestement sous la « surveillance » des renseignements généraux de la police change de fusil d’épaule. Il décide de saisir la justice internationale. Il signe son arrêt de mort. « Floribert Chebeya et la VSV transmettaient à la communauté internationale des rapports contre le régime du Raïs », confiait un des policiers fugitifs.

En refusant d’auditionner « Joseph Kabila » en tant que témoin dans l’assassinat de Chebeya et Bazana, la justice militaire congolaise a confirmé sa réputation sulfureuse d’une justice sous influence.

Le 2 mars 2021, le général Lucien-René Likulia Bakumi a été nommé auditeur général des Forces armées de la RDC. Pourrait-il faire oublier son prédécesseur? Une année après, les juges et magistrats militaires sont loin de redorer le blason terni de la justice militaire.


Baudouin Amba Wetshi

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