Eric Nsenga: « L’absence de consensus autour du processus électoral nous inquiète! »

Porte-parole de l’ECC (Eglise du Christ au Congo) lors de la désignation, l’année dernière, du président de la CENI par les confessions religieuses, le révérend pasteur Eric Nsenga séjourne à Bruxelles. Dimanche 1er mai, l’Eurodéputée Marie Arena et lui faisaient office de « guest stars » à la commémoration du 10ème anniversaire du Mouvement citoyen « LUCHA » (Lutte pour le changement). C’était l’occasion de lui poser quelques questions sur le climat politique qui prévaut au pays à une vingtaine de mois de la tenue des élections de 2023. INTERVIEW.

Quel est le but de votre séjour en Belgique?

Je suis là pour prendre part à des réunions et rencontrer des partenaires au sujet du processus électoral au Congo-Kinshasa. J’en ai profité pour faire quelques recherches sur la « justice transactionnelle ». L’occasion faisant le larron, j’ai été associé à la célébration du 10ème anniversaire de la LUCHA. C’est aussi l’occasion de réfléchir ensemble sur les questions électorales.

Qu’entendez-vous par « partenaires »?

L’Union européenne fait partie de nos partenaires privilégiés. L’Union suit avec nous le déroulement du processus. Sans omettre quelques responsables belges. Il y a aussi l’Eurac (Réseau européen pour l’Afrique centrale).

Vous avez entrepris récemment une démarche au Parlement congolais avec Mgr Donatien Nshole. Quel en était l’objet? Quel est le résultat obtenu?

Nous revenions d’un voyage en Belgique. Comme vous le savez, le choix du Président de la CENI avait posé des problèmes. Après cette étape, il fallait que l’Eglise catholique et l’ECC suivent le processus. Notre responsabilité ne se limite pas à la désignation des animateurs de la Commission électorale. Elle porte sur le processus dans son ensemble. Au Parlement, nous nous sommes entretenus avec les Présidents des deux chambres sur la loi électorale. Celle-ci est le cheval de bataille pour la suite des choses. Après notre passage, nous avons initié des « préconsultations » avec les principaux acteurs politiques tant de l’opposition que de la majorité. Il s’agit de faciliter, un tant soit peu, le consensus. Il y a deux sons de cloche. La majorité est d’avis que nous ayons un consensus autour de la loi électorale en mettant en place des mécanismes de transparence électorale et l’inclusivité. Le deuxième tableau porte sur l’exigence autour du processus lui-même. Nous essayons d’harmoniser les vues des uns et des autres en vue d’un consensus.

En août 2021, les confessions religieuses auxquelles vous appartenez s’étaient lavé les mains à l’image de « Ponce Pilate ». Pour l’opinion, vos deux confessions s’étaient désengagés des questions électorales en cours…

C’est l’appréhension que le commun des mortels avait eu. Ce serait un acte d’abandon de la part des confessions religieuses qui constituent les remparts du pays.

A propos, comment se porte le pays?

La situation n’est pas au beau fixe! Nous sommes quelque peu inquiets du déroulement du processus électoral. Nous gardons l’espoir d’une issue heureuse.

Que ce qui vous inquiète en particulier?

C’est l’absence du consensus autour du processus lui-même. Des membres de l’opposition sont d’avis que la CENI dans sa configuration actuelle ne présente pas de garanties d’impartialité. Des membres de l’Union sacrée de la Nation reconnaissent que le Bureau de la Ceni ne reflète guère la volonté de toutes les parties. Ces considérations nous préoccupent énormément. D’ailleurs, une manifestation est prévue le 6 mai devant le Palais du peuple. Des laïcs catholiques et protestants y prendront part. Pour nous, il n’est pas indiqué que nous allions de contestation en contestation alors qu’il y a des alternatives pour trouver des solutions.

Voulez-vous dire qu’il faudrait « remettre en question » la désignation de l’actuel Président de la CENI?

La hiérarchie de nos Eglises n’aborde pas le problème sous cet angle. Le plus dur pour nous c’est d’avoir des « élections crédibles ». Nous pouvons aller de l’avant avec le bureau actuel à la condition qu’il y ait des garanties de transparence. Nous estimons qu’il faut trouver le moyen de rendre le processus transparent.

Que devrait faire l’actuel Président de la CENI pour donner des gages de transparence?

A ce stade, il doit renforcer les mesures de transparence de la loi électorale.

Etes-vous en train de parler de l’affiche des résultats au niveau de chaque bureau de vote?

Effectivement: affichage et publication des résultats. La loi électorale devrait exiger à la CENI de donner les P.V. (procès-verbal) et non demander aux candidats de le fournir. Lors de l’examen du contentieux électoral, la Cour constitutionnelle ne doit pas demander aux candidats d’administrer le PV. Cette obligation doit incomber à la CENI. Par ailleurs, la Commission électorale ne doit pas publier les résultats issus de la machine à voter sans les confronter au comptage manuel. C’est à ce niveau que le problème se pose. Si nous décentralisons et déployons des observateurs dès le début des opérations d’enrôlement et d’identification des électeurs, nous saurons contrôler la cartographie et le nombre effectif des personnes enrôlées.

L’Eurodéputée Marie Arena vient de déclarer « qu’on endort la population [congolaise] avec les élections. On ne s’occupe que de ça! » Est-ce votre avis?

En partie oui lorsqu’on considère les élections comme une finalité! J’estime que les élections ne doivent pas être considérées comme une finalité en soi. Les élections constituent un moyen qui permet à un peuple d’exprimer sa volonté, d’une part et d’autre part c’est un moyen pour avoir des institutions légitimes. Les consultations politiques ne sont nullement une panacée pour résoudre tous les problèmes du Congo-Kinshasa. On doit travailler sur trois paradigmes: l’homme, les structures sociétales et le leadership. Un leadership clair qui pourrait nous conduire vers un destin beaucoup plus enviable que maintenant.

Comment peut-on expliquer que toutes ces exigences de transparence et de consensus – au demeurant légitimes – n’aient pas été soulevées lors des élections présidentielles de 2006, 2011 et 2018? La Commission électorale était chapeautée par des « hommes du président Kabila » (Apollinaire Malumalu, Daniel Mulunda Ngoy et Corneille Nangaa) « exonérés » de tout contrôle…

Les exigences auxquelles vous faites allusion résultent justement du mauvais déroulement de ces scrutins. Si les personnes citées avaient organisé de bonnes élections, on ne serait jamais tombé dans une crise de légitimité, de sécurité et de stabilité socio-économique. Nous devons, en tant que nation, en tirer des leçons. Voilà pourquoi les confessions religieuses se sont engagées pour contribuer aux améliorations. Nous devons avoir le courage de reconnaitre qu’il y a eu des fautes graves. Et ce tant du côté de l’Eglise, de la population que du personnel politique. C’est pourquoi chacun de nous doit prendre la mesure de sa part de responsabilité pour le salut de notre peuple.

Quel est, en ce moment, l’état des relations entre le pouvoir politique incarné par le président Felix Tshisekedi et les Eglises catholique et protestante?

Sur le plan humain, il n’y a aucun problème. Il serait illogique que les Eglises n’entretiennent pas des « relations apaisées » avec les gouvernants. Il faut bien reconnaitre qu’il y a un certain « désaccord » au niveau des valeurs. Les Eglises s’estiment en droit de se lever chaque fois les principes sont méconnus. Il n’y a rien de personnel.


Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi

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