Bemba, Babala et al. vs CPI: une requête en révision devant la Chambre d’appel de la CPI demeure depuis le 8 juin 2018 la voie manquée pour le réexamen et l’annulation de la condamnation pour subornation de témoins

Quid de l’appel du nouveau jugement sur les peines rendu par la Chambre de première instance de la CPI le 17 septembre 2018?

Zeph Zabo

Personnellement, j’ai du mal à comprendre la stratégie adoptée. Le cas échéant, prière d’excuser pour mon ignorance. À mon humble avis, si Jean-Pierre Bemba, Fidèle Babala et leurs avocats avaient déposé une requête en révision devant la Chambre d’appel de la CPI depuis le 8 juin 2018 (dès la survenance ou la connaissance des faits nouveaux découlant de l’arrêt d’acquittement inattendu de Bemba dans l’affaire principale de crimes de guerre et crimes contre l’humanité) ou au plus tard avant la date du dépôt des candidatures de Bemba et de Babala, pour obtenir le réexamen de l’arrêt confirmatif de culpabilité et de condamnation pour subornation de témoins qui avait été prononcé par la Chambre d’appel de la CPI le 8 mars 2018, la CÉNI et la Cour constitutionnelle de la RDC auraient été encore davantage plus ridicules de parler (dans cette affaire) d’un « jugement irrévocable » (qui rendrait un candidat inéligible au sens de l’article 10.3 de la Loi électorale de la RDC). Je ne vois pas comment ces deux institutions, instrumentalisées politiquement et donc corrompues, auraient fait ou pu faire ce qu’elles ont fait.

Hélas, aucune requête en révision ne semble avoir été déposée depuis le 8 juin 2018 ou au plus tard avant la date du dépôt des candidatures de Bemba et de Babala en août 2018. Dommage! En dépit notamment de mes avis et conseils répétitifs en ce sens (y compris par écrit en date du 1er septembre 2018) bien avant l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 4 septembre 2018, cela n’a pas été fait et n’est toujours pas fait. Alors que, par ailleurs, le Statut de Rome de la CPI ne prévoit aucun délai de prescription en la matière. La preuve d’un avis de requête en révision avant le prononcé de l’arrêt de la Cour constitutionnelle aurait pu permettre de démontrer encore davantage que non seulement Bemba disposait encore en effet d’une voie de recours et que l’arrêt de condamnation n’était pas « irrévocable », mais que par ailleurs la Chambre d’appel de la CPI avait aussi effectivement été saisie conséquemment. On sait tous que la Cour constitutionnelle n’ignorait pas que l’arrêt concerné n’était pas irrévocable. Néanmoins, face à une institution inféodée politiquement et agissant complètement de mauvaise foi et en violation manifeste et intentionnelle de la loi, une preuve supplémentaire irréfragable n’est jamais de trop.

En lieu et place d’une requête en révision comme voie pour espérer principalement et ultimement obtenir le réexamen et l’annulation de la condamnation définitive de Bemba pour subornation de témoins, un nouvel appel des peines prononcées de nouveau par la Chambre de première instance de la CPI le 17 septembre 2018 a été choisi comme voie de recours. Ce, au nom du « principe d’indivisibilité de la culpabilité et de la peine » ainsi que de l’article 81.2.b) du Statut de Rome de la CPI. C’est ce qui ressort essentiellement de la déclaration de l’avocate australienne Melinda Taylor, de Jean-Pierre Bemba, faite à Jeune Afrique le 18 septembre 2018: « En vertu de l’indivisibilité de la peine et de la condamnation ainsi que de l’article 81, section 2-B du Statut de Rome, la Chambre d’appel aura le droit, dans le cadre de cet appel et si elle le souhaite, de réétudier la condamnation ». « Si elle le souhaite »?

Que peut-on en dire? À mon humble avis, un nouvel appel des peines (les mêmes peines, soit 1 an de prison et 300.000 euros d’amende) n’est définitivement pas la voie à suivre si l’objectif principal et ultime est d’obtenir de la Chambre d’appel de la CPI de réexaminer et de se prononcer de nouveau sur son propre arrêt définitif (non irrévocable) du 8 mars 2018 qui avait confirmé la condamnation « définitive » (mais non irrévocable) de Bemba et coaccusés pour subornation de témoins. Pour rappel, par l’arrêt définitif (non irrévocable) du 8 mars 2018 concerné, la Chambre d’appel avait notamment; i) confirmé la condamnation de Bemba, Babala et coaccusés pour subornation de témoins; ii) confirmé les peines d’emprisonnement et d’amende qui avaient été prononcées contre Babala et Arido; iii) annulé les peines d’emprisonnement et d’amende qui avaient été prononcées contre Bemba, Kilolo et Mangenda; iv) renvoyé la question des peines d’emprisonnement et d’amende concernant Bemba, Aimé Kilolo et Mangenda devant la Chambre de première instance pour un nouveau jugement.

Il est indéniable que le nouveau jugement rendu sur les peines le 17 septembre 2018 par la Chambre de première instance est sujet à appel (dans un délai de 30 jours) et à révision devant la Chambre d’appel, conformément au Statut de Rome de la CPI et du Règlement de procédure et de preuve de la CPI. L’appel dudit nouveau jugement rendu sur renvoi est-il toutefois la meilleure voie ou la voie la plus appropriée lorsque notamment son objectif principal et ultime se fonde sur l’espoir « que cette procédure d’appel pourra conduire à une annulation de la condamnation pour subornation de témoins » sur la base de l’article 81.2.b) du Statut de Rome? Que dit l’article concerné? L’article 82.1.b) du Statut de Rome de la CPI stipule: « Si, à l’occasion d’un appel contre la peine prononcée, la Cour estime qu’il existe des motifs qui pourraient justifier l’annulation de tout ou partie de la décision sur la culpabilité, elle peut inviter le Procureur et le condamné à invoquer les motifs énoncés à l’article 81, paragraphe 1, alinéas a) ou b), et se prononcer sur la décision sur la culpabilité conformément à l’article 83 ».

Cela étant, tel que souligne Anne-Marie La Rosa: « Un tribunal doit généralement prononcer, outre la condamnation et la peine, un nombre considérable de décisions interlocutoires (d’avant-dire droit) qui portent sur différents sujets et qui sont susceptibles d’affecter les droits et intérêts des parties à la procédure ainsi que ceux de tiers. Dans ce contexte, et pour ce qui est des instances pénales internationales, il est souhaitable tant pour les jugements que pour les décisions interlocutoires de vérifier les situations donnant ouverture à l’appel, la portée de ce recours ainsi que les personnes ou entités qui jouissent du droit de s’en servir. Dans tous les cas, le recours en appel doit demeurer une mesure corrective qui vise à redresser les déficiences d’une première procédure. L’instance d’appel doit éviter de refaire le procès en entier, d’autant qu’elle n’offre pas en règle générale une opportunité de confrontation directe avec les témoins; le recours se fonde, sauf exception, sur le dossier de première instance, les parties ne pouvant soulever de nouvelles questions en appel. Au sein d’une instance pénale internationale, la déférence des juges saisis de l’appel à l’égard de la décision attaquée doit être particulièrement marquée puisqu’ils sont appelés à examiner, non pas le prononcé d’un tribunal inférieur, mais celui de leurs pairs. Toutefois, l’appel doit demeurer un remède efficace dans les cas où des erreurs déterminantes auraient été commises en première instance ». (Anne-Marie La Rosa, Juridictions pénales internationales, GIP, 2003, https://books.openedition.org/iheid/579, point 8).

Quelles sont en l’espèce les situations donnant ouverture à l’appel visé par Bemba? Quelle en est la portée? Il est de mon point de vue évident que l’appel visé en l’espèce devant la Chambre d’appel de la CPI suite au nouveau jugement prononcé sur les peines par la Chambre de première instance le 17 septembre 2018 ne demeure pas une procédure corrective visant à redresser les déficiences ou les erreurs de la première procédure qui avait eu lieu devant la Chambre de première instance et débouché sur le jugement de culpabilité et de condamnation pour subornation de témoins prononcé par celle-ci le 19 octobre 2016 contre Bemba, Babala et coaccusés. Cette procédure corrective-là, relative à la première procédure et audit jugement de culpabilité et de condamnation pour subornation de témoins, avait déjà eu lieu devant la Chambre d’appel de la CPI.

En effet, le 8 mars 2018, n’estimant n’avoir pas trouvé de déficiences ou d’erreurs déterminantes, la Chambre d’appel avait rejeté l’appel qui avait été interjeté par Bemba, Babala et coaccusés contre le jugement de culpabilité et de condamnation pour subornation de témoins. Raison pour laquelle la Chambre d’appel avait confirmé le jugement de culpabilité et de condamnation pour subornation de témoins. Par contre, la Chambre d’appel avait à cette occasion-là relevé des erreurs déterminantes en ce qui concernent les peines d’emprisonnement et d’amende qui avaient été infligées à l’encontre de Bemba, Kilolo et Mangenda et avait ainsi décidé de renvoyer cette question-là devant la Chambre de première instance pour un nouveau jugement. Dans cette optique, le nouveau jugement de la Chambre de première instance du 17 septembre 2018, sur renvoi de la Chambre d’appel et avec les directives et instructions appropriées, était de portée limitée, ne s’étendait pas et ne pouvait pas s’étendre: i) à l’arrêt confirmatif de culpabilité et de condamnation définitive pour subornation de témoins; ii) aux peines d’amende et d’emprisonnement qui avaient été infligées à Babala et Arido qui avaient quant à elles été confirmées de manière définitive (non irrévocable) par la Chambre d’appel.

Tel que souligné précédemment, « l’instance d’appel doit éviter de refaire le procès en entier ». Et nous savons tous que la Chambre de première instance n’est pas une instance d’appel. Qui plus est, en vertu de l’article 82.1.b) susmentionné du Statut de Rome, il revient à la Chambre d’appel de la CPI, et il ne revenait donc pas à la Chambre de première instance (par ailleurs sans avoir reçu, par renvoi, aucune instruction ou directive de la part de la Chambre d’appel), « à l’occasion d’un appel contre la peine prononcée », de pouvoir estimer s’il existe ou non des motifs qui pourraient justifier l’annulation de tout ou partie de la décision sur la culpabilité et la condamnation pour subornation de témoins.

Au regard de tout ce qui précède, je vois mal comment la Chambre d’appel de la CPI, saisie cette fois-ci en appel du nouveau jugement de la Chambre de première instance du 17 septembre 2018 portant sur les peines d’emprisonnement et d’amende concernées, va ou pourrait souhaiter réexaminer son propre arrêt confirmatif définitif du 8 mars 2018 concernant la culpabilité et la condamnation pour subornation de témoins. Ce d’autant plus qu’en droit substantiel tout comme procédural et en matière d’administration de la justice, il n’existe pas de troisième degré de juridiction; encore moins sous la forme d’un appel qui pourrait être interjeté devant la même juridiction d’appel pour que celle-ci réexamine et statue de nouveau sur son propre arrêt définitif confirmatif tel qu’en l’espèce.

Le seul moyen ou le moyen le plus approprié pour Bemba, Balala et coaccusés d’obtenir de la Chambre d’appel de la CPI de réexaminer et de se prononcer de nouveau sur son propre arrêt confirmatif définitif du 8 mars 2018 concernant la culpabilité et la condamnation pour subornation de témoins, c’est de la saisir au moyen d’une requête en révision sur la base de l’article 84 du Statut de Rome de la CPI, eu égard aux faits nouveaux découlant de l’arrêt définitif subséquent de la Chambre d’appel du 8 juin 2018 qui avait acquitté Bemba de la condamnation pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. La Chambre d’appel devrait dès lors être saisie sans autre délai, par voie de requête en révision.

Concernant le cas Bemba, vu le nouveau jugement rendu sur les peines le 17 septembre 2018 par la Chambre de première instance et le nouvel appel qui en résulte, les deux procédures, d’appel (portant sur les nouvelles peines) et de révision (portant notamment sur la culpabilité et la condamnation pour subornation de témoins) peuvent être introduites et menées parallèlement sous réserve d’une ordonnance de jonction de ces deux procédures. Pour ce qui est du cas Babala, la requête en révision concernera l’ensemble des jugements définitifs, de culpabilité et sur les peines d’emprisonnement et d’amende, qui ont été confirmés à son encontre le 8 mars 2018 par la Chambre d’appel. C’est là, à mon humble avis, la voie la plus appropriée pour obtenir le réexamen et l’annulation de l’arrêt de culpabilité et de condamnation définitive pour subornation de témoins qui avait été confirmé contre eux le 8 mars 2018 par la Chambre d’appel de la CPI et assurer de les voir encore comme candidats éligibles aux élections en RDC, si pas aux élections du 23 décembre 2018 prochain, du moins aux autres élections ultérieures.

 

Par Zeph Zabo
LL.L., LL.M., M.A., Doctorant en Droit,
Auteur des livres Justice corrompue
Volume 1 (Connaître Vos Droits et Savoir Vous Battre pour Rétablir la Justice) et
Volume 2 (Les juges et Nos Droits, Zabo vs. Système Judiciaire Corrompu)
Email: zabo.zeph@gmail.com

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