Kamerhe acquitté: Et maintenant?

Le président Felix Tshisekedi reçoit Vital Kamerhe le 28 juin 2022

Arrêté le 8 avril 2020 condamné, en août de la même année, à vingt ans de travaux forcés et dix ans d’inéligibilité pour détournement des fonds publics, soit 48.831.148 $, dans le cadre du programme d’urgence du chef de l’État, baptisé « Programme des 100 jours », destiné à lancer le mandat du président Félix Tshisekedi, entré en fonctions le 19 janvier 2019 peine réduite, en appel, à treize ans de prison en juin 2021, Vital Kamerhe a été acquitté le 23 juin dernier, devant la même Cour d’appel de Kinshasa-Gombe – mais autrement composée – au motif qu’il n’existe pas, (à ce jour ou pour toujours?), des preuves matérielles de détournement.

En effet, en avril 2021, estimant que les droits de la défense avaient été violés et que l’affaire n’était pas en état d’être jugée, la Cour de cassation avait annulé la confirmation de la condamnation par la Cour d’appel de Kinshasa-Gombe avant d’accorder, fin 2021, la liberté provisoire au prévenu Kamerhe compte tenu de son « tableau médical critique ». L’arrêt du 23 juin dernier a été rendu de manière inhabituelle: reportée à deux reprises, l’audience pour le prononcé n’a pas eu lieu. C’est par un communiqué de la Cour que les avocats ont été informés de l’acquittement de leur client!

Au premier comme au deuxième degré, les procès étant radiotélévisés, les Congolais avaient pu se forger une idée, une sorte d’ « intime conviction » selon leurs tendances ou affinités politiques. Pour les uns, les infractions de détournement et de corruption avaient été suffisamment étayées tant par l’accusation que par les parties civiles représentant l’État congolais qui avaient mis en exergue, notamment, l’enrichissement soudain, les versements bancaires en liquide de grosses sommes d’argent de provenance « non déterminée » ainsi que l’acquisition des biens immobiliers par certains proches et membres de la famille Kamerhe. Sans compter les retraits – toujours en liquide -, des millions de dollars par plusieurs intervenants ou exécutants du « Programme des 100 jours ». Pour les autres, la défense avait réussi à démontrer la vacuité du dossier, le coup monté, l’acharnement politique et l’inexistence de toute trace de ces infractions. C’est la règle dans un procès: chaque partie campe sur sa thèse et fait valoir ses arguments. Au juge de trancher!

Il va de soi que Vital Kamerhe était « seulement » « ordonnateur » de ce programme présidentiel. Il donnait « seulement » des ordres de paiement ou de retrait d’argent. Mais ce n’est pas lui qui allait, en personne, aux guichets bancaires pour retirer ou verser toutes ces sommes dont la traçabilité reste sinueuse. La lecture du premier jugement, confirmé en appel, stipule: « Pour sa part, le prévenu Kamerhe a également, au cours des mêmes audiences publiques sus évoquées, clamé son innocence. En effet, relativement aux faits de détournement des deniers publics lui imputés, il fait observer avoir agi, en vertu de ses prérogatives de Directeur de cabinet du chef de l’État et l’un des superviseurs du programme d’urgence de 100 jours mis en place par le Président de la République en vue de répondre aux attentes nombreuses de ses électeurs à l’issue de son investiture à la magistrature suprême ».

« Ainsi, poursuit-il, c’est uniquement pour faire face à l’urgence de la situation qu’il devait veiller à la célérité dans le décaissement des fonds relatifs à l’exécution du susdit programme. Cependant, conclut le jugement, la jurisprudence précise qu’il n’est pas nécessaire que les sommes détournées soient entre les mains du ‘détourneur’, mais il suffit qu’en vertu de sa charge, il exerce un certain pouvoir sur lesdites sommes ( CSJ, RPA 89, 20/01/1984 in B.A 1980-1984, Kin 2001, p.436 et suivantes ) ».

Il ne nous appartient pas – et ce n’est pas notre intention – de refaire le procès. Le Ministère public lui-même – qui avait trente jours pour faire appel – s’est abstenu d’actionner cette voie de recours. En foi de quoi, l’arrêt de la deuxième Cour d’appel ayant acquis la force de la chose jugée, Vital Kamerhe est définitivement lavé, en fait et en droit, de l’infraction de détournement des deniers publics.

Des questions qui interpellent… Raphaël Nyabirungu – professeur émérite, doyen honoraire de la Faculté de droit de l’Université de Kinshasa et… avocat près la Cour de cassation et le Conseil d’État – a eu les mots qui renvoient dos à dos les « communicateurs » des partis et des personnalités ou « leaders » politiques toujours prompts à verser dans les invectives, les outrances et la surenchère verbales: « Acquitter n’est jamais la proclamation de l’innocence. C’est déclarer, qu’au regard de la preuve produite par l’accusation, le juge n’a pas été convaincu de la culpabilité du prévenu ». Et c’est ici que les Romains (les Congolais?) s’empoignèrent! Voilà pourquoi certains États, tel le Burkina Faso, ont introduit dans leur arsenal pénal le « délit d’apparence ». Un dispositif visant à renverser la charge de la preuve dans certaines matières comme les détournements des deniers publics ou les enrichissements illicites. Ainsi, par exemple, il appartient à l’accusé de prouver son innocence en démontrant comment avec des revenus de deux cents dollars mensuels, il a pu acquérir, en un seul mois, des biens mobiliers et/ou immobiliers de deux millions de dollars…

Il n’empêche! Acquitté, Vital Kamerhe est un homme libre. Par contre, au-delà de la « vérité judiciaire » devant laquelle, dans un État de droit fonctionnant avec une justice réellement indépendante, tout démocrate devrait s’incliner, de nombreuses questions restent sans réponse et interpellent. Les procédures judiciaires ont-elles été respectées? La mise en accusation avait-elle été bâclée? S’agissait-il d’un procès « politique » ou d’un complot ourdi contre un allié « à éloigner » des sphères du pouvoir? La rencontre « cordiale » et l’accolade « chaleureuse » entre le président et son ancien directeur de cabinet, six jours après l’acquittement de ce dernier, semblent évacuer cette hypothèse.

Alors, que s’est-il réellement passé entre l’incarcération de Vital Kamerhe, son procès en première instance, son procès en appel, l’arrêt de la Cour de cassation annulant sa condamnation, l’octroi de la liberté provisoire et le deuxième procès en appel qui a abouti à son acquittement? Les juges de première instance et de la première Cour d’appel s’étaient-ils donc trompés aussi lamentablement? L’accusation s’est-elle fourvoyée à ce point? La partie civile « État congolais » a-t-elle brillé par son inefficacité ou sa mollesse à défendre le Trésor public? Puisque Vital Kamerhe n’est pas coupable de détournements: où sont, alors, passés tous ces millions? Un chroniqueur kinois répond avec humour: « l’argent n’a pas été détourné; il s’est auto-détourné »! Et maintenant?


Polydor-Edgar Kabeya

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