CPI: « Subornation de témoins » ou la « lutte finale » entre Bemba et Bensouda?

Le samedi 25 août, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) déclarait « irrecevable » six dossiers de candidature à l’élection présidentielle sur 25. C’est le cas notamment de celui du sénateur Jean-Pierre Bemba Gombo. Motif invoqué: condamnation au premier degré à la CPI pour « subornation de témoins ». En se fondant sur des interviews réalisées jadis avec trois juristes en l’occurrence Jean Flamme, Aimé Kilolo-Musamba et Fidèle Babala Wandu, Congo Indépendant tente de rassembler les pièces de ce puzzle.

Interpellé à Bruxelles en mai 2008 avant d’être transféré en  juillet à la prison de Scheveningen à La Haye, l’ancien vice-président Jean-Pierre Bemba Gombo n’a pas cessé de clamer son innocence.

Ange-Felix Patassé

Tout en reconnaissant avoir mis des troupes à la disposition du président centrafricain d’alors Ange-Felix Patassé – qui était confronté à une rébellion armée conduite par le général François Bozize -, le « Chairman » a soutenu jusqu’au bout que les combattants du MLC étaient placés sous le commandement de l’état-major de l’armée centrafricaine. L’accusation, elle, s’arc-boutait sur la thèse contraire. Pour elle, bien qu’absent du théâtre des opérations, Bemba continuait à exercer l’autorité hiérarchique sur ses hommes. Des témoins à charge seront appelés par le Bureau du procureur pour conforter cette accusation au cours d’un procès autant inique qu’inéquitable. L’absence des protagonistes centrafricains au prétoire a été fort remarquée.

Contre toute attente, un des témoins à charge a vu rouge. Dans une correspondance adressée non seulement au président de la Cour pénale internationale mais aussi au secrétaire général des Nations Unies, ledit témoin de réclamer la « rétribution » promise par le bureau du Procureur Fatou Bensouda.

Dans sa lettre, l’homme fait remarquer aux illustres destinataires de sa missive que son cas n’est pas unique en son genre. « La Procureure était en possession de la ‘plainte’ de ce témoin depuis six mois, confie l’avocat gantois Jean Flamme, conseil de… l’avocat Jean-Jacques Mangenda. Elle aurait dû divulguer cette information dont le contenu était susceptible d’intéresser la défense. Elle ne l’a pas fait ».

Au mois de novembre 2013, Aimé Kilolo-Musamba, alors avocat principal de l’équipe de défense du sénateur Bemba évoque le sujet au téléphone avec le député national Fidèle Babala Wandu. Celui-ci un proche parmi les proches du président du MLC et secrétaire général de ce parti. « Kilolo me dit que le Bureau du procureur est en train de soudoyer les témoins à charge », dit Babala dans l’interview accordée à Congo Indépendant.

BENSOUDA « CONTRE-ATTAQUE »

Fidèle Babala

Au cours de cette conversation privée, Kilolo fait part à Babala d’un « souci ». « J’ai besoin d’argent pour les [témoins à charge] contacter afin de savoir qui d’entre eux a été corrompu ». Concluant cette conversation, « Fidèle » reprochera sur un ton amical à son interlocuteur d’avoir oublié de garder le contact avec ces gens.

L’équipe de défense Bemba décide aussitôt de sortir l’artillerie lourde en déposant une « requête confidentielle ». Objectif: faire revenir à l’audience l’auteur de la lettre querellée afin qu’il soit auditionné. C’était sans savoir que le Bureau du procureur était au courant de la stratégie du « camp Bemba ». Le procureur avait mis en place un dispositif d’écoutes des conversations téléphoniques en lingala de l’accusé et ses avocats. Tous les entretiens étaient traduits et retranscrits à l’intention du Procureur. Ce travail était réalisé, en toute illégalité, par un avocat congolais du barreau de Bruxelles, appointé à la CPI. Le Bureau du procureur est donc prévenu que la défense de Bemba préparait une plainte contre lui pour… « subornation de témoins ». Ancien ministre de la Justice et procureur sous le régime gambien de l’ex-dictateur Yahya Jammeh, Fatou Bensouda organisa aussitôt la « contre-attaque ».

De retour d’un voyage en Afrique le 24 novembre 2013, l’avocat Aimé Kilolo-Musamba est « cueilli » à l’aéroport de Zaventem. Il apprend qu’il est suspecté de… « subornation de témoins ».

En fait, le bureau du procureur et l’équipe de défense du leader du MLC se livraient à une sorte de « lutte finale » voire un « duel à mort ». Et pour cause? Certains témoins avaient disculpé le sénateur Jean-Pierre Bemba en déposant clairement que le commandement des opérations militaires en Centrafrique était assuré sur le terrain par des Centrafricains eux-mêmes.

INSTRUCTION UNIQUEMENT À CHARGE

Contrairement au système romano-germanique où le procureur instruit à charge et à décharge, à la CPI le ministère public a décidé de priver certains témoins – auditionnés par lui – l’occasion d’exprimer certains éléments à décharge devant la Cour.

Me Jean Flamme

Dans le cas sous examen, il revenait à l’équipe de défense de Bemba d’appeler à la barre ses témoins. Ils étaient au nombre de soixante. L’objectif était de « corriger » le dysfonctionnement au niveau du bureau du procureur.

Dans une interview accordée à notre journal en juin 2014, Me Jean Flamme est formel: « Les écoutes téléphoniques ordonnées par le procureur étaient illégales ». Un avis qui est loin d’être partagé par le Greffe qui allègue, sans convaincre, que les conversations enregistrées n’étaient nullement confidentielles.

Dès le lendemain de l’arrestation successive des membres de l’équipe de défense de Bemba et du député national Fidèle Babala Wandu, le procureur Bensouda a prétendu qu’elle détenait des « preuve à charge ». Maître Flamme dit avoir attendu plus de sept sans que l’accusation communique les faits probants en sa possession. « Le délai a, chaque fois, été remis parce que le procureur… n’était pas prêt », dit-il.

Pour l’avocat Jean Flamme, la « deuxième affaire Bemba » dite « subornation de témoins » a été montée de toutes pièces. Il argumente: « Je suis en mesure d’établir que mon client Jean-Jacques Mangenda Kabongo n’a effectué aucun paiement au profit d’un quelconque témoin. Tous les paiements dont il est question ont été effectués via Western Union. Mon client m’a dit: ‘J’ai déposé tous les paiements au compte officiel de l’administration pénitentiaire au nom de Monsieur Bemba ».

« SUCRE »

Me Flamme ira plus loin: « Le comportement du procureur Bensouda prouve qu’il y a un intérêt, à mon avis, politique dont la préservation requiert que Bemba reste en prison ».

Arrêté dans la nuit du 23 au 24 novembre 2013, Fidèle Babala sera transféré dans la journée à La Haye. Menottes aux poignets. Et ce après une « escale » de plusieurs heures au siège de l’Agence nationale de renseignements et au Parquet général de la République.  Arrivé aux Pays-Bas, il s’entend signifier trois infractions: « subornation de témoins »; « corruption »; « production de faux documents » et « production de faux témoignages ». « Comment pourrais-je corrompre des personnes que je ne connais pas et que je n’ai jamais rencontrées ? », s’étonne-t-il. « Pour suborner un témoin, il faut non seulement le connaître mais aussi savoir les thèmes pour lesquels il va déposer », ajoute-t-il. Quid des faux documents? « Pour falsifier des documents dans une procédure judiciaire, il faut être partie au procès. Ce qui n’est pas mon cas ».

Pour Babala, son implication dans cette affaire découle uniquement du soutien financier qu’il apportait au sénateur Bemba ainsi qu’aux membres de son équipe de défense. « Ce soutien financier a été fait au grand jour via une voie traçable. A savoir: Western Union. Personne n’avait la volonté de dissimuler quoi que ce soit ».

Il a été reproché également au député congolais d’avoir utilisé le mot « sucre » dans une conversation téléphonique avec le « Chairman ». Selon lui, ce mot voulait simplement dire « de l’argent ».

Acquitté le 8 juillet dernier de l’accusation principale de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, Bemba attend que la CPI rende son arrêt dans l’affaire « accessoire » dite « subornation de témoins ». Au cours des interviews qu’il a accordées aux médias, le président du MLC a, à maintes reprises, salué le « professionnalisme » autant que « l’honnêteté » et des juges de la Chambre d’appel à la CPI. Une critique implicite au caractère « brouillon » des enquêtes menées par le Bureau du procureur.

Question: entre Bemba et Bensouda, qui a tenté de suborner les témoins?

 

B.A.W.

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