Africa Raft: Qu’est ce qui fait courir la famille Dieuleveult?

Il y a trente-sept ans disparaissait Philippe de Dieuleveult, le célèbre animateur de l’émission « La chasse aux trésors » – produite par la 2ème chaine publique française – dans les rapides du fleuve Zaïre dans la province du Bas-Zaïre, rebaptisée Kongo Central. Depuis trente-sept ans, la famille du regretté animateur conteste la thèse officielle de « mort par noyade ». Elle s’accroche mordicus à l’allégation selon laquelle Dieuleveult « a été victime d’une bavure militaire » de la part des soldats de Mobutu. Question: quelle est la motivation profonde des membres de la famille de Dieuleveult? Est-ce le souci de « vraie vérité »? Et si ce n’était qu’une « affaire de gros sous ». Une certitude: Mobutu Sese Seko n’avait aucun mobile pour faire éliminer l’animateur de l’ex-Antenne 2 qu’il connaissait bien. Photo Jean-Claude Deutsch/Paris Match.

Dans son édition datée du 20 novembre 2022, le quotidien bruxellois « La Libre Belgique » titre: « Philippe de Dieuleveult: enfin la vraie vérité? » Le journal rapporte qu’Alexis de Dieuleveult, neveu du célèbre animateur français, vient de sortir une « version augmentée » de son livre « Noyade d’Etat » paru en 2020.

La « noyade » est, en effet, la version officielle des autorités tant zaïroises que françaises de l’époque. « Avec de nombreuses pièces nouvelles à l’appui, note cette publication, il démonte la thèse de l’accident. Il dénonce une bavure militaire et le rôle des services secrets dans cette affaire ».

AFFIRMATIONS NON-ETAYÉES

En fait de « pièces nouvelles à l’appui », Alexis de Dieuleveult se livre à des affirmations non-étayées par des éléments matériels. « Mon père [Jean de Dieuleveult, frère du disparu, Ndlr], confie-t-il à La Libre Belgique, s’est rendu sur place [au Bas-Zaïre, Ndlr]. A peine arrivé à Kinshasa, il a tout de suite senti qu’on lui cachait la vérité, qu’on lui mentait ». Pas un mot sur les personnes rencontrées par son père. « Nous sommes convaincus que Philippe a accosté vivant sur les berges, qu’il a été arrêté puis assassiné. Rien ne dit en revanche que, sur les six autres membres, certains ne se sont pas noyés. Mais à nouveau, les corps n’ont pas été retrouvés ».

A en croire Alexis de Dieuleveult, il « a été » reçu par Roland Dumas, ministre français des Affaires étrangères à l’époque. D’après lui, ce dernier « a commencé à s’ouvrir et à reconnaitre que c’était une affaire d’Etat ». L’ex-chef de la diplomatie hexagonale aurait, soutient-il, reconnu « la présence de bandes armées au bord du fleuve Zaïre le 6 août 1985 ». Des bandes armées qui « auraient pu » tuer l’équipe. Une formulation évoque de la part d’un ancien ministre d’un poste régalien.

Alexis de Dieuleveult qui prétend avoir eu accès aux archives de l’ambassade de France à Kinshasa, assure que la France avait « alerté Kinshasa d’une menace d’attaque sur le barrage d’Inga ». Et de poursuivre: « Suite à ce message envoyé par un service français, les Zaïrois ont mis en alerte leurs hommes. L’expédition Africa Raft est devenue une expédition de mercenaires qui voulaient attaquer le barrage ». Ouf! On se croirait dans un film d’espionnage.

NOYADE OU BAVURE MILITAIRE?

Le 6 août 1985, deux citoyens français, Jean-Louis Amblard et le docteur François Laurenceau sont emmenés auprès des autorités locales de la province du Bas-Zaïre par un pécheur. Les deux Européens étaient porteurs de deux messages du ministère zaïrois des Affaires étrangères à l’ambassadeur du Zaïre au Burundi. Les deux dépêches diplomatiques précisaient que l’expédition « Africa Raft » était autorisée par le Conseil exécutif (gouvernement). Le matin de la descente du fleuve, Amblard et Laurenceau, conscients du danger, avaient renoncé à l’expédition. Ils étaient restés sur l’Ile aux hippopotames. C’est ici que la nouvelle de la disparition de l’animateur Philippe de Dieuleveult tombe comme un coup de tonnerre.

Dans un rapport rédigé par le vice-gouverneur du Bas-Zaïre d’alors, Mwenelwata Isungapala, on peut lire notamment: « Lundi 5 août 1985, le citoyen Kinkela Sungu, pécheur résidant au camp Molokay à Inga, aperçoit neuf Blancs à bord de deux embarcations pneumatiques vêtus d’équipements de navigation sur le fleuve Zaïre en amont du complexe hydro-électrique d’Inga ». « De leur contact avec le citoyen, poursuit le vice-gouverneur, ces Blancs ont déclaré qu’ils venaient du Burundi et se dirigeaient vers Banana via Matadi ». Les neuf Européens voulaient s’assurer qu’ils se trouvaient effectivement à Inga.

« ENQUÊTES »

Dans un article publié le 21 septembre 1994 sous la plume d’Alain Frilet, le quotidien français « Libération » rapporte qu’un ancien officier de renseignement zaïrois [Okito Bene Bene, Ndlr] affirme dans un ouvrage « Africa Raft » que Philippe de Dieuleveult et ses compagnons « avaient été emmenés et interrogés avant d’être exécutés dans la nuit du 8 août ». D’après lui, « tous les membres de l’expédition ont été exécutés ». Qu’en est-il de Laurenceau et Amblard ayant renoncé à l’expédition?

En octobre 2008, la journaliste Anna Miquel du trimestriel français « XXI » entre dans la danse. Après un voyage au Zaïre, rebaptisé Congo-Kinshasa, la dame est catégorique: Philippe de Dieuleveult et les autres membres de cette expédition « ne sont pas morts par noyade. Ils ont été arrêtés par les services secrets zaïrois et exécutés, après interrogatoire, par des membres de la Division spéciale présidentielle sur ordre de Mobutu ». Motif: espionnage. L’histoire ne dit pas qui avait financé le voyage et les frais de séjour de la journaliste à Kinshasa. L’histoire ne dit pas non plus l’intérêt que cette dernière devait promouvoir en achetant un faux « Procès-verbal d’audition » au prix de 150 $ US. Ledit « PV » était revêtu d’une fausse signature scannée de Philippe de Dieuleveult (voir l’OBS du 31 octobre 2009).

Dans une dépêche datée du 25 juin 2009, l’AFP, citant l’avocat de la famille du célèbre animateur, annonce l’ouverture le 25 mai de cette même année d’une enquête préliminaire « pour éclaircir les conditions de la mort » de Philippe de Dieuleveult. L’Agence de rappeler qu’en octobre 2008, Jean de Dieuleveult [décédé, frère de l’animateur, Ndlr] avait demandé la réouverture du dossier après la publication par le magazine trimestriel « XXI » d’une enquête démentant la thèse officielle de « la mort par noyade ». Tiens! Tiens!

Spécialiste autoproclamée ès questions zaïro-congolaises, la journaliste belge Colette Braeckman est tombée dans son propre piège. Dans un article du « Soir » de Bruxelles, daté du 1er juillet 2008, notre « spécialiste » se prend pour l’Inspecteur Colombo. Elle lance: « Philippe de Dieuleveult avait fait part au président Mobutu de son projet de traverser les rapides d’Inga ». Jusque-là, on cherche en vain le scoop. Elle poursuit: « Mobutu aurait déclaré qu’il ne pourrait pas garantir sa sécurité au motif que le Bas-Congo était un site stratégique ». Braeckman semble considérer que les Africains – pour ne pas dire les Noirs – en général et les Congolais en particulier sont prêts à croire en n’importe quelle fabulation. Pas besoin de démontrer ce que l’on affirme. Il importe d’ouvrir la parenthèse ici pour rappeler que dans son ouvrage « Le Dinosaure », publié chez Fayard, « Colette » avait donné un bilan pour le moins imaginaire de 347 étudiants tués par des éléments de la garde présidentielle de Mobutu. Trente-deux ans après, les parents des « victimes » demeurent toujours invisibles. Fermons la parenthèse.

MOBUTU CONNAISSAIT BIEN PHILIPPE de DIEULEVEULT

Les « enquêtes » menées tant par Okito Bene Bene, Anna Miquel que Colette Braeckman ont éludé sciemment quatre faits essentiels. Primo: Philippe de Dieuleveult n’était pas un inconnu au Zaïre de Mobutu. En juin 1984, l’animateur y avait réalisé l’émission « La chasse aux trésors » dans la même province du Bas-Zaïre [Kongo Central]. Dieuleveult et son équipe avaient bénéficié d’un important appui logistique de la Force aérienne zaïroise. Un hélicoptère Alouette fut mis à sa disposition. Secundo: c’est à cette occasion que l’animateur aura l’idée de « défier » les rapides d’Inga. Tertio: sur instruction du président Mobutu, le chancelier de l’ambassade du Zaïre à Bruxelles – qui n’était autre que le futur ambassadeur Jean-Pierre Kimbulu Moyanso – va délivrer les visas de voyage à Dieuleveult ainsi qu’aux membres de l’expédition.

Philippe de Dieuleveut fut un agent de réserve de la DGSE? Sans doute. La DGSE n’a jamais été assimilée au KGB. Depuis son accession à l’indépendance, le Congo-Zaïre n’a jamais considéré la France comme un Etat hostile. Les services secrets des deux pays ont toujours entretenu une réelle « coopération ».

Les « investigations » précitées ont manifestement été menées « sur commande ». Et si la raison profonde du « bailleur de fond » n’était qu’une banale affaire d’assurance-vie à encaisser à la condition que la cause du décès soit « l’assassinat » et non la « noyade »? Il est vrai que les assureurs en horreur toute forme de négligence. La noyade renvoie à la négligence voire à l’inconscience.

Quarto: le président Mobutu Sese Seko n’avait aucun mobile pour faire exécuter Philippe de Dieuleveult dont l’émission réalisée en juin 1984 avait plutôt « servi » l’image de son régime.


Baudouin Amba Wetshi

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