« Comprenez ma passion pour le Congo… », J. Kabila dixit. Libres propos autour d’un jeu de mots injurieux, mais dévoilant

Le jeudi 19 juillet 2018, le président de la République démocratique du Congo s’est adressé aux deux chambres pour son discours sur l’état de la Nation. Afin de briser la glace, il s’est lancé dans un humour qui, tout en rappelant un discours remarqué du feu président J-D. Mobutu, dévoile l’impensée de ses projets et les contours de sa personnalité. Pour les membres de la Majorité présidentielle, il s’agit là d’une prouesse remarquable. En témoignent les applaudissements de ses laudateurs, les uns rivalisant avec les autres dans l’intensité donnée au battement des mains, pendant que d’autres tambourinaient sur les tables, d’autres encore clamaient bruyamment leur allégeance au président hors mandat, et d’autres enfin, à gorge déployée exprimaient avec délectation leur déférence indéfectible à l’homme providentiel du Front Commun pour le Congo. Triste spectacle où professeurs d’universités, diplômés de tous bords, intellectuels et autres cadres supérieurs, tous prisonniers du système et inféodés au continuisme, se sont illustrés comme des bambins éberlués ou des puérils badauds, pour ne pas dire des zélateurs d’un imposteur taciturne et suffisant.

Evoquer le discours du 24 avril 1994 en ce jour où tout le monde attendait une clarification sur la position du prétendu candidat à un troisième mandat présidentiel, et tourner en dérision ce discours, en dit long sur les intentions de l’orateur du jour. J. Kabila n’est pas de ceux qui cèdent à la fibre de l’émotion. Il est de ceux qui vibrent au diapason de la passion. Mais seulement, il y a passion et Passion. Et qui plus est, tout est dans l’objet de la passion. Or ici, l’objet est clairement énoncé: le Congo. C’est dire combien, dans la même ligne que les Américains, Français, Chinois, Indiens, Pakistanais et autres prédateurs avides des richesses du Congo, le président congolais est obnubilé par la passion de ce territoire dont la faune, la flore, le sol et le sous-sol sont devenus, depuis dix-sept ans, sa propriété, une rente pour sa parentèle et une terra nullius pour ses alliés et mentors. Rien d’étonnant que cette passion vire en une obsession du pouvoir, des honneurs, des privilèges et d’accumulation accélérée de richesses au point de piétiner la Constitution, de conjurer toute alternance, de redouter des élections crédibles, transparentes, démocratiques et apaisées, de postuler un mandat indéterminé et de soupirer après une pérennisation de son pouvoir sous forme de présidence à vie.

L’humour du président Kabila est une plaisanterie de mauvais goût vis-à-vis de l’option courageuse prise jadis par le maréchal zaïrois d’ouvrir son système inique à la démocratie et de faire le deuil du parti unique. Cette option dénote d’un patriotisme adossé non pas seulement au territoire, mais aussi aux hommes et femmes qui l’habitent. L’homme à la toque de léopard avait un cœur de chair et des sentiments humains. Après avoir fait le tour de son pays et tâté la réalité macabre vécue par son peuple, il a écouté son peuple et en est arrivé à la rupture instauratrice de l’humanisation de la dictature. L’homme à la barbe de la chèvre de Monsieur Seguin brille par la dureté de son cœur, son insensibilité et son impassibilité. Souffrant d’autisme politique aigu, il ignore le calvaire de son peuple. Il a la prétention d’avoir réussi le pari de l’eau, de l’électricité, des routes, des institutions de santé… Prétention qui ne convainc que lui-même, ses épigones et ses partisans. C’est à croire que J. Kabila n’a jamais mis les pieds au Congo et qu’il vient de débarquer de la planète des illusionnistes ou des démagogues. Il faudra le prendre au mot et par la main pour une virée diurne et nocturne dans les 24 communes de Kinshasa pour qu’il se rende compte de ce qu’il a fait du Zaïre de Mobutu et du Congo de son père: pénurie et corvée de l’eau ici, insalubrité et montagne d’immondices là-bas. Ici et ailleurs: délestage intempestif de l’électricité, routes impraticables, misère innommable des travailleurs corvéables à merci, esclaves modernes de la classe moyenne expatriée à qui profitent les potentialités du pays. Et dire que ce marasme généralisé est vécu à Kinshasa sur fond d’une insécurité entretenue à dessein et qui se décline en une violence multiforme qui rend obvie l’incompétence, la démission larvée, l’irresponsabilité, l’incohérence et le cœur de pierre des dirigeants du Congo!

L’ignorance crasse du président Kabila est la résultante de son insouciance de la vie, de la misère et des déboires du peuple congolais. L’on est fils de son peuple et enfant de sa culture dit-on. Oubliera-t-on que dans la tradition culturelle qui a forgé la personnalité du « président passionné », on se morfond sur les vaches qui crèvent et on s’abstient de pleurer les êtres humains? Rien d’étonnant que le moqueur de Mobutu n’éprouve aucune commisération sur la tragédie des Congolais. Ce qui prime chez lui, c’est le Congo et ses richesses plutôt que le sort des Congolais. Voilà pourquoi, ce pays qui fait l’objet de tant de convoitises étrangères est l’objet de la passion de J. Kabila au mépris de la tragédie vécue par ses habitants. Sans rire ni manier l’ironie, le porte-parole du gouvernement congolais promettait aux Congolais « une passation de pouvoir civilisé ». On aurait préféré au-delà de la passion du « président passionné » voir les signes avant-coureurs de cette passation notamment l’application stricte des Accords de la Saint Sylvestre. Ce qui, soit dit en passant, confirmerait un des discours de J. Kabila qui prétendait que « la RDC est une démocratie constitutionnelle! ». Mais hélas! Il ne faut pas rêver et surtout ne pas se fier à ces prolixités creuses. De passation de pouvoir civilisé et de démocratie constitutionnelle, le Congo, n’en connaîtra point à cause de la passion irrationnelle, puérile et suicidaire du « passionné » de Kingati. Peut-on espérer qu’un jour chez lui la passion cède à la raison? Différons pour l’instant un tel espoir dont la réalisation relève d’un miracle!

Alors que « l’imberbe barbu né de la dernière pluie » court après les honneurs, le président Mobutu avait le sens de l’honneur. Son émotion vraie, sincère et naturelle était conséquente à sa maturité et à son humanité. Mobutu au moins s’est ravisé tant soit peu de ses mandats indéfinis et a compris le sens de l’histoire. Il est entré dans l’histoire avec son discours du 24 avril 1994. On peut regretter qu’il n’ait pas persévéré sur la lancée et qu’il ait ruiné par conséquent lui-même le projet de démocratisation de son pays. Et le « passionné » de Kingakati? Il sortira sous peu de l’histoire à cause de sa témérité et de sa passion morbide.

La passion sur commande dont se gargarise le président congolais est le fruit de son insouciance et de son inhumanité: passion pour le Congo qui n’est que l’envers de la Passion d’un Mgr Emmanuel Kataliko, Mgr Christophe Munzihirwa ou des cardinaux Joseph-Albert Malula, Frédéric Etsou et Laurent Monsengwo; passion pour le Congo qui fait piètre figure devant la Passion des victimes de la barbarie de l’Est, de Kamuina N’sapu, de Bundu dia Kongo, d’Ituri et de Beni; passion pour le Congo qui pâlit face à la Passion d’un Franck Diongo, Diomi Ndongala, Jean-Claude Muyambo, les jeunes de Lucha et de Filimbi; passion pour le Congo qui rougit au regard de la Passion de Floribert Chebeya, Armand Tungulu, Mamadou Ndala, Rossy Tshimanga, Ne Mwanda Nsemi et les anonymes enterrés dans des fosses communes à Kinshasa, au Kasaï et ailleurs; passion pour le Congo qui est dépassée par la Passion du Comité Laïc de Coordination, des marcheurs chrétiens, du pasteur François-David Ekofo, de Jean-Jacques Muyembe Tamfum et Denis Mukwege; passion pour le Congo qui se réfracte devant la Passion d’un Eliezer Tambwe, Mike Mukebay, Léon Nembalemba; passion pour le Congo qui crache sur la Passion de Lumumba; passion pour le Congo qui n’est qu’injure et déni de la Passion vécue au quotidien par les Congolais.

Les éminences grises, conseillers, nègres et experts du président congolais l’ont berné. Ils lui ont imposé un streap tease en lui suggérant une boutade inopportune. Croyant amuser la galerie en attribuant l’émotion à Mobutu et la passion à leur champion, ils ont poussé ce dernier à étaler gratuitement son ineptie et à dévoiler sa boulimie du pouvoir. Grâce à son discours du 18 juillet, l’on ne peut désormais entretenir des doutes sur sa vraie passion: piller le Congo, narguer la communauté internationale et asservir les Congolais!

Le président congolais a certes le droit de clamer haut sa passion. Il a le droit de se moquer du réalisme du président Mobutu. Pour une fois, il lève le voile sur sa vraie passion, une passion qui, chez lui, a exilé la raison et censuré l’émotion. Il ne doit cependant pas oublier que la passion affectée, intéressée et hypocrite qu’il brandit en lieu et place de l’émotion condescendante sous-tendue par la raison s’achèvera certainement par sa crucifixion! Et les Congolais n’attendent que ce moment pour donner plus d’expression et d’extension, de densité et d’intensité à leur passion méconnue, éludée et éconduite: dresser les fronts pour faire de la terre de leurs ancêtres un pays plus beau qu’avant! Ils y arriveront bientôt sans Kabila, en dépit de son arrogance et en se passant de sa passion égoïste, égotiste et narcissique, car gaillardie par la Passion naturelle et légitime d’un avenir autre et d’un autre Congo, le peuple gagne toujours.

 

Par Mbamulu Rose
Professeure d’Universités

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