Déclaration du Dr. Denis Mukwege à l’occasion du 20è anniversaire de la « Guerre de 6 jours » à Kisangani

« Du 5 au 10 juin 2000, l’APR (Armée Patriotique Rwandaise) et l’UPDF (Uganda People’s Defence Force) se sont affrontés à Kisangani. Les deux camps se sont livrés à des attaques indiscriminées à l’arme lourde, tuant entre 244 et 760 civils selon certaines sources, en blessant plus de 1 000 et provoquant le déplacement de milliers de personnes. Les deux armées ont également détruit plus de 400 résidences privées et gravement endommagé des biens publics et commerciaux, des lieux de culte, dont la cathédrale catholique Notre-Dame, des établissements consacrés à l’éducation et des établissements sanitaires, dont des hôpitaux ».

Cet extrait du rapport Mapping des Nations Unies sur les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire, publié en 2010, évoque la guerre dite « des 6 jours ». Nous invitons nos compatriotes Congolais à s’approprier le contenu de ce rapport qui documente une des parties les plus sombres de l’histoire de notre pays.

Ce vendredi 5 juin 2020 marque le 20e anniversaire de ces crimes de guerre et de ces crimes contre l’humanité commis par des forces armées étrangères sur le sol congolais.

Les affrontements à l’arme lourde entre les forces rwandaises et ougandaises ont pris en otage les populations civiles et ont occasionné des massacres à grande échelle à Kisangani, entraînant des centaines de morts ainsi que de nombreux dégâts matériels et environnementaux. Cette violence inouïe a emporté dans un fleuve de sang et un flot de larmes, le génie, les espérances et les rêves de centaines de nos compatriotes.

Ces crimes les plus graves et leurs conséquences dévastatrices ne peuvent rester rangés dans les oubliettes de l’Histoire. Ils sont imprescriptibles. Aucune immunité, aucun compromis ni « realpolitik » ne peut être invoqué pour éluder les responsabilités des commanditaires. Les victimes et leurs familles ont droit à la vérité, à la justice, à des réparations et des garanties de non renouvellement.

Notre Nation doit refuser la résignation pour que jamais la flamme du souvenir ne s’éteigne et puisse se transmettre aux générations futures. Il est capital pour, nos morts et les survivants de faire vivre leur mémoire. L’oubli serait une capitulation face à l’horreur, une seconde mort pour les victimes et un déshonneur pour nous tous.

Nous invitons les autorités de la République Démocratique du Congo (RDC) à soutenir l’édification de mémoriaux sur les fosses communes de nos sœurs et de nos frères frappés par la barbarie humaine. Après des décennies de déni, le temps est venu de mettre en place des mécanismes d’établissement de la vérité et de la justice pour une réconciliation, une paix réelle et durable. Cela, afin que nos enfants ne se voient pas privés de la mémoire de leurs parents et donc de leur identité, et puissent construire ensemble des lendemains meilleurs.

L’ensemble des forces vives de notre pays, la société civile, les écoles et les universités devraient exercer davantage et avec vigueur ce rôle de passeur de mémoire si essentiel à la vie de la Nation et à l’Histoire. Le futur et la Paix ne pouvant se bâtir sur l’oubli, le sentiment d’humiliation et le ressentiment face à tant de cruautés subies.

Nous appelons une fois de plus à l’établissement d’un Tribunal International Pénal pour la RDC et/ou de chambres spécialisées mixtes et la mise en place des réformes profondes des secteurs de la sécurité et de la justice. Nous exhortons les autorités congolaises à poursuivre les négociations avec l’Ouganda pour trouver les modalités de mise en œuvre de l’arrêt rendu en 2005 par la Cour Internationale de Justice condamnant l’Etat ougandais à réparer le préjudice causé sur le territoire congolais et à entamer un dialogue sincère avec le Rwanda en vue de renforcer la coopération judiciaire pour faciliter l’administration de la justice pour les crimes à dimension régionale.

Il est temps de mettre un terme au chaos organisé en RDC: les autorités congolaises et la communauté internationale ne peuvent plus accepter les violations répétées de notre souveraineté et les atteintes à l’intégrité territoriale de notre pays par les forces armées étrangères ou par des groupes armés soutenus par les Etats voisins, violations graves du droit international qui se poursuivent malheureusement jusqu’à ce jour.

 

Dr Denis Mukwege
Prix Nobel de la Paix 2018

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