Le Congo malade de ses intellectuels

Criminel en col blanc

La responsabilité des « élites-intellectuels » dans la gestion de la cité est invoquée dans de nombreux pays. En RDC la question a été abordée par de nombreux intellectuels.

Dans son ouvrage intitulé « Le Congo malade de ses hommes: crimes, pillages et guerres » publié en 2003, Patient Bagenda Balagizi démontrait que la situation désastreuse du pays résulte de la prédation et du pillage, de l’absence de patriotisme au niveau des dirigeants, de la corruption érigée en système de gouvernement et de gestion des affaires publiques.

Vingt ans plus tard, son constat reste d’actualité. Des millions de Congolais vivent l’enfer créé par un petit nombre de criminels en col blanc qui se considèrent comme « intellectuels ».

En 2007, Kankwenda Mbaya, intellectuel engagé, enfonce le clou avec son ouvrage intitulé « Les intellectuels Congolais face à leurs responsabilités devant la Nation » et plus particulièrement dans son chapitre 11 « Les responsabilités des élites et des intellectuels dans l’économie politique de la prédation au Congo ». L’ouvrage insiste sur la faiblesse de courants et de débats intellectuels sur les dynamiques de la société et de la nation, la passivité ou le silence complice des élites et des intellectuels, et surtout l’active participation de nombre d’entre eux à la destruction de la nation, et à la paupérisation des populations, contrairement aux espoirs légitimes de ces dernières.

S’il n’y a aucun doute sur la responsabilité des intellectuels au pouvoir dans la situation catastrophique du pays, celle des autres intellectuels n’est pas moindre. Les intellectuels prédateurs ne pourraient pas sévir impunément sans la passivité et le silence complice des autres intellectuels.

Une fois de plus la citation de Albert Einstein « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire » prend tout son sens. Pour cacher leur incapacité à agir contre la gestion prédatrice et la misère et les violences qui en résultent, de nombreux intellectuels, professeurs d’université et même des recteurs se déchainent contre la colonisation, Leopold II, contre lesquels ils n’ont aucun moyen d’action mais qui ont l’avantage de ne présenter aucun danger pour eux.

Ils donnent la priorité à leur frustrations anti occidentales au lieu de mener des actions concrètes contre leurs collègues prédateurs.

Une des conséquences de la passivité des intellectuels est la faiblesse de la société civile pourtant la seule institution nationale capable d’amener le changement dans la gestion du pays.

En RDC, nous avons autant d’ONG que de partis politiques qu’on nomme « partis mallettes ». Une seule est active de manière professionnelle dans le domaine de gestion des ressources financières du pays. Il s’agit de l’Observatoire de la Dépense Publique (ODEP), qui régulièrement met en évidence et dénonce les pratiques qui violent la loi des finances et les règles de gestion de fonds publics.

La passivité et l’individualisme de nos intellectuels explique la difficulté de trouver des bénévoles et de travailler ensemble même avec des institutions internationales qui disposent cependant de moyens financiers importants, de réseaux d’influence et de fortes capacités de lobbying.

L’anti occidentalisme et les critiques contre les organisations de la société civile des pays occidentaux qui mettent en cause la gestion prédatrice des dirigeants du pays constituent un appui précieux aux prédateurs, congolais comme étrangers.

L’accord conclu par le gouvernement avec Dan Gertler en est un récent exemple.

Depuis une vingtaine d’années, il n’existe plus aucun doute sur la corrélation entre la mauvaise gouvernance (corruption, malversations etc) la misère et les violences. La RDC en est une triste illustration.

De nombreuses initiatives de lutte contre la corruption et les autres formes de délinquance économiques ont été prises sur le plan international (NU, UA, UE) depuis plus de vingt ans. Des cadres juridiques appropriés et l’extension de pouvoirs judiciaires extra territoriaux ont été créés pour faciliter les poursuites contre les prédateurs. Des dizaines d’institutions de la société civile ont lancé des actions en justice et obtenu des amendes et des réparations s’élevant a des milliards de dollars. Des premiers ministres et présidents ont été condamnés. Ces organisations peuvent jouer un rôle important dans la lutte contre la mauvaise gouvernance en RDC. Malgré ces nouvelles opportunités, un grand nombre d’intellectuels congolais préfèrent rester passifs et discutent du sexe des anges.

Si on y ajoute des comportements arrogants et des pratiques opaques de certaines ONG et instituts de coopération étrangères il en résulte une grande difficulté à concevoir et à mettre en œuvre des stratégies efficaces mobilisant la société civile congolaise et celle des pays occidentaux.

Les déboires de la campagne CNPAV (Le Congo N’est Pas A Vendre), démontrent cette difficulté. Plutôt que de créer une dynamique de mobilisation internationale, la gestion opaque par 11.11.11 et la faiblesse de conception du projet n’ont pas permis une bonne collaboration entre partenaires locaux et internationaux lors de son exécution.

En septembre 2018, le ministère des Affaires étrangères belge signe une convention de don de 1.5 millions d’euros, porté ensuite à 2 millions avec l’ONG belge 11.11.11 pour financer leur projet appelé CNPAV. L’idée semblait être de lancer un partenariat entre ONG congolaises et internationales en vue de lutter contre la corruption en RDC.

Après une publication temporaire des documents relatifs au projet sur un site web du ministère, cette publication fut rapidement retirée et l’opacité organisée, pour raisons de « sécurité ».

La conception du projet étant faible et dépourvu d’une véritable stratégie servant de cadre de référence pour tous les participants, des dissensions sont rapidement apparues entre partenaires. Le projet consistant surtout à partager le financement pour appuyer les activités courantes d’une série d’ONG, la clef de répartition des fonds n’attribuant qu’environ 10% du budget aux ONG congolaises et cela n’a pas favorisé la cohésion de la plateforme CNPAV.

Après la fin du projet prévu pour une durée de deux ans et l’épuisement du financement en 2021, certains participants – nationaux et internationaux – ont continué l’initiative. Malheureusement, encore une fois à défaut de stratégie et de plans d’action pour assurer la transformation du projet en institution pérenne, notamment par la mobilisation de nouveaux appuis, les dissensions se sont accentuées.

La rupture de confiance a éclaté récemment lors de la table ronde consacrée à l’accord signé entre le gouvernement et Gertler.

Les intellectuels congolais du côté des ONG nationales ont une nouvelle fois failli en acceptant un accord dont ils n’ont pas pris connaissance du texte intégral et de ses annexes.

L’affaire des passeports (Semlex) avait bien commencé par la dénonciation détaillée des irrégularités et des dépôts de plaintes en RDC et en Belgique. En RDC le tribunal de commerce (?) s’est déclaré incompétent et en Belgique une plainte aurait été déposée mais le CNPAV, sous prétexte que leur stratégie serait secrète, ne souhaite pas communiquer sur le sujet et l’on n’en parle plus…

L’affaire BGFI comme Congo Hold-up semble suivre un chemin analogue. Après une campagne de dénonciation spectaculaire, documentée et efficace, la stratégie est de nouveau confidentielle. Espérons que ces affaires ne suivent pas le même chemin que celui des passeports.

Dans tous les pays, ceux qui luttent contre la criminalité savent que pour obtenir des résultats il ne suffit pas de dénoncer les crimes mais qu’il faut s’en prendre aux criminels auteurs des crimes. Il faut les nommer, les poursuivre là où c’est possible et c’est en général dans les pays disposant d’une justice indépendante jouissant de pouvoirs extraterritoriaux c’est à dire les pays occidentaux. Comme déjà cité plus haut, l’OCDE, les USA, certains états membres de l’UE, et l’UE ont renforcé ces dernières années leurs législations anti corruption.

La criminalité économique dans les pays émergents est désormais un enjeu essentiel pour l’avenir de ces pays.

Il est donc indispensable que la confiance soit rétablie entre membres des sociétés civiles congolaise et étrangère et que des stratégies destinées à nuire aux individus responsables de cette corruption soient adoptées.

L’absence d’une telle stratégie constituerait une grande victoire pour les Gertler, Semlex, BGFI et autres filières privées totalement poreuse ainsi que leurs complices intellectuels congolais actifs dans la prédation et la corruption des esprits face à une classe d’intellectuels congolais complètement indifférente, préoccupée essentiellement par des susceptibilités de préséances et autres futilités, on cherche toujours le résultat des actions de la dynamique des intellectuels congolais (DUC).


Jean-Marie Lelo Diakese

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