Faut-il souhaiter le retour au pouvoir de Joseph Kabila? 

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Elles circulent dans les réseaux sociaux, les images d’un Joseph Kabila faisant le one man show dans une espèce d’opération escargot au volant de sa voiture dans les rues de Kinshasa. Roulant lentement et entouré de jeunes hurlant aux cris de « Raïs » qu’ils invitent à reprendre le pouvoir d’ores et déjà, la scène, qui bloque la circulation en violation flagrante des règles du code de la route, attire l’attention non seulement des usagers bloqués mais aussi des passants et des Congolais qui la visionneraient. Sur quoi Kabila attire-t-il l’attention? Il ne fait l’ombre d’aucun doute que les élections générales de 2023 sont en ligne de mire avec une revendication ou ambition à peine dissimulée, sa candidature qui plongerait le pays dans un juridisme sans précédent relatif à sa qualité d’ex-président de la république et de sénateur à vie.

Aujourd’hui, nombreux sont les Congolais nostalgiques de l’ère Kabila. Pourquoi? La réponse se trouve dans l’arrivée au pouvoir de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), parti politique ou, mieux, « ligablo » fondé le 15 février 1982 et qualifié hier, sous la dictature de Mobutu et celles successives des Kabila père et fils, de fille ainée de l’opposition. Les trente-sept années passées dans l’opposition pour soi-disant lutter contre la dictature ne visaient en réalité qu’une et une seule chose, à savoir le pouvoir pour le pouvoir. Comme ailleurs en Afrique, l’UDPS a confirmé l’idée selon laquelle les partis d’opposition ont vocation à être des partis uniques de fait une fois le pouvoir conquis régulièrement ou frauduleusement. Il a confirmé l’idée selon laquelle la politique africaine se joue encore et toujours au niveau du ventre. Il a confirmé l’idée selon laquelle la seule révolution dont les Africains sont capables depuis les indépendances a pour nom « ôte-toi de là que je m’y mette ». Pour faire à son tour ce que l’on dénonçait et combattait voire pire.

En voyant des Congolais souhaiter le plus naturellement le retour de Joseph Kabila, on ne peut s’empêcher de paraphraser Wole Soyinka, le premier écrivain noir Prix Nobel de littérature: « Ce n’est qu’en Afrique que les voleurs peuvent [chercher à revenir aux affaires] pour piller davantage alors que les jeunes, dont l’avenir est ainsi volé, les applaudissent ». Au Congo, ces jeunes semblent avoir leurs raisons. Le pouvoir « udpsien » est effectivement pire que l’administration Kabila pourtant qualifiée à juste titre de régime des médiocres par le cardinal Laurent Monsengwo Pasinya (1939-2021). Les longues années passées dans l’opposition ont vu les cadres de l’UDPS quitter le navire les uns après les autres, fuyant une certaine coterie tribale qui ne prenait même pas soin de se cacher dans des terriers où la sociologie aurait du mal à la débusquer.

Par ailleurs, les leaders de l’UDPS qui gèrent aujourd’hui le pays sont à l’image de leur chef, le président Félix Tshisekedi Tshilombo. Dans leur écrasante majorité, ils ont passé de longues années d’exil souvent volontaire et parfois forcé en Occident. L’aide sociale, les petits boulots ingrats et les combines de tout genre constituaient l’essentiel de leur gagne-pain. Ils n’ont pas été préparés à diriger le pays. Par rapport à ses prédécesseurs, le pouvoir de Félix Tshisekedi s’illustre par un fossé abyssal entre le dire et le faire. Que des promesses non tenues! Que de poses de premières pierres pour des projets qui ne voient pas le jour! Quelle jouissance au sommet de l’Etat! Quelle course effrénée à enrichissement sans cause pour des hommes et femmes qui hier logeaient le diable dans leurs poches! Que des discours creux sur l’Etat de droit ou encore la lutte contre la corruption! Quelle complaisance vis-à-vis de l’agresseur récidiviste Rwanda dont les crimes économiques et crimes de sang se poursuivent sans le moindre état d’âme et sans la moindre condamnation par les tenants du pouvoir! Tel est le tableau sombre qui redonne de la virginité politique à un Joseph Kabila pourtant mal aimé hier et cela avec raison tant son pouvoir et sa prédation ont détruit le pays. Mais comme l’a si bien écrit le journaliste et écrivain français Louis Latzarus (1878-1942), « le peuple est un souverain sans mémoire. Le pardon lui est aussi naturel que l’ingratitude ».

Mais la question sur le retour au pouvoir de Kabila est-elle pertinente? En d’autres termes, mérite-t-elle d’être posée même si criante est l’irresponsabilité de l’administration Tshisekedi? Pour répondre à cette question, il convient de noter d’abord que les vicissitudes de l’histoire ont imposé au Congo une présidence tournante à durée non déterminée mais suivant l’ordre alphabétique des quatre aires linguistiques du pays. Il y a eu Joseph Kasa-Vubu comme premier Président issu de la zone linguistique Kikongo. Puis vint Mobutu Sese Seko de l’espace linguistique Lingala. Il fut succédé par Laurent-Désiré Kabila et Joseph Kabila du champ linguistique Swahili. Comme s’il avait été guidé par une main invisible soucieuse de boucler la boucle de cet ordre abécédaire, Joseph Kabila fit roi quelqu’un de la zone langagière Tshiluba en la personne de Félix Tshisekedi. Tout au long de cette tournante, la situation générale du Congo a évolué de mal en pis. Sous Félix Tshisekedi, tous les maux jadis décriés sont exacerbés, avec au premier rang la perception qui voudrait que le pouvoir national appartienne aux membres de l’ethnie ou de la région du président de la république et que ceux-ci bénéficient d’un favoritisme outrancier de la part de leur « frère ».

Il faut sans doute se féliciter que la boucle ait été bouclée et que des Congolais de tous les horizons (linguistiques) aient eu l’occasion de diriger le pays. Car, il aurait été aisé d’arguer que la nation se meurt parce qu’aucun magistrat suprême n’est sorti de telle ou telle autre identité majeure. En effet, depuis l’indépendance, l’homme congolais a toujours cru que l’avènement au pouvoir de quelqu’un de son bord changerait la donne. Mais on l’a vu, le changement d’homme au sommet de l’Etat n’a pas mis fin à la descente aux enfers des Congolais. Bien au contraire! A cet égard et à y regarder de près, le Congo ressemble à un véhicule qui roule mal. Tout le monde semble convaincu que la faute incombe au conducteur. Aussi cherche-t-on à changer celui-ci. Aussi est-on pressé, depuis 2006, d’aller aux prochaines échéances électorales. Personne ne s’imagine un seul instant que la faute pourrait venir du véhicule lui-même. Et ici, le véhicule n’est rien d’autre que le système politique tel qu’articulé par la Constitution ou l’ensemble de textes juridiques qui définit les institutions de l’Etat et organise leurs relations de manière à créer le bien-être de la population et de rechercher de manière permanente son mieux-être.

Le système politique congolais n’est pas étranger au malheur du peuple. Le président Mobutu répétait à ses critiques occidentaux: « Citez-moi un seul village zaïrois où il y aurait la case du chef d’un côté et celle de son opposant de l’autre ». Cela signifie que la conflictualité inhérente aux systèmes politiques occidentaux importés en Afrique est un immigré clandestin dans la culture politique africaine. Pourquoi l’importe-t-on au lieu de l’expulser comme tout immigré clandestin? Chaque fois qu’un processus de démocratisation est lancé au Congo ou ailleurs en Afrique, des libéraux, des socialistes, des démocrates-chrétiens, des socio-démocrates, des nationalistes, etc. naissent comme dans une espèce de génération spontanée. Les idéologies et, partant, les partis politiques ont une histoire. Elles traduisent avant tout une prise de position face aux conflits et aspirations majeures qui traversent les Etats. Quand la Constitution congolaise construit le système politique à base du multipartisme, cela peut-il avoir un impact positif dans la gouvernance du pays quand on sait que toutes ces idéologies sont suspendues en l’air puisque n’ayant aucun lien avec les conflits et aspirations majeurs des Congolais? Par ailleurs, est-ce un signe de discernement ou de stupidité que d’importer de l’Occident des idéologies au moment où celles-ci sont déjà en crise en Occident même? Le président Mobutu qui n’avait malheureusement pas tiré les conclusions de ses observations pertinentes en matière de gouvernance aimait à déclarer: « Nous ne sommes ni à gauche ni à droite ni même au centre ». Les intellectuels colonisés jusqu’à la moelle des os ricanaient alors. Aujourd’hui, quand les journalistes demandent au président français Emmanuel Macron, candidat à sa succession, si son programme politique est de gauche ou de droit, il répond: « Je m’en fous ». Pourquoi alors imiter des gens qui se moquent des idéologies issues de leur propre histoire?

Il y a pire. Le président congolais dispose de plus de pouvoir que le premier ministre. Pourtant, la Constitution voudrait qu’il soit irresponsable. En termes clairs, les représentants du peuple ne peuvent contrôler son pouvoir alors que tout le monde le sait, le premier ministre est souvent son « mwana bitinda » ou garçon de courses. Bien de détournements des deniers publics par des ministres et autres hauts commis de l’Etat qui ne sont pas jetés en prison ou qui le sont pour en sortir aussitôt profitent au président de la république. Est-ce un signe d’ingéniosité ou d’ineptie que de ne pas contrôler un homme ou une femme qui détient un pouvoir aussi immense? Excepté Joseph Kasa-Vubu qui n’avait pas duré longtemps au pouvoir, les présidents congolais successifs sont les plus grands prédateurs du pays. Pourtant, comme ailleurs en Afrique, la Constitution fait du président de la république le garant du bon fonctionnement des institutions. Est-ce là un signe de sagacité ou de crétinerie? Le mal qui ronge le Congo et les autres Etats africains est bien connu. Il ne s’agit pas d’un mal propre au Congo ou à l’Afrique mais d’un mal universel que d’autres Etats au monde ont réussi à éradiquer. Il porte un nom: la confiscation des instruments de souveraineté de tout un peuple par un homme ou une clique d’individus aux dents longues issus d’une même coterie ethnico-régionale et appuyée par une clientèle recrutée à travers toute l’étendue du territoire national. Pourtant, la Constitution congolaise, comme les autres Constitutions africaines, reste muette à ce sujet; ce qui explique la récurrence de la pathologie nonobstant le changement d’homme au sommet de l’Etat.

On pourrait multiplier les exemples pour démontrer que la situation actuelle du Congo ne nécessite pas de se lancer à soutenir la candidature de tel ou tel autre animal politique à la présidentielle de 2023 si toutefois celle-ci a lieu. Avant de s’intéresser aux profils des individus pour l’une ou l’autre raison, les Congolais devraient se préoccuper de leur système politique qui requiert un profond aggiornamento. Pour s’en convaincre, il suffirait de faire de la politique fiction en imaginant Joseph Kabila, Félix Tshisekedi ou tout autre président africain à la tête de n’importe quelle démocratie occidentale, que celle-ci soit classée par le groupe de presse britannique « The Economist Group » comme une démocratie pleine, telle que la Norvège, ou une démocratie imparfaite, comme la France, il lui serait impossible de commettre en toute impunité les bêtises commises couramment et impunément au sommet des Etats africains.


Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

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