Dubaï Port World et Mediterranean Shipping Company SA convoitent le port de Matadi

L’objectif poursuivi par les deux parties est de moderniser le port de Matadi de manière à en faire un terminal très compétitif. Ce qui devrait se traduire par la baisse des prix, dans l’intérêt de l’importateur et exportateur congolais. Le gouvernement a signé, en décembre 2021, un contrat avec le groupe émirati DP WORLD (Dubaï Port World) pour la construction du port de Banana. Cet accord concernait non seulement Banana mais aussi le port fluvial de Matadi situé à quelque 230 kilomètres de là. Le gouvernement congolais espère, quant à lui, faire cohabiter les deux sociétés sur le site.

Gaston Mutamba Lukusa

Le 25 avril 2022, un protocole d’accord a été signé à Kinshasa avec la société Mediterranean Shipping Company SA (MSC), numéro 1 mondial du conteneur, pour moderniser le port de Matadi dans sa partie traitement des conteneurs. La flotte de MSC représente près de 20% de l’ensemble du commerce maritime de conteneurs. L’accord de concession a tardé à se concrétiser du fait de certaines conditions suspensives. Le 15 mars, il y eut finalement signature d’un procès-verbal de poursuite des négociations pour l’aménagement, l’équipement et l’exploitation du terminal dédié au traitement des conteneurs au Port de Matadi entre la Société commerciale des transports et des ports (SCTP) et Mediterranean Shipping Company SA (MSC), à l’issue d’une cérémonie présidée par le Premier ministre, Jean Michel Sama Lukonde.

L’objectif poursuivi par les deux parties est de moderniser le port de Matadi de manière à en faire un terminal très compétitif. Ce qui devrait se traduire par la baisse des prix, dans l’intérêt de l’importateur et exportateur congolais. A cette occasion, Martin Lukusa Tshibangu, directeur général de la SCTP, a déclaré à l’Agence congolaise de presse (ACP): « Et aujourd’hui, on était sur le volet des conditions suspensives. Mais les discussions vont continuer encore d’ici deux mois pour arriver à la version finale, afin de pouvoir commencer effectivement les travaux et moderniser le port pour faire face à la concurrence qui nous mine depuis plusieurs années ». Parmi ces conditionnalités, figurent notamment la durée de la convention fixée à 30 ans, le rachat par le concessionnaire des biens de la SCTP, le droit d’accès direct fluvial et terrestre, y compris routier et ferroviaire au périmètre concédé, un régime fiscal et douanier spécial pour le concessionnaire. MSC a consenti à investir dans un premier temps, 6 millions USD dans l’aménagement et l’équipement du port de Matadi et à verser tout au long de la durée de la concession, la somme de 140 millions USD au profit de la SCTP. Il faut rappeler qu’après la convention initiale de collaboration paraphée en mars 2018, le gouvernement a signé, en décembre 2021, un contrat avec le groupe émirati DP WORLD (Dubaï Port World) pour la construction du port de Banana. Cet accord ne s’arrêtait pas au seul port de Banana. Certaines dispositions concernaient aussi le port fluvial de Matadi situé à quelque 230 kilomètres de là.

Il apparaît que l’opérateur portuaire émirati DP World n’est pas du tout content de la suite des événements. Il voit d’un mauvais œil la présence de son rival suisse MSC sur le port de Matadi qui va en assurer la rénovation. Le gouvernement congolais espère, quant à lui, faire cohabiter les deux sociétés sur le site. Normalement, pour la relance de l’axe logistique Banana-Kinshasa, les ports fluviaux de Boma et de Matadi doivent s’intégrer dans la nouvelle configuration du port de Banana. Il faudra procéder à la réfection de la route Banana-Boma, au dragage du bief maritime Moanda-Matadi et à la réhabilitation de la voie ferrée Matadi-Kinshasa.

Des critiques fusent

Dans un article du 29 mars du journal en ligne okapinews.net intitulé « Après les secteurs banquier et minier vendus respectivement aux kényans et aux chinois, le secteur du transport fluvial congolais est à son tour en train de basculer au groupe français Bolloré au travers ses partenaires de la société suisse MSC MEDITERRANEAN SHIPPING COMPANY S.A et de la société qatarie SHIPPING INVESTMENT GROUP LLC ». Selon cet article, « La convention dite de ‘concession pour l’aménagement, l’équipement et l’exploitation d’un terminal à conteneurs du port de Matadi’, signée en avril 2022 entre la République démocratique du Congo et ces deux sociétés compromet à l’immédiat l’avenir de la Société commerciale des transports et des ports (SCTP SA) et de ses dizaines de milliers d’employés actifs et pensionnés rentiers ». A l’en croire, il faudra licencier près de 10.000 agents actifs et plus de 13.000 retraités rentiers de la SCTP. Or, cette société est en mesure de réhabiliter seule le port de Matadi grâce à la réalisation de la créance de 207 millions de dollars qu’elle détient sur l’Etat congolais et à la redevance logistique terrestre (RLT), instituée depuis 2012 par arrêté interministériel sur tous les conteneurs à l’import et export. La somme de 140 millions de dollars USD à décaisser par MSC au profit de la SCTP sur une période de 30 ans est insignifiantes. Quand l’on divise ce montant par 360 mois, on obtient seulement 388.888 de dollars USD par mois. En comparaison, malgré la vétusté de ses équipements, la SCTP ferait des encaissements d’au moins cinq millions de dollars USD par mois au port de Matadi.

Le 18 mars, sur le média en ligne Tsieleka.com, le président de l’Assemblée provinciale du Kongo Central, Jean-Claude Vuemba, dénonce aussi « la vente par le Gouvernement de la République Démocratique du Congo du port de Matadi et du chemin de fer Matadi-Kinshasa au groupe MSC ». Selon lui, il ne faudrait pas que le gouvernement central ignore la libre administration des provinces. Même Monsieur Kabila n’a pas pu vouloir vendre le chemin de fer et le port de Matadi. Aujourd’hui, on nous apprend qu’il y a une société MSC qui est en joint-venture avec le français Bolloré et qui viennent déjà d’acheter 70% du port en profondeur de Pointe Noire. Et que maintenant ils veulent acheter le port de Matadi et celui de Kinshasa.

La nécessaire modernisation du port de Matadi

L’expérience montre que ceux qui utilisent l’entreprise comme leur cassette personnelle sont toujours très hostiles à tout plan de réorganisation. Sous des prétextes des concepts fallacieux de nationalisme et de patriotisme, ils préfèrent continuer à puiser dans la caisse de l’entreprise pour financer leurs dépenses somptuaires. Privatiser la gestion, signifie pour eux la perte de contrôle sur ces sources de revenu juteux. Ils entrainent dans leur mouvement des travailleurs inconscients des enjeux réels. Les dirigeants, les syndicats et le personnel de la société se sentent ainsi tous en insécurité face au plan de réorganisation. C’est ainsi qu’il faut comprendre les résistances qui ont été développées par la classe politique et leurs affidés face à la privatisation.

L’histoire a la fâcheuse tendance à se répéter en République démocratique du Congo. Il faut rappeler qu’en 1995 le groupe Bolloré s’était déjà intéressé au corridor logistique entre Kinshasa et le Kongo Central. Un protocole d’accord avait été signé pour que cette entreprise gère le chemin de fer et le port de Matadi. Des grèves et des marches de protestation furent organisées au Kongo Central pour forcer le gouvernement à faire marche arrière sur la cession de la concession à Bolloré. Face à la pression, le gouvernement renonça au projet. A l’époque, la société Bolloré ne disposait d’aucune concession portuaire et ferroviaire en Afrique. La société qui dispose d’un savoir-faire avéré dans la gestion et le développement des infrastructures portuaires, a entretemps prospéré et gérait 42 Ports, 26 terminaux conteneurs, plus de 2.700 kilomètres de rail et 74 agences africaines quand elle fut vendue à MSC en décembre 2022 au prix de 5,1 milliards d’euros auquel s’ajoutaient 600 millions d’euros de remboursement de comptes courants.

Dans le même temps, le port de Matadi n’a pas du tout prospéré. Il continuerait à péricliter et n’est plus que l’ombre de lui-même aujourd’hui. La mauvaise gestion de la SCPT a finalement conduit à l’éclosion des ports privés tant décriés.

Un autre cas est celui de la Société Interrégionale Zaïroise de Rail (SIZARAIL) qui fut constituée le 26 mai 1995 afin de redresser la situation des chemins de fer. Cette nouvelle entreprise avait su en quelques mois rétablir le transport ferroviaire dans le Sud et l’Est du pays. En une année d’exploitation, SIZARAIL a multiplié le tonnage transporté par quatre. Il en fut de même de la production agricole qui fut quadruplée au cours de la campagne 1996. Les tarifs de transport intérieur baissèrent en moyenne de 10% et ceux du trafic à l’importation de 18%, tandis que les tarifs à l’exportation baissèrent de 25% en moyenne. Après des critiques infondées, SIZARAIL fut dissoute en 1997.

Ces expériences malheureuses doivent pousser à rendre le port de Matadi plus efficient, rentable et réduire ses coûts d’exploitation. Ceci permettra au futur port de Banana de devenir plus performant. La SCTP est très malade avec plus de 11.000 agents actifs qui enregistrent plusieurs mois de salaires impayés et 13.000 retraités rentiers, pour lesquels la société devrait cotiser à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) pour leur prise en charge. Il ne faut pas se faire d’illusions. La SCTP est incapable de développer le port de Matadi et le chemin de fer Matadi-Kinshasa. Si rien n’est fait, elle mourra de sa belle mort. Tout le monde sera alors mis au chômage.

En optant pour la concession, des milliers de travailleurs qualifiés et intègres pourront être sauvés. Des emplois seront sauvegardés. Des foyers de richesses seront créés. La province du Kongo central et le pays vont en tirer un profit en lieu et place des agitateurs véreux qui poussent des cris d’orfraie. Le secteur du transport maritime est le principal moteur de la mondialisation. Comme dans beaucoup de pays africains qui prospèrent, il faut laisser la gestion des ports et même des aéroports à des groupes privés. L’Etat monarque a été un très mauvais gestionnaire en République Démocratique du Congo. En reportant les réformes, le pays va se retrouver sans aucune infrastructure de transport viable.


Gaston Mutamba Lukusa

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