CNDP-M23: les deux faces de la même médaille

Quatre jours après le « raid » sur Bukavu, chef-lieu du Sud Kivu, mené par un groupe armé, inconnu jusque-là, dénommé « Action pour un Congo Nouveau« , on apprenait, lundi 8 novembre, l’attaque des collines de Tchanzu et de Runyonyi au Nord Kivu. Dans un communiqué « larmoyant« , sans date, ni signature, le chef d’état-major général des FARDC, le général Célestin Mbala Munsense, étale une certaine irrésolution. Un manque de fermeté. Dans un communiqué aux allures de « démenti-aveu« , le M23, lui, reconnait,  implicitement, que ses combattants aient pu être mêlés aux attaques des endroits précités. En 2005, le Rwanda de Paul Kagame et l’Ouganda de Yoweri Museveni avaient fait mine de retirer leurs troupes de l’Est du Congo (l’ex-Province Orientale et les deux Kivu), après sept années d’occupation et de pillages. Le Rassemblement Congolais pour la démocratie, une « rébellion congolaise » montée de toutes pièces en 1998… à Kigali a fini par donner naissance, en 2009, à un avatar. Il s’agit du CNDP (Congrès national pour la défense du peuple) qui va se muer, en juillet 2012, en M23 (Mouvement du 23 mars). L’attaque de ces deux collines est une alerte destinée aux gouvernants congolais. Une alerte sur la duplicité du maître de Kigali. Telle une pieuvre, Paul Kagame continue à déployer ses tentacules sur l’Est du Congo-Kinshasa. L’état de siège proclamé en mai dernier par le chef de l’Etat congolais semble déranger. Qui donc?

ANALYSE

D’après le chef du groupement de Jomba, lieu de naissance, semble-t-il, de Laurent Nkunda, les combattants du M23 avaient non seulement attaqué mais aussi réussi à repousser les Fardc positionnées dans le Territoire de Rutshuru. Les deux camps auraient utilisés des armes lourdes et automatiques. On comprend que le ministère de la Communication et des médias – qui fait office de porte-parole du gouvernement central –  ait attendu la soirée de lundi 8 novembre pour publier un communiqué sibyllin: »Tchanzu et Runyonyi attaquées quelques heures plutôt par le M23, sont sous contrôle des Fardc« . Une « victoire » sans panache.

En moins d’une semaine, c’est la deuxième fois que la force publique congolaise (armée, police, services de renseignements, DGM) donne l’impression de ne réagir qu’après coup. Le 3 novembre, quelques « ploucs » ont semé la terreur dans une partie de la ville de Bukavu. La direction provinciale de l’Agence nationale de renseignements n’avait manifestement pas identifié cette « menace ». Il en est de même de l’attaque attribuée aux ex-combattants du M23. Manque de moyens?

Selon diverses sources, plus ou moins cinq mille citoyens congolais, en provenance notamment de Bunangana, se sont réfugiés en Ouganda.

Dans son communiqué, sans date, ni signature, le numéro un des Fardc, le général Célestin Mbala Musense, « porte à la connaissance de l’opinion tant nationale qu’internationale que dans la nuit de dimanche 7 novembre 2021, aux environs de 22 heures, le Mouvement insurrectionnel M23 a attaqué les positions de Tchanzu et de Runyonyi avec l’intention de mener d’autres actions de déstabilisation dans le territoire de Rutshuru et ailleurs dans la province« .

LA MOLESSE DU CEMG MBALA MUNSENSE

Le général Célestin Mbala Munsense, CEMG FARDC

Après avoir rappelé d’autres attaques, imputées au M23, intervenues du 12 au 21 juillet dans les localités de Bigega, Ndiza et Mikenge, le chef d’état-major général (CEMG) des Fardc a excellé dans un étalage d’une mollesse indigne d’un chef militaire. Selon lui, les dernières attaques sont intervenues « au moment où la RDC s’est engagée dans la phase de mutualisation des forces » avec les pays voisins. D’après lui, le but serait « la normalisation des relations en vue d’améliorer la situation sécuritaire dans la Sous-Région pour une paix durable et un développement harmonieux de nos pays« . Vous avez bien entendu: c’est le « commandant en chef » de l’armée congolaise qui parle.

Vous avez dit Mutualisation? Le verbe « mutualiser » signifie, dans le cas sous examen, « mettre quelque chose en commun« . Le Congo-Kinshasa va-t-il s’hasarder à laisser opérer sur son territoire les armées du Rwanda et de l’Ouganda, deux pays voisins – réputés hypocrites – qui n’ont jamais fait mystère de leurs velléités expansionnistes?

Dans son communiqué publié lundi 8 novembre, le M23 – qui est qualifié de « mouvement insurrectionnel » par le chef d’état-major général des Fardc – ose écrire sous la plume de son président Bertrand Bisimwa que ses troupes « qui sont dans le territoire de Rutshuru depuis 2017 (…) subissent des actes de provocation de la part de quelques éléments incontrôlés des Fardc depuis l’année 2020. Cependant, ils se sont toujours abstenus de répondre de peur de provoquer une nouvelle guerre inutile« . Et d’ajouter: « Nous n’accepterons pas non plus qu’un quelconque groupe armé vienne semer terreur et confusion dans les environs de l’espace où sont déployés nos combattants dans l’intention de nous mettre sur le dos ses forfaits« . On est où là! Le Congo-Kinshasa serait-il devenu un bien sans maître?

Bisimwa ne s’arrête pas là. « (…), nous exigeons que les éléments incontrôlés déployés dans différentes positions de l’armée gouvernementale dans le territoire de Rutshuru soient relevés aux fins de mettre un terme aux actes de provocation auxquels ils se livrent malignement et éviter ainsi une confrontation dans cette zone au moment où tout notre peuple aspire à la paix et voudrait voir tous les citoyens (…) épris de paix se ranger derrière les efforts  du chef de l’Etat pour neutraliser les bandes armées étrangères dont les ADF, FDLR etc (…) ».

Devrait-on conclure qu’une portion du Nord Kivu est livrée à une bande d’insurgés à la solde du Rwanda et de l’Ouganda? Le Congo-Kinshasa a-t-il abandonné une partie de sa souveraineté dans la portion du territoire de Rutshuru occupée par les ex-combattants du M23? Au nom de quel principe une bande de hors-la-loi peut poser des « exigences » dont relèvement des troupes régulières congolaises déployées sur une partie du territoire national?

ET SI L’ETAT DE SIEGE ETAIT DEVENU DERANGEANT?

Des députés nationaux originaires du Nord Kivu manifestent leur opposition à la prorogation de l’état de siège

Il faut refuser de regarder pour ne pas voir que le communiqué du M23 n’est pas innocent. Ce texte a été inspiré par certaines officines à Kigali. C’est la technique habituelle. Le CNDP et le M23 sont les deux côtés d’une médaille. Les deux mouvements ont toujours agi par « procuration » pour le compte du Rwanda de Kagame et dans une certaine mesure pour l’Ouganda de Yoweri Kaguta Museveni.

On peut gager que l’état de siège proclamé depuis le 6 mai dernier par le chef de l’Etat congolais commence à déranger certains intérêts mafieux. La nervosité du M23 semble trouver un début d’explication. Des sources assurent que des sujets étrangers exploitent illégalement et clandestinement des minerais dans les provinces du Kivu.   

Les attaques menées à Bukavu et dans les collines de Tchanzu et Runyonyi constituent une « alerte » pour les autorités diplomatiques congolaises. Des autorités qui croient, à tort, que tout le monde il est beau, tout le monde est gentil. L’heure a sonné de procéder à une réévaluation des relations tant avec le Rwanda que l’Ouganda. Il s’agit de savoir : qui gagne quoi au plan non seulement économique mais aussi de la sécurité nationale? Un adage anglais dit: « People give nothing for nothing« . On ne donne rien pour rien. C’est l’occasion de faire crever le phénomène M23 qui prend l’allure d’un « abcès ».           

Le phénomène « groupe armé » est né au Congo-Kinshasa avec l’avènement de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo) en octobre 1996. Cette trouvaille de l’Ougandais Yoweri Museveni et du Rwandais Paul Kagame a permis à Laurent-Désiré Kabila de prendre le pouvoir à Kinshasa. On a vu à l’époque émerger des bandes armées dites « Maï Maï » décidés à combattre la présence des troupes rwandaises (RDF) déployées à l’Est.

Après la rupture de la « coopération militaire » entre le Mzee et ses ex-parrains en juillet 1998, chaque camp s’est mis à fourbir ses armes. Côté rwandais, on assiste à la naissance de la « rébellion congolaise » pro-rwandaise du RCD. Dans la province du Katanga, le président LD Kabila met sur pied les Forces d’autodéfense populaires. Gédéon Kyungu Mutanga fait partie des premières recrues. John Numbi Banza, Daniel Mulunda Ngoy et « Joseph Kabila » avaient pris une part active au lancement de cette milice.

Le 16 janvier 2001, « Papa Kabila » meurt dans des circonstances jamais élucidées à ce jour. Lors de son investiture le 26 janvier 2001, « Joseph Kabila » avait surpris l’assistance en rendant un hommage appuyé aux « forces d’autodéfense populaires« . Vingt années après, le sort réservé à ces combattants reste un mystère. Devrait-on parler de « réseaux dormants« ? Quelques semaines avant son assassinat à Johannesburg, l’ex-maître espion rwandais Patrick Karegeya était formel: Paul Kagame était aux manettes tant en ce qui concerne le CNDP que le M23. C’est lui qui avait créée ces deux mouvements.

Les dirigeants congolais doivent se rendre à l’évidence que le régime militaire au pouvoir à Kigali considère que le Congo-Kinshasa doit rester à genoux pour que le Pays des Mille Collines reste debout. Un avis partagé par l’Ouganda. Telle une pieuvre, le potentat rwandais continue à déployer ses tentacules dans les provinces du Kivu et de l’Ituri. Jusqu’à quand va-t-on laisser survivre les ambigüités diplomatiques du « système Kabila« ?

Baudouin Amba Wetshi

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