« Congolité »: La « proposition de loi » initiée par Tshiani pourrait-elle être adoptée?

Dans un entretien accordé, vendredi, à Congo Indépendant, un expert en matière parlementaire – qui a requis l’anonymat – estime que le texte législatif initié par Noël Tshiani aura à accomplir un véritable « parcours du combattant » avant le vote final en plénière. Autrement dit, rien n’est gagné d’avance. Si ce texte parvenait à franchir les différentes étapes (Bureau d’études de l’Assemblée nationale, Commission sectorielle, gouvernement, plénière etc.), il y aurait, selon lui, des fortes chances que ladite « proposition de loi » endossée par le député Nsingi Pululu soit adoptée, en plénière, « à une majorité écrasante ». Pour cet expert, la démarche de cet ancien fonctionnaire international est loin d’être propice à la cohésion nationale. A qui profite le « crime »? La réponse tombe aussitôt: « Je vois mal Felix Tshisekedi sponsoriser ce genre de coup tordu visant manifestement un de ses alliés. Ce n’est pas son genre. Je n’exclus pas que l’ex-président Joseph Kabila soit aux manettes. L’ancien gouverneur Moïse Katumbi est toujours dans son viseur. Il en est de même de Vital Kamerhe ». Notre expert d’ironiser sur l’implosion éventuelle de l’Union sacrée de la Nation. « L’Union sacrée n’a jamais eu d’existence formelle. Comment peut-elle imploser alors qu’elle n’a jamais existé? ».

Le député national Nsingi Pululu, étiqueté Front commun pour le Congo (FCC), a déposé, jeudi 8 juillet, au bureau de l’Assemblée nationale, la proposition de loi initiée par l’ancien fonctionnaire international Noël Tshiani Muadiamvita.

Dans une déclaration préliminaire, ce dernier a laissé entendre que cette proposition de loi « vise à verrouiller l’accès à la fonction de Président de la République qui doit être réservée exclusivement aux Congolais nés de père et de mère congolais ». Le texte propose également le verrouillage de « certaines fonctions essentielles de souveraineté pour protéger et promouvoir l’intérêt général ». Tshiani se bat également pour obtenir « l’irrévocabilité de la nationalité congolaise d’origine ».

A en croire, le très bouillant Nsingi Pululu qui a pris la responsabilité d’endosser ce texte, 260 députés nationaux sur les 500 que compte l’Assemblée nationale seraient disposés à voter « Pour ».

D’aucuns continuent à s’interroger sur « l’opportunité » de l’initiative de cet ancien candidat à l’élection présidentielle du 30 décembre 2018. D’autres lui reprochent d’avoir dévoyé sa démarche en prononçant cette phrase dans des médias kinois: « La République démocratique du Congo, mon pays, n’est pas une république bananière où n’importe quel bâtard du monde peut venir prétendre devenir Président de la République ».

Un vieux photomontage: Moïse Katumbi et « Joseph Kabila »

Vendredi 9 juillet, le « clan Katumbi » a réagi en menaçant de quitter la coalition. Interrogé par l’AFP, Olivier Kamitatu Etsu, directeur de cabinet de Moïse Katumbi a dit tout le mal que l’Ensemble de l’ancien gouverneur du Katanga pense de cette démarche. A tort ou à raison, un doigt accusateur est pointé en direction du président Felix Tshisekedi Tshilombo et de son parti l’UDPS. Kamitatu d’estimer que le débat en plénière sur cette proposition de loi équivaudrait à franchir la « ligne rouge ».

Pour y voir plus clair, notre journal a interrogé un observateur averti de la politique congolaise. L’homme est un « fin connaisseur » des us et coutumes parlementaires.

Que pensez-vous du texte législatif initié par Noël Tshiani? Pourrait-il aboutir?

Noël Tshiani a franchi la première étape en trouvant un parlementaire disposé à endosser son texte qui devient une « proposition de loi » après son dépôt au Bureau de l’Assemblée nationale. La proposition sera envoyée au bureau d’études de la Chambre basse avant de revenir à la Plénière pour adoption. Si le contenu est adopté, c’est le tour de la Commission PAJ (Politique, administrative et juridique) à procéder au « toilettage ». Après, c’est à nouveau le retour à la Plénière. S’agissant d’une proposition de loi, il faudra que le gouvernement donne ses avis et considérations. Le risque est grand que cette proposition « traîne quelque part ». L’exécutif peut ne pas répondre. Sans omettre que le texte doit passer au Sénat. La conférence des présidents doit également se prononcer. Il me semble peu probable que cette proposition de loi rencontre le destin espéré par son initiateur. Si, en revanche, ce texte parvenait à franchir tous ces « obstacles », la plénière pourrait l’adopter avec une « écrasante majorité ».

Une majorité des députés serait, selon vous, prête à voter « Pour »?

Absolument!

Pourquoi?

Selon les confidences de certains députés, on s’achemine vers cette voie. L’objectif serait d’empêcher l’avènement d’un autre « Joseph Kabila » à la tête du Congo-Kinshasa. Malgré ses dix-huit années passées à la tête de l’Etat, « Kabila » est toujours considéré comme un étranger. D’autres députés ne voient pas d’un bon œil les ambitions présidentielles de l’ancien gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, dont la mère est Zambienne et le père, Juif italien.

Cette proposition de loi ne risque-t-elle pas d’être contrecarrée notamment par les articles 12 et 13 de la Constitution? Le premier énonce l’égalité des Congolais devant la loi. Le second prohibe toute discrimination en matière d’accès notamment aux fonctions publiques…

La réponse à votre question se trouve dans l’article 72 de la Constitution: « Nul ne peut être candidat à l’élection du Président de la République s’il ne remplit les conditions ci-après: 1) posséder la nationalité congolaise d’origine; 2) être âgé de 30 ans au moins; 3) jouir de la plénitude de ses droits civils et politiques; 4) ne pas se trouver dans un des cas d’exclusion prévus par la loi électorale ». Que veut dire posséder la nationalité congolaise d’origine?

Par « Congolais d’origine », on imagine que le législateur a voulu parler de « toute personne dont un des ascendants est ou a été membre d’une tribu ou d’une partie de tribu, établie sur le territoire » du Congo-Kinshasa « avant le 18 octobre 1908″…

Comme je l’ai dit précédemment, si cette proposition de loi parvenait à franchir tous les obstacles, elle sera votée à une forte majorité. Né de mère Zambienne et de père Juif italien, Katumbi ne peut en aucun cas se prévaloir de la nationalité congolaise d’origine. L’homme est à l’origine de cette controverse. Les Babemba vivent de part et d’autre de la frontière de notre pays avec la Zambie. Selon lui, sa mère serait une princesse bayeke. Or les Bayeke vivent vers Likasi. Bunkeya est loin de la frontière avec la Zambie. C’est le pays des Basanga. Comment peut-on avoir une mère d’origine bemba et se retrouver chez les Basanga? C’est insensé! Katumbi n’aurait pas dû évoquer cet aspect. L’ancien Premier ministre Vincent Lunda Bululu, lui, avait l’habitude d’admettre qu’il avait un frère de nationalité zambienne. « La frontière entre la Zambie et le Congo traverse notre village. C’est ainsi que j’ai un petit-frère qui est Zambien. J’ai opté pour la nationalité congolaise. Je n’y peux rien aux aléas géographiques », disait-il. Katumbi a commis une « grosse bourde » en prétendant que sa mère était appartenait à tribu Bayeke.

Que pensez-vous de la vive réaction du « clan Katumbi »?

C’est normal! L’ancien gouverneur a beaucoup d’argent. Il peut, de ce fait, faire bouger du monde en donnant de l’argent par-ci, par-là. Personnellement, je suis contre cette histoire de « Congolité ». Il faut laisser à chaque Congolais sa chance. Peu importe que sa mère soit Zambienne et que son père soit Juif d’origine italienne. C’est mon point de vue. Notre pays est assez grand pour que chacun puisse trouver sa place. Comment pourrait-on certifier que la mère de Katumbi est Zambienne dans un pays où l’état-civil est inexistant?

Quelle est, selon vous, l’opportunité de la démarche de Noël Tshiani?

Je soupçonne Tshiani d’avoir partie liée avec l’ex-président Kabila.

« Joseph Kabila » l’aurait soudoyé, d’après vous?

Je suis convaincu que l’ex-Raïs tire les ficelles. Ceux qui connaissent la « fiche psychologique » de « Fatshi » pourrait vous confirmer qu’il n’est pas du genre à s’engager dans les « coups tordus ». Qui a intérêt à empêcher Moïse Katumbi à se présenter à la présidentielle de 2023? Qui redoute le plus l’ancien gouverneur du Katanga? Ma réponse est simple: c’est Kabila!

Etes-vous en train de dire que deux années après son départ du pouvoir, « Kabila » continue à « harceler » Katumbi?

Il n’y a pas que Katumbi. Vital Kamerhe vit la même situation. Les ennuis judiciaires de « VK » seraient l’œuvre du FCC… Kabila a une peur terrible de Kamerhe. L’ex-président considère que ces deux hommes qui furent ses proches l’on trahi. Revenons à Tshiani. Quand ce dernier est arrivé à Kinshasa en 2018 avec son « plan Marshall » – qui pesait 90 kgs -, Tshiani n’avait pas d’argent. Question: qui a payé la caution lui permettant de participer à l’élection présidentielle du 30 décembre 2018?

Etes-vous certain de vos informations?

Une anecdote. Dès le lancement de la campagne électorale, plusieurs personnes avaient suggéré aux proches du candidat Tshiani de faire alliance avec Felix Tshisekedi. « C’est impossible », répondaient-ils. Au moment où nous parlons, je ne suis pas sûr que « Noël » a rejoint l’Union sacrée de la nation. Vous avez sans doute suivi l’intervention de son épouse dans un média kinois. Elle avait déclaré que le couple connaissait non seulement « Fatshi » mais aussi Kabila et son épouse Olive. Sans omettre Jaynet qui passait les voir. Depuis son retour au pays en 2018, Noël Tshiani vit dans un hôtel. Question: qui paie la facture? Dernière question: à qui profite le « crime »? C’est la question qui mérite d’être posée. Ma réponse est simple: le crime profite à Joseph Kabila. Cet homme a une peur maladive de Katumbi et de Kamerhe.

Que répondez-vous à ceux qui disent que Tshiani a dévoyé sa démarche en traitant Katumbi, de manière implicite, de « bâtard »?

Je crois que Tshiani était énervé par les attaques qui pleuvaient sur lui. Moïse Katumbi l’avait également attaqué. Reste que cette histoire de « Congolité » constitue un « poison » pour « le vivre collectif ». Dieu seul sait ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire avec « l’Ivoirité ». En Zambie, l’ancien Kenneth Kaunda était accusé par ses détracteurs d’être d’origine malawite. En Angola, les Portugais naturalisés Angolais vivent en paix dans leur pays d’adoption. Voilà un exemple à suivre.

Va-t-on vers l’implosion de l’Union sacrée de la Nation?

Je vais peut-être vous surprendre: l’Union sacrée de la nation n’a jamais eu d’existence formelle. Comment pourrait-elle imploser alors qu’elle n’a jamais existé?

 

Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi

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