Corruption et délitement de l’Etat en Afghanistan. Et en RDC?

Criminel à col blanc

La débâcle de l’Afghanistan est considérée comme un échec militaire des USA. Mais la plupart des connaisseurs de la région pensent que la cause principale de cet échec est le degré de corruption qui règne dans toutes les institutions y compris celles censées veiller au respect des lois et à la sécurité.

Pendant près de vingt ans, de nombreux dirigeants se sont enrichis de manière scandaleuse et ostentatoire et malgré des ressources importantes dont le gouvernement a disposé, la population vit un calvaire et a payé un lourd tribut en victimes des nombreux attentats.

Les chefs militaires étant plus intéressés par les affaires que par la sécurité et la défense nationale, leur armée a été balayée rapidement, avant même le retrait des USA.

Ce n’est pas grâce à leurs armes que les talibans ont vaincu à Kaboul, c’est grâce à la corruption des dirigeants – civils et militaires – qui a entrainé le délitement continu de l’Etat et des forces de sécurité. La corruption est également une conséquence de la politique des USA et de leurs alliés, menée dans plusieurs autres pays. Dans ces pays, Ils ont toujours donné la priorité à la « stabilité » basée sur le partage du pouvoir/mangeoire au détriment de la justice et de la bonne gouvernance

En acceptant les abus de pouvoir des dirigeants et particulièrement la corruption à grande échelle et en minimisant les exigences en matière de transparence et de redevabilité, ils ont encouragé la grande corruption et le dysfonctionnement des institutions y compris les forces de sécurité.

En RDC, depuis les accords de Sun City, on est dans un schéma politique similaire: toutes les parties prenantes donnent priorité à la stabilité moyennant le partage du pouvoir/marmite au détriment de la justice et de la bonne gouvernance.

Ceux qui ont accepté et appuyé ces accords ont commis une erreur, si pas une faute, en négligeant les règles élémentaires de justice, de transparence, de contrôle et de redevabilité. Les clauses concernant la justice à rendre aux victimes des guerres ont été rapidement oubliées. Cet « oubli », garant d’impunité pour les faits du passé s’est accompagné d’un accord tacite de « non agression » entre bénéficiaires de la marmite. Ainsi, l’impunité est devenue complète et les abus de pouvoir sans limite.

Le raisonnement exprimé cyniquement par des fonctionnaires internationaux étant: « il vaut mieux qu’ils volent plutôt qu’ils se battent ».

Le résultat est que vingt ans après les accords, la stabilité est toute relative. Les violences sont quotidiennes et nous détenons les records mondiaux de déplacés internes. Aucune justice n’a été rendue aux victimes des violences antérieures ni de celles qui ont lieu tous les jours. La corruption et les autres formes de malversations ont engendré une pauvreté extrême provoquant un nombre de décès prématurés de loin supérieure à celui des victimes des violences quotidiennes.

Le lien entre corruption généralisée, délitement de l’État et violences s’observe dans de nombreux pays. Accepter la corruption c’est aussi accepter la criminalité de droit commun, et spécialement celle des jeunes désœuvrés dans les villes. Il en résulte insécurité, violences et délitement de l’état.

Malgré cette évidence, de nombreux intellectuels congolais pensent que la corruption n’est pas le facteur le plus important de la situation désastreuse du pays et préfèrent rejeter la responsabilité sur l’extérieur: les multinationales, la Belgique, le Rwanda etc. A l’exception de quelques ONG dont l’Office de la Dépense Publique (ODEP) qui agit et publie des dossiers documentant la mauvaise gestion des ressources financières, peu est fait pour améliorer la transparence et la redevabilité des dirigeants. . De nombreuses organisations et intellectuels inondent le web et les médias avec leurs analyses, préoccupations et recommandations mais un plan d’action comportant – notamment- la constitution de dossiers, la mise en cause des responsables et le dépôt de plaintes ne semble pas encore exister.

Ambiance de sauve-qui-peut à l’aéroport de Kaboul. Photo France24.com

D’autres intellectuels pensent qu’il faut « changer les mentalités », « changer l’homme congolais » ou encore préconisent une approche « holistique ». Ils n’ont pas tort mais le changement ne vient pas par enchantement. Il faut le provoquer et pour cela il faut donner priorité à des actions concrètes à l’encontre des responsables des malversations.

L’avenir nous dira quels seront les résultats des initiatives de l’Inspection Générale des Finances (IGF). Les enquêtes en cours semblent s’enliser dans les méandres de la justice.

D’autres intellectuels encore estiment que priorité doit être donnée aux crimes commis il y a vingt ans (justice transitionnelle à actualiser) et y consacrent des ressources considérables sous le leadership de notre Prix Nobel. Ils doivent savoir cependant que, tant qu’une lutte sans merci contre la corruption ne sera pas menée contre les dirigeants corrompus, ils rencontreront des oppositions fortes et les violences quotidiennes continueront.

De nombreuses autres personnes pensent que priorité devrait être donnée à la lutte contre les violences actuelles et leur source qui est la corruption. Il est vrai que tant que la grande corruption sera généralisée, il sera difficile d’obtenir une justice et/ou une justice transitionnelle.

Espérons que les annonces récentes d’un retrait de la Monusco de la RDC, n’engendre des effets déstabilisateurs similaires aux annonces de celui des USA de l’Afghanistan.

Jean-Marie Lelo Diakese

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