Dans le cadre de l’arrêt, dont question, portant requête aux fins de règlement d’un conflit d’attribution de compétence entre une juridiction de l’ordre administratif sur l’ordonnance en référé et celle d’ordre judiciaire sur le jugement devenu définitif, notre approche vise d’éclairer, un tant soit peu, les praticiens du droit sur le respect de la légalité de procédure entreprise tant par le Conseil d’Etat, le Tribunal de Grande Instance de Kinshasa-Gombe que par la Cour constitutionnelle. Celle-ci a été appelée, en effet, à l’arbitrage dans la détermination du juge compétent matériellement de statuer sur le litige portant conflit relatif à la procédure de l’élection d’un des membres ou organes de la « FEC » (Fédération des entreprises du Congo).
L’enjeu juridique est très important d’autant que c’est une première dans les annales judiciaires congolaises où les juges sont confrontés à un conflit des deux juridictions de l’ordre différent dans une même affaire, à savoir: une ordonnance en référé du juge administratif et un jugement de l’ordre judiciaire se disputant la compétence matérielle comme le soutient à ce sujet le professeur Vincent Kangulumba Mbambi dans l’annotation du jugement dudit Tribunal de Grande Instance le 20 décembre 2020 ( V. Kangulumba Mbambi, » Note sous Trib. Gde Inst, Kin-Gombe », RC 119. 662, 20 décembre 2020, in Revue de droit africain, no 98-2021, pp. 351 et suivant).
En effet, le conflit d’attribution de compétences matérielles susvisé porte essentiellement sur l’organisation de l’assemblée générale élective du président du conseil d’administration de la » FEC » que sieur Dieudonné Kasembo Nyembo conteste, pour cause d’illégalité, les textes visant l’élection du président du conseil d’administration en vertu de l’article 23 des statuts de la » FEC » ainsi que de son règlement intérieur lesquels prévoient le dépôt des candidatures au secrétariat général pour la transmission au comité des sages en vue d’entérinement d’un des candidats par consensus et ensuite, procéder à l’élection à mainlevée. .
A preuve de cette contestation, sieur D. Kasembo préqualifié a saisi en référé le Conseil d’Etat aux fins des mesures conservatoires et urgentes relatives au maintien de la date du 26 novembre 2020 pour l’élection de président du conseil d’administration de la « FEC ».
Or, le Tribunal de Grande Instance de Kinshasa-Gombe, saisi par sieur Albert Yuma, s’était déjà déclaré compétent pour le règlement du conflit en ordonnant, par voie de jugement, la suspension des délibérés et décisions et ce, à titre conservatoire, de la séance électorale du Conseil d’administration de la » FEC » prévue au 23 décembre 2020 ( Voy, Arrêt de la Cour constitutionnelle, le 15 janvier 2021, Ordonnance en référé du Conseil d’Etat, le 27 novembre 2020, et enfin le jugement du Tribunal de Grande Instance de Kinshasa-Gombe, le 20 octobre 2020, in Rev. de Dr. Afric, no 98-2020, pp. 320 et suiv) .
En droit administratif, le conflit tel qu’élevé est dit positif pour autant qu’il soit déclinatoire de compétence du fait qu’il débute par celui-ci. Il est ainsi différent de conflit des décisions portant contrariété des jugements. C’est ainsi que ces conflits d’attribution, prévus à l’article 161 de la Constitution, 65 et suivants de la loi organique du 15 octobre 2013 sur l’organisation et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle, consistent en effet en ce que, sur une même affaire deux décisions notamment les arrêts rendus soit par la Cour de cassation soit par la Conseil d’Etat, uniquement, tant qu’ils se prononcent sur l’attribution du litige relevant des juridictions de l’ordre judiciaire ou administratif, après s’être rendus tous deux soit compétents soit incompétents, ont rendu sur le fond deux décisions contradictoires pour une même demande mue entre les mêmes parties. De cette contradiction, le particulier se trouve victime: il subit un préjudice équivalent au déni de justice ( De Laubadère ( A ), Venezia ( JC) et Gaudemet ( Y ), » Traité de droit administratif », t. I, 14ième édition, L. G. D.J, Paris, 1996, no 599, p. 442).
Examinant l’arrêt de la Cour constitutionnelle dont question dans le litige susmentionné, nous y relevons, en liminaire, que la Cour semble s’être méprise sur la notion juridique de l’ordonnance en référé rendue par le Conseil d’ Etat. Celle-ci est, en effet, une décision juridictionnelle mais revêtant un caractère provisoire et conservatoire, simplifié, contradictoire et urgent sans préjuger de fond du litige, et dépourvu, du reste, de l’autorité de la chose jugée de sorte que le juge du fond n’y est pas lié (Rubbens ( A ), « Le droit judiciaire congolais », t, I, Larcier, Bruxelles, 1970, no 84, pp. 121 et 122.). C’est contrairement à l’opinion émise par ladite Cour de l’avoir homogénéisée au même titre qu’un arrêt ou un jugement d’une juridiction établie statuant sur le fond du litige. C’est ce qui ressort de la lecture serrée de l’article 161 de la Constitution, 65 et suivants de la loi organique no 13-026 du 15 octobre 2013 sur l’organisation et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle. Elle procède, ainsi donc, à ce distinguo tout en affirmant que le conflit élevé doit être porté sur la décision définitive sur incident déclinatoire de compétence matérielle préjugeant de fond du litige.
Ensuite, la Cour constitutionnelle et le Tribunal de Grande Instance de Kinshasa-Gombe ne se sont-ils pas, également, mépris sur la nature juridique de la « FEC ». L’article 17 de la loi de 2001 sur les ASBL ainsi que sur les Etablissements d’utilité publique portant compétence matérielle dudit Tribunal de Grande Instance dont ils se prévalent en cas du litige survenu au sein de la » FEC » ne vise que les ASBL, et non pas, les Etablissements d’utilité publique qu’est la « FEC » et ce, en vertu de l’article 58 de ladite loi de 2001. Car, de par l’effet juridique de ses statuts révisés et coordonnés en mars 2011 en l’article 3 points 1 et 2 , l’ objet social vise de promouvoir l’activité économique en harmonie de bien commun, chargée d’assurer la défense des intérêts des Entreprises membres, d’assurer pour l’établissement d’un climat favorable entre Entreprise, ses travailleurs et leurs organisations syndicales, de représenter les Entreprises auprès des pouvoirs publics, des organismes étrangers, d’assurer les activités industrielles, minières, agricoles, commerciales, sociales, artisanales, et enfin de favoriser toute action de nature à promouvoir la formation et la recherche scientifique pour le développement intégrée de la nation. Or, l’objet social tel que décrit est compatible avec l’article 58 de ladite loi de 2001 sur les ASBL et Etablissements d’utilité publique au point que même la doctrine et la jurisprudence du Conseil d’Etat français, au vu du critère tiré, soit de l’initiative de la création venue des pouvoirs publics par l’action conjuguée des Entreprises publiques où l’ Etat est l’unique actionnaire, la « FEC » est un Etablissement d’utilité public, soit du critère tiré des prérogatives de puissance publique d’exercer le monopole de la représentation des Entreprises à caractère commercial, elle est réputée Etablissement public ( De Laubadère ( A ), Venezia ( J C) et Gaudemet ( Y ), op. cit , t I, no 403, pp. 273 et 274. et jurisprudence citée). .
Quant au Conseil d’ Etat, il n’est pas, non plus, à l’abri des critiques d’ordre juridique. En effet, l’ordonnance en référé-liberté, bien que rentrant dans sa compétence matérielle en raison de la nature juridique de l’annulation pour violation des décisions des organes nationaux des ordres professionnels prévus à l’article 85, 280 et 284 en qualité d’un Etablissement d’utilité publique, est prise en violation de l’article 53 de la loi organique no 16-027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif en ce qu’elle n’ a pas été soumise au préalable à la plénière de trois magistrats présidée par le 1ier Président du Conseil d’Etat du fait de l’exception du déclinatoire de compétence matérielle soulevée in limine litis par la partie défenderesse .
Enfin, s’agissant du Tribunal de Grade Instance de Kinshasa-Gombe, non seulement , matériellement il est incompétent en raison de la nature du litige ne rentrant pas dans les prévisions de l’article 17 de la loi de 2001 sur les ASBL et les Etablissements d’utilité publique, mais aussi, son argumentaire accuse, de manière générale, un déficit notoire de toilette renfermant de longues phrases déroutantes sans égard aux règles grammaticales, ce qui suggère toute dimension d’une lecture fastidieuse et inintelligible dans l’ordre de la saisine, de l’instruction et de la juridiction : un méli-mélo.
Conclusion:
Il sied d’affirmer de ce qui précède que la Cour constitutionnelle aurait dû se déclarer incompétente matériellement, le conflit d’attribution des compétences matérielles lui soumis ne rentrant pas dans les prévisions de l’article 161 de la Constitution, 65 et suivants de la loi organique du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la cour constitutionnelle mises en combinaison avec l’article 58 de la loi de 2001 sur les ASBL et les Etablissements d’utilité publique. Il en est de même du Tribunal de Grande Instance de Kinshasa-Gombe dont l’article 17 de la loi de 2001 sur les ASBL et Etablissements d’utilité publique y vanté n’est pas d’application, l’article 85 de loi de 2016 sur les juridictions de l’ordre administratif, mis en combinaison avec l’article 58 susmentionné, régissant pareille compétence matérielle sur le fond devant le Conseil d’Etat.
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Richard Tony Ipala Ndue-Nka,
Directeur juridique honoraire à la GECAMINES-BRUXELLES,
Membre du Comité scientifique de la Revue de Droit Africain,
Conseiller honoraire à la Cour d’appel de