ANR: L’énigmatique interpellation de Didier Budimbu

Ministre en charge des Hydrocarbures, Didier Budimbu Ntubuanga a été interpellé le mardi 12 avril par l’Agence nationale de renseignements (ANR) comme un « vulgaire délinquant » avant d’être relâché dans l’après-midi de jeudi 14. Et ce après plusieurs heures d’audition. L’homme a repris immédiatement ses fonctions comme si de rien n’était. Quel désordre! Dans le compte-rendu du Conseil des ministres de vendredi 15 avril, le sujet n’est même pas mentionné. La réunion s’est déroulée en visioconférence sous la direction du chef de l’Etat. Quels sont les faits reprochés à ce fidèle d’entre les fidèles de Felix Tshisekedi? Mystère! Les gouvernants congolais se considèrent-ils exonérés de l’obligation de rendre compte aux citoyens au service desquels ils travaillent? Devrait-on comprendre, qu’à l’avenir, l’ANR est autorisée à interpeller qui elle veut, quand elle veut sans fournir de justification à l’opinion? Au nom de quel principe?

« La communication est la base de la vie en société », écrit Martial Pasquier dans son ouvrage « Communication publique » (éditions De Boeck). A l’heure de la démocratie où chaque fait doit être justifier mais aussi expliquer devant l’opinion, aucune institution privée ou publique ne peut se passer d’un canal de contact avec la masse. Il s’agit d’entretenir la confiance par l’information. Inutile d’ajouter que la communication est un facteur de paix sociale.

Mardi 12 avril, une certaine « paix sociale » a été perturbée. En cause, l’interpellation, par l’ANR, d’un membre du gouvernement. Il s’agit du ministre des Hydrocarbures, Didier Budimbu Ntubuanga. Aucune information n’a été diffusée pour justifier ou expliquer cet acte spectaculaire qui a été divulgué grâce aux réseaux sociaux. Les médias officiels (RTNC et l’Agence congolaise de presse) ont brillé par leur mutisme habituel. La Présidence de la République et la Primature, mêmement. Question: les actes posés par l’ANR seraient-ils estampillés « sujet tabou »?

Relâché le jeudi 14 avril dans l’après-midi, le ministre a participé, le lendemain vendredi, au Conseil des ministres. Comme si de rien n’était. La réunion, en visioconférence, était présidée par le chef de l’Etat.

« L’HONNEUR ÉCORNÉ » D’UN MINISTRE

Plus de soixante années après l’accession du Congo-Kinshasa à l’indépendance, les pouvoirs publics s’estiment-ils exonérés de l’obligation de rendre compte aux citoyens? L’arrestation d’un membre du gouvernement en exercice serait-il un fait anodin? Quid de « l’honneur écorné » dudit ministre? Didier Budimbu ne devait-il pas rendre le tablier pour préserver le peu d’honneur qui lui reste? Après tout, c’est lui-même qui devrait apprécier.

En attendant, les soupçons sont toujours là! Les versions s’entrechoquent. Selon des sources proches du principal intéressé, « le ministre Budimbu paie cher les effets des réformes qu’il mène. Ces réformes ont touché les intérêts de quelques intouchables ». D’autres sources font état d’un détournement présumé de 243 millions de dollars. Ce n’est pas tout. « Didier Budimbu a été auditionné au sujet de ses contacts avec quelques individus dangereux pour la sécurité nationale », dit-on ici et là. « Si les faits reprochés à ce membre du gouvernement étaient fondés, c’est très grave. Si ces faits n’étaient pas fondés, c’est tout aussi grave », commente un juriste kinois.

Dans son édition en ligne datée du 14 avril, l’hebdomadaire parisien « Jeune Afrique » allègue que Budimbu a été relâché « à la demande » du président Felix Tshisekedi. Une information qui n’a jamais été démentie par les officiels. Le premier magistrat du pays est exposé aux critiques. D’aucuns le suspectent « d’instrumentaliser les services au gré de ses intérêts ».

L’ANR, UN ETAT DANS UN ETAT

L’Agence nationale de renseignements a été créée aux termes du décret-loi n°003-2003 du 11 janvier 2003. Placée sous la tutelle du Président de la République, l’ANR est chargée de « veiller à la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat ». La lutte contre la drogue, la fraude, la contrebande, le terrorisme et la « haute criminalité économique » font partie de ses compétences. On peine à trouver l’infraction ayant conduit l’Agence à ordonner l’interpellation du ministre Budimbu.

L’interpellation, le 5 février dernier, de l’ancien conseiller spécial du chef de l’Etat n’a pas grandi l’image de l’ANR. Bien au contraire. L’Agence a renoué avec sa redoutable réputation d’Etat dans un Etat. Bref, une « police politique ». François Beya a été « gardé à vue », dans les installations de l’Agence, durant près de 60 jours, au lieu du délai légal de 48 heures.

Vu de l’assistance lors de la sortie de la « Dynamique Fatshi Président ». La future première dame, Denise Nyakeru, était présente.

A tort ou à raison, des observateurs croient dur comme fer que l’ANR – qui est censée surveiller les menaces qui planent sur la sécurité nationale – procède à des arrestations avant de réunir des éléments de preuve. Les enquêtes ne sont ouvertes qu’après la détention. Adieu « l’humanisation des services » promise par le chef de l’Etat au lendemain de son investiture.

« DYNAMIQUE FATSHI PRÉSIDENT »

Ceux qui ont eu l’occasion de côtoyer Didier Budimbu estiment que l’homme « est victime d’une cabale ». C’est le samedi 3 novembre 2018 que « Didier » est sorti de l’anonymat. Deux mois avant l’organisation de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018, ce jeune homme, accompagné de quelques amis, a lancé une sorte de « Comité de soutien » à Felix Tshisekedi dénommé « Dynamique Fatshi Président ». La manifestation s’était déroulée dans un grand hôtel bruxellois. La future première dame était présente.

Contacté par Patrick Ndjolo pour couvrir cet événement, l’auteur de ces lignes s’y est rendu avec des pieds de plomb. A l’époque, personne ne pensait sérieusement que Felix Tshisekedi avait rendez-vous avec un destin présidentiel. Budimbu et ses amis débordaient d’ardeur. Ils affichaient une foi inébranlable en leur « candidat ».

Le 24 janvier 2019, « Felix » est investi à la tête de l’Etat. Promu vice-ministre de l’EPST (Enseignement primaire, secondaire et technique), Budimbu, de passage à Bruxelles, accorda une interview à Congo Indépendant. C’était le 27 janvier 2020. Egal à lui-même, il a eu ces mots: « nous avions la conviction que les cœurs des électeurs battront au rythme de ‘Fatshi Président’. Sans lui, la suite aurait été compliquée. Nous avons cru en lui à cent pour cent ».

Quels sont finalement les faits reprochés à ce « fatshiste pur et dur »? Détournement présumé de 243 millions USD? Atteinte à la sécurité de l’Etat? « L’interpellation sans explication ni justification d’un ministre en fonction – intervenu après l’arrestation du conseiller spécial François Beya – incline à penser que l’ANR est à nouveau autorisée à arrêter n’importe qui pour n’importe quoi », commente un député joint dimanche soir à Kinshasa. Question finale: Après le ministre Budimbu, à qui le tour?


B.A.W.

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